Atyraou, l’une des villes les plus riches du Kazakhstan, est située dans l’ouest du pays, à l’embouchure de la rivière Oural. Elle est connue pour ses spécialités à base de poisson, ses riches étrangers et la mauvaise qualité de l’air. Un journaliste local revient sur ces stéréotypes et raconte de quoi vit réellement cette ville.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 10 mai 2021 par le média kazakh Kursiv.kz. Farkhat Abilov a 24 ans et est journaliste pour Ak Jaïyk, un média indépendant d’Atyraou, une ville de l’ouest du Kazakhstan au bord de la mer Caspienne. Il vient d’une petite ville de la région et a étudié à l’Université d’État d’Atyraou, puis il est resté en ville. Pendant le confinement de l’été 2020, il est allé travailler à Nur-Sultan, la capitale, puis il a dû revenir. Il pense quitter Atyraou un jour, pour partir à la conquête d’autres villes ou d’autres pays, mais cela ne signifie en rien qu’il n’aime pas sa région natale.
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Il raconte pour Kursiv.kz quel est le quotidien de cette ville riche et comment ses habitants y vivent.
Une capitale pétrolière
Selon le département des statistiques, 365 000 personnes vivent à Atyraou. Parmi elles, 88 % sont d’ethnie kazakhe et 8 % sont russes. Il y a aussi un petit pourcentage de Coréens, d’Ukrainiens, de Bulgares et d’Arméniens. Il se peut néanmoins que les statistiques officielles varient quelque peu de l’état actuel des choses. Atyraou est la capitale pétrolière du Kazakhstan. C’est pourquoi des Kazakhs d’autres villes de l’ouest viennent souvent y travailler, qu’ils viennent d’Aktobe, d’Oural ou d’Aktaou. En outre, les compagnies pétrolières attirent des employés étrangers, principalement des Américains et des Anglais. Ceux-ci sont traités amicalement par la population locale. Il y a également des Chinois, mais ceux-ci sont peu visibles en ville et vivent sur le territoire de leur usine.
Toute l’économie de la ville est liée au pétrole. La plus grande entreprise pétrolière est le consortium américano-kazakh Tengizchevroil, qui travaille sur le gisement de pétrole de Tengiz. Cette société reverse à la région un pourcentage élevé de taxes et permet de donner du travail à la population locale. De plus, elle finance divers projets dans le cadre de la responsabilité sociale et subventionne par exemple l’aménagement de la ville, les installations sportives et culturelles.
La raffinerie
Par ailleurs, Atyraou possède une raffinerie de pétrole, une installation gouvernementale stratégique. La raffinerie pétrolière d’Atyraou (ANPZ) a été construite pendant la Seconde guerre mondiale. Elle demeure jusqu’à aujourd’hui l’une des plus grandes du pays. L’usine d’Atyraou produit de l’essence et du carburant diesel qu’elle revend aux villes voisines d’Oural, Aktaou et Aktobe. En ce qui concerne l’emploi, il y a peu de personnes à Atyraou qui travaillent dans le secteur public. Les habitants préfèrent profiter de la situation et travailler dans l’industrie pétrolière. Le salaire moyen dans ce secteur est de 300 000 tengués (606 euros). Les diplômés qui ont de l’ancienneté peuvent gagner jusqu’à 2 ou 3 millions de tengués (4 039 – 6 058 euros) par mois. De cette industrie découlent des activités connexes : maintenance, mise en service, construction. Tout le personnel employé dans ces branches gagne bien sa vie. Lire aussi sur Novastan : Un gisement de pétrole massif découvert au Kazakhstan D’ailleurs, à cause du pétrole, des secteurs de services comme l’hôtellerie, la restauration et les taxis sont bien développés à Atyraou. Le service est de très haut niveau car il est destiné aux étrangers et est source de profit.
Atyraou est aussi connue pour son poisson, qui ne vient pas seulement des rivières, mais aussi d’élevages. La ville a développé des étangs artificiels où sont élevés différents esturgeons : l’esturgeon étoilé et le béluga. Une partie de l’industrie est consacrée à la vente de filets, une autre partie à la production de caviar, et une troisième à la transformation du produit. L’industrie de la pêche est le deuxième secteur de l’économie après le pétrole, apportant d’importants revenus au trésor régional.
Un peu d’histoire
Atyraou est une ville dont l’ancienneté est liée à sa position géographique : c’est ici que passe la ligne conventionnelle séparant les continents européen et asiatique. Dans les environs d’Atyraou se trouvait Saraïtchik, ville de la Horde d’or. Ses habitants se consacraient au commerce et à l’élevage. Les scientifiques y trouvent encore différentes pierres anciennes, de la vaisselle, des outils ménagers et des bijoux. Atyraou rejoint ensuite le Khanat kazakh et la population de sa région constitue la Petite jüz, un groupe ethnique kazakh. Leurs descendants vivent sur cette terre jusqu’à ce jour. Lire aussi sur Novastan : Les dernières découvertes sur l’ADN des Kazakhs Vient ensuite le rattachement à l’Empire russe. La population locale n’accepte pas les nouveautés apportées par le gouvernement et la grève est générale, depuis les familles modestes jusqu’aux plus puissantes. Les habitants d’Atyraou étaient assez belliqueux et refoulaient facilement toutes les attaques des peuples voisins.
La domination russe
Le nom de la ville d’Atyraou est relativement nouveau ; auparavant, la ville s’appelait Gouriev, en l’honneur de son fondateur Gouriev Nazariev, un cosaque et homme d’affaires venant des terres russes qui pratiquait la pêche dans le fleuve Oural. C’est d’ailleurs autour de la pêche que s’est formée cette colonie urbaine. Lire aussi sur Novastan : Les métiers de navigation devenus obsolètes le long de l’Oural Atyraou n’a pas apprécié l’arrivée du pouvoir soviétique et s’est activement battue contre lui. Mais la ville n’est pas parvenue à gagner et est devenue un point stratégique. C’est ici que se sont implantés les nœuds les plus importants du réseau ferroviaire et de la navigation fluviale. Les premiers gisements de pétrole ont également commencé à être exploités sous le pouvoir soviétique.
Quels prix pour se loger ?
Comparée aux autres régions kazakhes, Atyraou n’est pas une ville bon marché. Le bâtiment se développe rapidement, et depuis peu sont même construits des complexes d’habitation modernes. Si dans la partie plus ancienne de la ville un appartement d’une pièce coûte entre 6 et 8 millions de tengués (12 200 – 16 270 euros), les prix des trois pièces commencent à partir de 15 millions de tengués (30 500 euros) et sont beaucoup plus élevés dans les nouvelles copropriétés. D’après les données du site Krisha.kz, la différence de coût entre les nouveaux complexes d’habitation et les logements plus anciens peut atteindre 4 ou 5 millions de tengués (8 130 – 10 170 euros) en fonction de la superficie et du nombre de pièces. Les prix à la location dépendent également de si l’appartement est en ville ou dans les nouvelles copropriétés. Des appartements ordinaires se louent pour 60 000 tengués (122 euros) pour un studio et à partir de 10 000 tengués (203 euros) pour un trois pièces. Les appartements VIP sont beaucoup plus chers, le particulier peut augmenter le prix en raison d’une bonne rénovation et de services supplémentaires.
Le coût de la vie
Il y a à Atyraou deux principaux supermarchés concurrents, ouverts par des entrepreneurs locaux. Et il y a des marchés, par exemple le marché communal Saraïtchik. Si les manifestations de début 2022, qui ont commencé dans la région d’Atyraou, demandaient au départ la baisse du prix du pétrole, il faut noter que les revendications sur les prix se sont rapidement généralisées. En effet, les produits d’alimentation sont trop chers pour les ménages modestes. Lire aussi sur Novastan : Manifestations de masse au Kazakhstan, le gouvernement limogé Par exemple, en supermarché, un poulet entier coûte 1 600 tengués (3,25 euros), un kilo de tomates 545 tengués (1,11 euro), le pain autour de 110 tengués (0,22 euros), le kilo de farine 300 tengués (0,61 euro) et le kilo de pommes de terre 150 tengués (0,30 euro). Le taxi n’est pas aussi cher qu’à Nur-Sultan ou Almaty, la capitale économique, mais atteint les prix des grandes métropoles. Le prix minimum pour une course est de 500 tengués (1,02 euro).
Pour ce qui est du divertissement, le passe-temps préféré des habitants d’Atyraou est de rendre visite à leur famille et leurs amis ou d’aller au restaurant. Ces derniers sont nombreux en ville et il y en a pour tous les goûts : européens, asiatiques, kazakhs, italiens, turcs et même mexicains. Les habitants aiment particulièrement se rendre au lac Touzdykol. Son accès a même été fermé pendant le confinement car trop de citadins fatigués de la pandémie allaient s’y reposer.
Rester ou partir ?
Rester vivre à Atyraou ou partir est une question personnelle et chacun la règle à sa façon. Atyraou a de nombreux avantages : la ville est commode, moderne et permet de faire une belle carrière. D’ailleurs, les jeunes locaux, après avoir fait carrière dans des compagnies pétrolières, partent souvent s’installer en Malaisie, en Corée du Sud ou à Londres. Contrairement aux histoires classiques de migrants Kazakhs qui travaillent à l’étranger d’abord en tant que personnel de service, les habitants d’Atyraou se dirigent directement vers un travail prestigieux.
Mais Atyraou a des inconvénients, surtout du point de vue de l’écologie. Presque tous les jours, les usines rejettent des substances nocives dans l’atmosphère, ce qui se sent à l’odeur constante de soufre ou de mazout. De plus, le climat à Atyraou est sec et chaud. La température atteint 40°C en été. Par ailleurs, en raison des propriétés du sol, Atyraou n’a pas beaucoup d’arbres et de végétation de manière générale. En outre, à cause de la consommation croissante, la production de déchets ne fait qu’augmenter. Mais nombre d’habitants ferment les yeux sur ces problèmes car tout le reste les satisfait.
Propos recueillis par Akmaral Chaïakhmetova Journaliste pour Kursiv.kz
Traduit du russe par Joris Elima
Édité par Paulinon Vanackère
Relu par Swann Herrenschneider
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