En 2022, des milliers de fermes britanniques ont embauché des ressortissants d’Asie centrale comme saisonniers. L’arrivée de ces travailleurs migrants est encadrée par un programme gouvernemental : suite au Brexit, le pays fait face à une pénurie de travailleurs agricoles. Bien que les migrants soient heureux d’avoir atterri au Royaume-Uni, ils souhaitent gagner plus afin de rembourser leurs dettes.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 19 août 2022 par Radio Azattyq, la branche kazakhe du média américain Radio Free Europe.
Des milliers de travailleurs migrants ouzbeks, kirghiz, tadjiks et kazakhs sont arrivés en 2022 au Royaume-Uni, dans le cadre du programme gouvernemental de recrutement des travailleurs saisonniers qui vise à remédier au sévère manque de travailleurs agricoles. Les agriculteurs locaux ayant averti le gouvernement britannique que, sans main-d’œuvre étrangère, les fruits et légumes pourriraient dans les champs, les autorités se sont engagées à mettre à disposition 40 000 visas de six mois pour travailleurs étrangers.
« Nos employeurs dans une ferme en Écosse nous ont donné environ 30 heures de travail sur une semaine de travail de six jours, au lieu des 48 heures que les recruteurs nous promettaient avant de venir au Royaume-Uni », a déclaré un cueilleur de fruits venu du Tadjikistan. « Une fois soustraits de mon salaire à la ferme le coût de la vie sur place, les frais de tous les jours, l’assurance maladie et la nourriture, il ne reste presque plus rien. Je suis venu ici pour travailler et envoyer de l’argent à la maison, mais ça ne s’est pas passé comme ça. »
Soutenez Novastan, le media associatif d’Asie centrale
En vous abonnant à Novastan, vous soutenez le seul média en anglais, français et allemand spécialisé sur l’Asie centrale. Nous sommes indépendants et pour le rester, nous avons besoin de votre aide !
Un genre de plainte qui semble commun aux migrants centrasiatiques travaillant dans l’ensemble du Royaume-Uni : « Heureusement, nous avons beaucoup de travail en ce moment. Mais pendant les premières semaines, nous n’avions pas grand-chose à faire », a déclaré un ouvrier agricole ouzbek de 27 ans qui travaille à Milton, dans le Cambridgeshire, en Angleterre. « Nous voulons plus de travail, nous voulons faire des heures supplémentaires. Nous devons gagner suffisamment d’argent en six mois pour nos familles restées au pays et rembourser les dettes que nous avons contractées afin de venir ici. »
Des promesses de contrats non tenues
Les migrants ont parlé à Radio Free Europe (RFE) sous anonymat, ne voulant pas « s’attirer des ennuis » à cause de leur témoignage. La fiche de salaire d’un travailleur centrasiatique à Milton indique qu’en une semaine, au mois d’août, après avoir réglé les frais d’assurance maladie obligatoire, il ne lui reste qu’environ 380 dollars (354 euros). 72 dollars (67 euros) supplémentaires sont également déduits de son salaire chaque semaine pour son hébergement dans une petite roulotte fournie par la ferme.
Plusieurs travailleurs d’Asie centrale ont déclaré à RFE qu’avant leur arrivée, les employeurs leur avaient promis un minimum de 48 heures de travail par semaine pour 10,10 livres sterling (11,37 euros) de l’heure. Cependant, une fois arrivés, certaines fermes leur ont fait signer de nouveaux contrats avec moins d’heures de travail et des salaires moins élevés. Un migrant qui a reçu un visa de travailleur saisonnier en mai a déclaré qu’il était payé 9,50 livres (10,69 euros) de l’heure, l’équivalent du revenu minimum britannique. Le Royaume-Uni a récemment fait passer le salaire des travailleurs saisonniers du revenu minimum à celui d’un travailleur qualifié. Selon les directives officielles du gouvernement, les travailleurs saisonniers qui ont reçu des visas le 6 avril 2022 ou après doivent être payés au moins 10,10 livres de l’heure.
Lire aussi sur Novastan : Des travailleurs ouzbeks incités à venir en Pologne pour récolter les pommes
Fruitful Jobs, l’une des plus grandes compagnies britanniques employant des travailleurs étrangers pour des entreprises au Royaume-Uni, a démenti l’affirmation selon laquelle des migrants centrasiatiques se seraient vu promettre 48 heures de travail par semaine. AGRI-HR, une entreprise qui recrute des travailleurs d’Asie centrale pour Fruitful Jobs, a également nié avoir fait de telles promesses.
« Bien mieux qu’en Russie »
Des millions de travailleurs migrants venus du Kirghizstan, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan, pays dépendants des transferts de fonds, travaillent en Russie dans des chantiers de construction, des fermes et des usines. L’annonce de l’arrivée d’emplois saisonniers dans des fermes britanniques était une opportunité que des milliers de travailleurs d’Asie centrale attendaient avec impatience.
Lire aussi sur Novastan : La difficile situation des migrants tadjiks installés en Russie
Un travailleur ouzbek de Milton a déclaré gagner plus d’argent et se sentir plus à l’aise en Grande-Bretagne malgré la barrière de la langue. Après avoir travaillé pendant cinq ans dans des entreprises de construction privées en Russie, ce jeune homme de 25 ans originaire de la ville de Marguilan est arrivé au Royaume-Uni en mai. « En Russie, je gagnais en moyenne environ 500 dollars (465,82 euros) par mois. En Grande-Bretagne, j’ai gagné environ 1 500 dollars (1397,48 euros) le mois dernier » a-t-il déclaré à RFE.
« En Russie, vous n’êtes jamais certain que votre employeur vous donne votre salaire. Là-bas, l’anarchie fait loi, tandis qu’en Grande-Bretagne je me sens protégé par la loi. » Un travailleur tadjik a déclaré qu’il gagnait « à peu près la même somme » en rénovant des habitations privées en Russie qu’en cueillant des légumes au Royaume-Uni. Il a aussi précisé qu’il « ne s’était jamais senti en sécurité en Russie » et qu’il avait été victime de discrimination raciale et de harcèlement de la part de ses employeurs et des forces de l’ordre. « Je me suis fait arrêter par la police en pleine rue simplement parce que je porte une barbe et que je suis basané », a-t-il déclaré.
« Maltraitances » et accusations de harcèlement
Cependant, tous les ressortissants d’Asie centrale ne sont pas satisfaits de leurs conditions de vie et de travail au Royaume-Uni. Un ouvrier de 35 ans originaire de Douchanbé, au Tadjikistan, a récemment quitté son emploi à Barnsmuir Farm en Écosse en raison de « circonstances insupportables » qu’il qualifie de « maltraitances » perpétrées par leurs chefs d’équipe, eux-mêmes originaires d’Europe de l’Est.
Le travailleur, qui a été embauché par Fruitful Jobs via AGRI-HR, a déclaré que ses problèmes au Royaume-Uni avaient commencé en même temps que ceux d’une vingtaine de ses compatriotes dès leur arrivée à l’aéroport d’Heathrow le 21 juin dernier. « AGRI-HR nous a dit que les représentants de la ferme qui nous avaient embauchés nous attendraient à l’aéroport, mais il n’y avait personne. » Lorsque le groupe a demandé de l’aide à AGRI-HR, un délégué de l’agence de recrutement leur a répondu que l’offre d’emploi à laquelle ils avaient répondu avait finalement été close.
En guise de remplacement, il les a invités à travailler dans une ferme de Barnsmuir, située bien plus loin, en précisant que les migrants devraient se rendre sur place à leurs propres frais. Les patrons de la ferme leur proposaient le revenu minimum et garantissaient un minimum de 30 heures de travail par semaine. Les migrants, qui ne parlaient pas anglais et n’avaient pas d’argent sur eux, ont été contraints de signer de nouveaux contrats.
Lire aussi sur Novastan : Les nouvelles lois sur les transferts de fonds russes pèsent sur le Kirghizstan
« Au travail, nous avons été maltraités par nos chefs d’équipe, bulgares, qui nous insultaient et nous rabaissaient verbalement », ajoute-t-il, précisant qu’il avait vu l’un d’eux « toucher une travailleuse centrasiatique de manière obscène alors qu’elle le suppliait de la laisser tranquille. » Le travailleur a déclaré que lorsqu’il s’est plaint de la situation, les chefs d’exploitation ont menacé de le licencier et, pour se venger, ont réduit ses heures de travail. Selon le migrant, il n’a finalement travaillé que 13 heures en neuf jours, ce qui était tout juste suffisant pour payer le logement et les frais de tous les jours.
Une députée britannique alertée
Les problèmes survenus à Barnsmuir Farm ont été rapportés à Wendy Chamberlain, la députée britannique responsable de la circonscription de North East Fife, où se trouve la ferme. Un citoyen britannique, Hywell Philippart, informé de la situation à la ferme par l’une de ses connaissances, a exhorté la députée à enquêter sur les abus qui auraient lieu dans sa circonscription. RFE a reçu une copie de la lettre de Hywell Philippart à la députée Chamberlain qui détaille les problèmes à Barnsmuir, notamment les licenciements arbitraires, le manque d’équipement de protection et les « conditions de vie épouvantables ».
Des problèmes similaires avaient déjà été signalés par deux autres travailleurs, un Kirghiz et un Ouzbek, qui avaient travaillé dans deux autres fermes en Angleterre. Depuis, ces hommes ont quitté leur emploi. Fruitful Jobs affirme avoir déjà résolu la plupart des problèmes dont la lettre fait l’inventaire. Justin Emery, directeur général de l’entreprise, a déclaré à RFE que des représentants de Fruitful Jobs se sont rendus à la ferme de Barnsmuir fin juillet aussitôt après avoir reçu une plainte.
Justin Emery a reconnu que la barrière de la langue pouvait conduire à « des malentendus, des tensions ou même des conflits » entre les « chefs d’exploitation expérimentés » venant d’Europe de l’Est et leurs nouvelles recrues, alors même que le Royaume-Uni requiert les services de travailleurs saisonniers de régions bien plus lointaines. Il a ajouté que les chefs d’exploitation de Barnsmuir et de plusieurs autres fermes ont été envoyés suivre des programmes de formation.
Des logements temporaires
Justin Emery a souligné que les logements temporaires, y compris les remorques mises à disposition des travailleurs étrangers par les fermes, font l’objet d’une inspection pour vérifier leur conformité aux règles approuvées par le gouvernement britannique. Selon lui, les travailleurs peuvent également louer des logements alternatifs à proximité de leur lieu de travail s’ils le souhaitent.
La plupart des travailleurs saisonniers vivent toutefois dans des roulottes pouvant accueillir jusqu’à six personnes, chacune coûtant environ 72 dollars la semaine. Ils partagent une petite cuisine et une salle de bain. Cependant, certaines fermes offrent des logements plus spacieux où les résidents peuvent pratiquer du sport ou se détendre. Interrogé sur les allégations de harcèlement sexuel, Justin Emery a déclaré : « Nous n’avons pas reçu de plainte de ce genre. C’est une question que nous prenons très au sérieux et nous nous tournerons vers la police si nous recevons des plaintes de cette nature. »
Entre temps, un migrant tadjik a trouvé un nouvel emploi sur un chantier de construction près de Londres. Il est interdit aux travailleurs saisonniers de travailler en dehors des fermes qui parrainent leurs visas. Mais le migrant a déclaré qu’il avait besoin de gagner de l’argent pour acheter son billet de retour qui, pour rentrer chez lui en hiver, lui coûtera quelques centaines de dollars. « Je partirai juste avant que mon visa n’expire », a-t-il déclaré à RFE.
Des milliers d’autres personnes veulent se rendre au Royaume-Uni
Le programme de recrutement de travailleurs saisonniers du Royaume-Uni a été inauguré en 2019 et prolongé jusqu’en 2024 étant donné que les agriculteurs ont besoin de main d’œuvre supplémentaire pour assurer les récoltes et remplir d’autres tâches. A la suite du Brexit, la circulation de ressortissants européens en Grande-Bretagne est devenue plus difficile. Les fermes qui comptaient sur des travailleurs venus de pays européens plus pauvres comme la Bulgarie et la Roumanie avant le Brexit sont désormais obligées d’embaucher des migrants de pays bien plus éloignés comme l’Indonésie, la Mongolie et le Népal.
Selon un rapport du Parlement britannique de 2021, la majorité des travailleurs saisonniers au Royaume-Uni entre 2019 et 2021 étaient Ukrainiens. En 2021, des visas de travail saisonnier ont été délivrés à 19 920 Ukrainiens. Les Russes occupaient la seconde place avec 2 278 visas attribués, suivis par les Bulgares et les Biélorusses. Le Tadjikistan figurait également dans le top cinq avec 980 visas délivrés. Cependant, le nombre de travailleurs ukrainiens et russes a fortement chuté en 2022 du fait de la guerre en Ukraine, tandis que le nombre de demandeurs de visas centrasiatiques a explosé. Des milliers de personnes originaires de la région sont actuellement à la recherche d’informations sur les conditions de travail saisonnier au Royaume-Uni.
Faranguiz Nadjiboulla
Journaliste pour Radio Azattyq
Traduit du russe par Joris Elima
Edité par Anthony Vial
Relu par Emma Jerome
Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout ! Si vous avez un peu de temps, nous aimerions avoir votre avis pour nous améliorer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anonymement à ce questionnaire ou nous envoyer un email à redaction@novastan.org. Merci beaucoup !