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Comment les investissements étrangers empêchent le développement des régions du Kazakhstan ?

L'attractivité des investissements directs étrangers est progressivement devenue, pour le Kazakhstan, une fin en soi. Les investisseurs ont pour premier objectif leurs propres bénéfices et non l'enrichissement et le développement du pays. Ainsi, les inégalités socio-économiques régionales ne cessent de croître.

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Les investissements directs étrangers freinent le développement du Kazakhstan (illustration). Photo: Almas Kaïsar/Vlast.kz.

L’attractivité des investissements directs étrangers est progressivement devenue, pour le Kazakhstan, une fin en soi. Les investisseurs ont pour premier objectif leurs propres bénéfices et non l’enrichissement et le développement du pays. Ainsi, les inégalités socio-économiques régionales ne cessent de croître.

Au Kazakhstan, depuis plus de 30 ans, les investissements directs étrangers (IDE) sont très présents. L’Etat compte sur cette pratique car cette dernière permettrait une croissance économique dite « saine », selon l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev. En 1997, il avait fait appel aux investisseurs étrangers, les considérant comme primordiaux pour le développement économique kazakh. Cependant, les inégalités socio-économiques sont flagrantes et les investisseurs ont pour priorité leur propre enrichissement et non le développement et la croissance économique du Kazakhstan. Le pays est un témoin des nombreuses difficultés que provoquent les IDE dans le développement des pays du Sud.

Les inégalités régionales ont plusieurs formes, mais s’expriment essentiellement dans la répartition inégale de la richesse nationale, peu importe où cette richesse a été produite. L’accumulation ou l’établissement de la richesse se produit dans les « points de croissance« , c’est-à-dire dans les villes et centres régionaux de plus d’un million d’habitants.

Pour l’exploitation et la consolidation d’un tel système, il est nécessaire d’avoir un maintien minimal du fonctionnement des agglomérations, où, comme dans le cas des villes mono-industrielles kazakhes, une rente naturelle est extraite. Aussi, pour légitimer ce type de système et lui donner un éclat scientifique et intellectuel, les postulats de la pensée économique traditionnelle dominante au Kazakhstan sont utilisés dans une véritable politique régionale.

Légiférer sur le développement des agglomérations

Le 1er janvier dernier, la loi sur le développement des agglomérations a été adoptée. Cette dernière avait commencé à être débattue au milieu des années 2010. Les agglomérations doivent devenir des « points de croissance » autour desquels se concentrera une vie économique active. La définition des principes du développement de ces agglomérations s’inscrit dans le cadre d’une des idéologies contemporaines laïques : l’économisme, qui doit être distingué de l’économie.

L’économie est conçue pour créer les conditions pour le développement progressif du bien-être. L’économisme est un équivalent du mécanisme, populaire aux XVIIIème et XIXème siècles. Pour l’économisme, la réalité sociale est supplantée par des théories et des modèles abstraits de l’économie néoclassique, qui n’ont pas de relations avec des sociétés particulières.

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L’économisme peut se voir attribuer les théories de l’importance d’attirer des investissements directs étrangers (IDE) pour le développement du pays ou d’une région donnée et de la valeur prépondérante de la croissance du PIB en tant qu’indicateur du succès de l’économie nationale.

Au Kazakhstan, la politique économique, si elle répond au critère de développement progressif, devrait aider à surmonter les différentes contraintes dans le développement des régions. Ce développement devrait se traduire par une augmentation des salaires, une augmentation de l’espérance de vie, une amélioration de la situation environnementale et de la qualité de l’éducation.

Une loi qui ne mise pas sur le développement territorial

La loi porte précisément sur le développement des agglomérations, et non pas sur le développement territorial du pays ni sur l’amélioration de la situation des personnes vivant en dehors des agglomérations.

Selon la loi, le système local des agglomérations au Kazakhstan se compose de la capitale, ou d’une ville d’importance nationale, Almaty ou Chymkent, ou d’une ville d’importance régionale « et des localités qui les entourent ». Le développement des agglomérations sera bâti sur le principe de la « viabilité économique », qui implique « l’adoption par l’État de décisions économiques pertinentes », assurant des « conditions favorables », y compris pour l’attractivité des investissements.

Les investissements directs étrangers, responsables du retard du Kazakhstan

En plus de 30 ans, la situation sur l’attractivité des investissements est devenue, pour le Kazakhstan, une fin en soi. En réalité, l’implication des investissements étrangers est un mécanisme de répartition inégale des richesses et des revenus entre les régions kazakhes. Ce processus est légitimé par l’argument selon lequel l’économie ne pourra croître sans investissements, autrement les agglomérations commenceront à se dégrader. S’il y a investissement, avant tout étranger, il y aura aussi croissance économique. Cette dernière aurait par défaut fourni aux régions tous les biens de base, des routes aux réseaux de chauffage. 

Contrairement à la science économique traditionnelle, l’économie politique, s’appuyant uniquement sur l’expérience de sociétés spécifiques et non sur des modèles abstraits, considère les entrées incontrôlées d’IDE comme l’un des facteurs du retard du pays. L’exemple du Kazakhstan confirme l’expérience négative d’autres pays du Sud. A la place d’une redistribution de la richesse, les IDE redistribuent les inégalités entre les régions.

Premièrement, ils permettent d’établir le contrôle sur l’économie régionale et de la transformer en une colonie de capitaux étrangers ou capitalistiques compradors. La majeure partie des industries productrices de pétrole, dans les régions d’Aktioubé, d’Atyraou, du Kazakhstan-Occidental, de Karaganda, de Kyzylorda et de Manguistaou, se trouvent sous le contrôle des investisseurs. La plupart de celles-ci sont parmi les plus défavorisées du point de vue du statut socio-économique de la population et de l’accroissement des inégalités, et ce malgré le fait que le niveau de produit régional brut qu’elles détiennent est l’un des plus élevés.

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Par exemple, le PIB régional moyen par habitant dans la région d’Atyraou en 2010 atteignait 36 000 dollars (33 600 euros), ce qui était comparable au niveau du Koweït. Cependant, cette « richesse moyenne » cachait un niveau colossal d’inégalités, qui s’est traduit par les célèbres évènements de Janaozen en 2011, qui se sont reproduits dix ans plus tard.

Des avantages pour les investisseurs étrangers

Deuxièmement, les investisseurs étrangers bénéficient d’énormes allègements fiscaux et d’autres préférences commerciales, le plus souvent aux frais de salaires inégaux et de normes environnementales revues à la baisse. L’investisseur n’a jamais intérêt à augmenter les salaires des travailleurs locaux et, en général, à améliorer leur niveau de vie. Les principaux bénéfices sont exportés de la région pour s’installer peu à peu dans le centre régional, Astana et Almaty, mais essentiellement sur des comptes offshores de propriétaires d’actifs.

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Troisièmement, il n’est pas nécessaire de compter sur la mise à niveau technologique des industries, qui se produirait soi-disant avec l’apport des IDE. L’investisseur n’investit pas pour utiliser les nouvelles technologies mais pour recevoir des bénéfices. Investir dans des relations plus respectueuses de l’environnement local ne l’intéresse pas. Y a-t-il l’apparition de nombreuses nouvelles industries dans les régions mentionnées qui seraient écologiquement neutres et qui, en plus, diversifieraient les économies locales ? Dans les conditions d’absence de politique stratégique industrielle de l’État, la dépendance à l’égard des ressources naturelles ne fait que s’accroître et l’effet positif sur les industries extractives reste minime.

Il s’avère que plus le pétrole et le minerai sont extraits, plus le niveau du PIB du Kazakhstan ou du PIB régional dans les régions pétrolières est élevé, plus le niveau d’inégalités et de tensions sociales s’accentue. Les conditions de travail dans les mines et les exploitations restent parmi les plus difficiles, avec des statistiques élevées sur les blessures et les décès. L’éducation devient de moins en moins inclusive : par exemple, la Banque mondiale indique que six élèves kazakhs sur dix sont peu éduqués. Il n’est pas exagéré de dire que la majorité, si ce n’est la totalité de ces six élèves, vont dans des écoles qui ne sont pas situées dans les régions centrales ou dans les grandes villes. La situation écologique se dégrade également d’année en année. L’un des marqueurs flagrants de ce constat est la mort massive de phoques sur les côtes de la mer Caspienne.

Une impulsion sous Noursoultan Nazarbaïev

Il faut aussi relever que l’appel aux IDE a été officiellement désigné comme l’une des priorités importantes et durables de l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev en 1997, dans son programme Kazakhstan 2030.

Dans cet appel, il est déclaré clairement que la « stratégie de croissance économique saine » se base sur « l’implication d’importants investissements étrangers ». C’est devenu une mise en œuvre directe de l’un des dogmes de la pensée économique populaire et dominante du Kazakhstan.

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Ces 30 dernières années, le Kazakhstan a attiré dans son économie 330 milliards de dollars (308 milliards d’euros), devenant le leader absolu des pays d’Asie centrale et l’un des leaders de la région eurasienne pour attirer les IDE. Cependant, ces fonds n’ont pas bénéficié aux régions kazakhes : cet argent les a fait reculer dans leur développement.

Améliorer l’attractivité régionale

Dans le cas de la loi sur les agglomérations, le critère d’efficacité sous la forme « d’attractivité des investissements » est dérivé de l’économisme. S’il faut s’en tenir à cette logique, il serait par exemple insensé pour l’État d’investir à Temirtaou, car Khromtaou attire plus d’investissements et mérite donc plus d’attention. Ainsi, les habitants de Temirtaou devraient à terme déménager à Khromtaou.

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Mais la réalité est bien plus compliquée. Les habitants quittent les villages et les petites villes ; le solde des migrations interrégionales à Almaty et à Astana pour les années 2017 – 2021 atteignait respectivement 177 100 personnes et 150 000 personnes. Le phénomène a commencé à se produire avant que les agglomérations ne se forment autour d’Almaty et d’Astana. C’est pourquoi il ne faut pas en faire un objectif de développement.

La politique régionale doit être orientée pour créer des mécanismes et des institutions visant à améliorer l’attractivité de la vie dans les 89 villes d’importance nationale, 45 villes d’importance de district, 31 bourgs et 6 828 localités rurales. Les centres nationaux et régionaux, en tant que « moteurs de la croissance économique », peuvent subvenir à leurs besoins sans efforts supplémentaires du centre.

Ce programme de développement des agglomérations mentionne le « principe d’équité », qui est interprété comme « le respect des intérêts des unités administratives et territoriales qui composent l’agglomération ». Il est évident que c’est encore une étape dans le cadre de l’idéologie déclarée du « Kazakhstan juste ». Mais si cette idéologie s’incarne par les anciennes méthodes qui se livrent à une « attractivité des investissements », alors la justice semble difficilement envisageable. Les lois qui ont été adoptées plus tôt ont montré la mauvaise volonté de l’État pour financer l’infrastructure locale. Pour autant, les propriétaires et investisseurs continuent de percevoir leurs bénéfices. Par conséquent, le développement des régions du Kazakhstan ne peut et ne doit pas dépendre de leur « attractivité en matière d’investissements ».

Kouat Akijanov
Economiste, pour Vlast

Traduit du russe par Naïs Chaudagne

Edité par Léane Vanier

Relu par Emma Jerome

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Commentaire (1)

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Vincent, 2023-06-18

Je peux comprendre que l’auteur du texte soit insatisfait que la priorité soit accordée à certains centres urbains et que les investissements soient dans l’industrie primaire. Mais pourquoi les IDE sont-ils responsables du retard? Retard par rapport à quoi? J’aurais aimé qu’il l’explique, ça pour l’instant on dirait du vent.

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