Après le Turkménistan, le président ouzbek se rendra au Kazakhstan pour renforcer les liens avec le grand voisin centrasiatique. Economie, développement durable, sécurité… de nombreux sujets seront abordés.
Pour sa seconde visite d’Etat après le Turkménistan, Chavkat Mirzioïev a choisi le Kazakhstan. Pour le président ouzbek, élu en décembre dernier après la mort soudaine d’Islam Karimov en septembre, cette visite revêt une grande importance.
A la veille de son déplacement à Astana les 22 et 23 mars, le président ouzbek, Chavkat Mirzioïev, a accepté de répondre aux questions de l’agence d’informations kazakhe Kazinform lors d’une entrevue exclusive.
Novastan traduit ici cette interview, après un travail d’édition.
C’est votre première visite au Kazakhstan dans le cadre de votre nouvelle fonction. Quels sont vos sentiments avant de décoller pour Astana ?
Cette visite est un évènement politique majeur dans le cadre des relations bilatérales entre nos deux pays, relations qui revêtent un caractère particulier à la lumière de notre histoire commune, de nos cultures, si proches, de nos traditions, de nos coutumes et de notre religion partagée.
L’Accord d’amitié éternelle entre l’Ouzbékistan et le Kazakhstan est le témoin du niveau très élevé des relations entre nos deux pays. Nos positions coïncident face à nombre de questions de politique régionale ou internationale. L’Ouzbékistan et le Kazakhstan se sentent investis d’une responsabilité vis-à-vis de leur grande région où ils souhaitent un renforcement de la paix et de la sécurité.
Nous nous réjouissons de l’autorité croissante du Kazakhstan au sein de la communauté internationale. En outre, le fait que le Kazakhstan siège actuellement au Conseil de sécurité des Nations Unies en tant que membre non –permanent définit déjà clairement le rôle que joue le pays sur la scène internationale ainsi que la place qu’il y occupe.
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L’Ouzbékistan connaît et respecte Noursoultan Nazarbaïev en tant que président de notre pays-frère, le Kazakhstan. Nous tenons en très haute estime ses qualités personnelles, qualités qui ont été exposées en pleine lumière en septembre dernier lorsqu’il est venu en Ouzbékistan pour rendre hommage à son ami Islam Karimov, premier président de la république d’Ouzbékistan. C’est un des ces gestes qui ne s’oublient pas…
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Je suis convaincu que cette visite au Kazakhstan nous permettra de faire un nouveau pas en avant sur la voie du développement de nos relations. Nous savons que nos concitoyens attendent énormément de cette rencontre et je vous assure que nous ne les décevrons pas.
Le développement durable de l’Asie centrale dépend énormément de niveau et de la qualité de coopération entre nos pays. Selon vous, qu’en est-il aujourd’hui des relations entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan ?
La relation entre l’Ouzbékistan et le Kazakhstan est une pierre angulaire du développement de l’Asie centrale. Ce n’est pas un hasard si un accord de partenariat stratégique entre nos deux pays avait déjà été signé par le passé. Il ne fait pas le moindre doute qu’il a joué un rôle crucial dans l’amélioration nos performances dans tous les secteurs.
Contrairement à des nombreuses autres régions, nous avons réussi à maintenir la paix et la stabilité et à échapper à tout grand conflit international, et ce même lors des périodes les plus noires de l’Histoire récente.
Cet exploit a été rendu possible en grande partie grâce à la politique éclairée et clairvoyante de nos pays qui, pendant de nombreuses années, ont réussi à tisser de bonnes relations mutuelles. Ensuite, celles-ci ont eu un impact positif sur nos collaborations avec d’autres pays d’Asie centrale.
Nos pays ont œuvré pour que l’Asie centrale devienne une zone exempte d’armes nucléaires, notamment sur la scène internationale où nous avons promu une initiative, adoptée ensuite en tant que texte officiel des Nations Unies. Je suis convaincu qu’en plus de leur impact régional, nos nombreux efforts ont permis le renforcement du régime de non-prolifération nucléaire un niveau mondial.
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Pour rester sur le thème de l’Asie centrale, nous comprenons bien qu’il est impossible de mener de grands projets régionaux, qu’ils touchent le secteur des transports et de voies de communication ou de l’énergie, sans une coopération active entre les pays de la région et un très haut niveau d’intégration. Si l’Asie centrale est aujourd’hui un des acteurs-clés des projets énergétiques et de transports au niveau international, c’est parce que les pays de la région ont beaucoup œuvré au niveau international.
Grâce à des initiatives conjointes, l’Asie centrale se transforme véritablement en un carrefour d’axes routiers unissant l’Occident à l’Orient et le Nord au Sud. Par exemple, la nouvelle route de la Soie est en train de renaître de ses cendres et nous nous trouvons à nouveau, après des siècles, au centre de cet axe principal qui sillonne le contient eurasiatique.
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Bien sûr, la crise financière mondiale ne pouvait pas épargner la dynamique de nos échanges commerciaux. À ce sujet, il convient toutefois de reconnaître que le potentiel de coopération entre nos deux pays n’est pas exploité à son plein potentiel. Plus de 230 entreprises à capitaux kazakhs sont actives en Ouzbékistan et il y a plus de 130 entreprises impliquant des résidents de notre pays. Nous pourrions améliorer ces chiffres, et largement. De même, il est aussi possible de multiplier le volume d’échanges commerciaux, comme en témoignent les nouvelles initiatives proposées par les représentants du secteur privé de nos deux pays. Certaines initiatives sont d’ailleurs déjà en cours de mise en œuvre.
Sur la scène internationale, il est de plus en plus souvent question de la « diplomatie du peuple », qui inclut l’avis des milieux scientifiques et culturels ainsi que les relations interparlementaires, les contacts directs avec les régions et le secteur privé. Selon vous, où nous mène la coopération entre nos pays et nos peuples ?
Effectivement, de nos jours, les relations internationales ne se cantonnent pas aux échanges entre gouvernements ou aux voies diplomatiques traditionnelles. Désormais, d’autres phénomènes incontournables permettent de sonder la profondeur des relations bilatérales. Prenons les contacts interparlementaires, les liens entre les organes représentatifs du pouvoir. La diplomatie parlementaire ne tombe pas du ciel, elle a ses raisons d’exister. Elle fait office de ressource indispensable lorsqu’il est question de relations entre Etats. Les parlementaires ne se satisfont plus de perfectionner la base juridico-légale les relations bilatérales. En plus de ce rôle, ils endossent celui de représentants du peuple, ils se font leur porte-voix et ont dès lors plus de poids lorsqu’il est question du développement de la coopération entre plusieurs pays.
Lors de la visite qui s’annonce, nous prévoyons de signer un accord de secteur qui permettra d’ouvrir un nouveau chapitre des relations interparlementaires entre nos deux pays. A ce propos, il convient de noter qu’un groupe de travail interparlementaire sur la coopération avec le parlement kazakh a été crée suite à une disposition conjointe de l’Assemblée législative et du Sénat de l’Oliy Majlis (le parlement ouzbek, ndlr).
Selon nous, c’est une initiative cruciale puisque les contacts étroits entre députés sont appelés à faire à faire office de catalyseur pour la coopération dans de nombreux secteurs, notamment dans le développent des relations interrégionales.
Par « diplomatie du peuple », on sous-entend aussi les liens qui relient les représentants des milieux culturels, scientifiques et de l’enseignement. Je suis convaincu que l’Ouzbékistan a toutes les qualités requises pour élever ces liens à un niveau supérieur. Je pense que la visite qui nous attend nous permettra d’accorder nos violons quant aux mécanismes de promotion de la collaboration dans ces domaines.
Dès le début de votre mandat, vous avez placé la région de l’Asie centrale au centre des priorités de la politique extérieure de l’Ouzbékistan. Selon vous, quels sont les volets prévalents pour le renforcement de la coopération régionale en Asie centrale ?
L’Asie centrale a toujours été fortement dépendante de ses ressources en eau et aujourd’hui, avec le réchauffement planétaire, la problématique de la consommation d’eau est plus pressante que jamais. Dans ce contexte, gaspiller la moindre goute d’eau devient un crime envers les générations à venir.
Un pays ne peut pas régler le problème seul, même s’il dispose des technologies le plus avancées pour économiser l’eau. Là encore, nous sommes sur la même longueur d’onde que le Kazakhstan. Nous sommes en faveur de l’adoption d’une stratégie unique et du respect des normes uniques du droit international pour résoudre les problèmes qui se posent.
Il en va de même pour les pays de la région disposant de ressources significatives et d’une pléthore d’avantages comparatifs : ils ne peuvent pas les utiliser sans prendre en compte le reste de la région. Un pays isolé ne devrait pas proposer couper l’herbe sous le pied de ses voisins en proposant ses ressources énergétiques sur les marchés mondiaux. C’est pourquoi nous devons trouver un terrain d’entente et élaborer un système intégré et unifié de gestion des transports, ouvrir de nouveaux axes de transports qui nous seront mutuellement profitables.
Pour revenir à la question de la coopération régionale, voici comme je définirais la politique actuelle de l’Ouzbékistan : ne pas fuir les questions qui fâchent et trouver des compromis raisonnables.
Les questions de renforcement de la sécurité régionale et internationale seront à l’ordre du jour de votre entrevue avec Noursoultan Nazarbaïev. Quelles sont les possibilités de collaboration entre Astana et Tachkent dans ce secteur ?
D’emblée, je voudrais souligner que les approches de l’Ouzbékistan et de Kazakhstan ont toujours coïncidé pour les grandes problématiques auxquelles fait face la communauté internationale. Nous avons toujours soutenu les initiatives de l’autre sur la scène internationale et je suis convaincu que nous ne dévierons pas de cette voie.
Nos pays sont profondément préoccupés par les questions de sécurité, tant au niveau régional qu’au niveau international. À cet égard, il me faut souligner que l’Ouzbékistan salue les efforts constructifs consentis par le Kazakhstan afin de renforcer la paix et la stabilité dans la région. Il convient de noter certaines initiatives kazakhes comme la création de la Conférence pour l’interaction et des mesures de confiances en Asie (CICA). De plus, le Kazakhstan participe au développement des mesures de coopération multilatérales dans d’autres domaines.
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En ce qui concerne les menaces transnationales qui pèsent sur la paix et la stabilité, nous pensons que toute réponse adéquate se doit d’être internationale. Je pense que de la prochaine réunion de l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai, ndlr), qui aura lieu en juin à Astana, et la présidence kazakhe pourront apporter leur pierre à l’édifice et permettre d’améliorer l’efficacité de cette organisation multilatérale face aux questions de lutte contre les menaces transnationales et de renforcement de la paix et de la stabilité dans notre région.
Nous avons compris il y a bien longtemps que, pour régler les problèmes de sécurité, il faut garantir le développement économique durable et résoudre les problèmes qui préoccupent nos concitoyens. C’est pourquoi, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le radicalisme, en plus d’activer des mesures de sécurité, nous devons inclure des efforts pour permettre une croissance économique pérenne, garantir la libre entreprise et satisfaire les besoins de chaque individu. Ce sont là les premières étapes pour garantir la sécurité et le développement durable.
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Nous n’oublions pas l’Afghanistan, pays frontalier de l’Ouzbékistan, lorsque se posent les questions de politique extérieure et d’intensification de nos relations avec nos voisins. Nous savons tous que la situation qui touche l’Afghanistan représente des défis particuliers pour l’Asie centrale. C’est pourquoi il est naturel que l’Ouzbékistan et le Kazakhstan souhaitent une résolution rapide du problème afghan.
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La transition de l’Afghanistan vers la paix dépend intrinsèquement de son développement économique, auquel peuvent prendre part les pays de notre région. Bien sûr, à cet égard, le potentiel des grands projets d’infrastructures conjoints est gigantesque. Pensons au développement de l’axe de transport trans-Afghanistan qui permettra aux pays de la région d’avoir accès aux ports d’Asie méridionale, du golfe Persique et du Moyen-Orient.
Je suis convaincu que la coopération régionale pour la mise en œuvre de projets conjoints en Afghanistan dans des secteurs comme le développement de l’énergie et des axes de transports peut, grâce à l’expérience de nos spécialistes, jouer un rôle crucial dans le renforcement du processus de paix dans le pays.
Que souhaitez-vous aux Kazakhs à l’occasion des célébrations de Norouz ?
Ma visite au Kazakhstan tombera pendant la fête du printemps et c’est tout un symbole ; cette fête ancienne que nous aimons tant est notre héritage commun. Elle marque le début d’une année nouvelle, d’un renouveau, d’une nouvelle vie.
Je pense qu’on peut affirme aujourd’hui que le Kazakhstan, qui vient de prendre plusieurs décisions très importantes, qui a amendé sa constitution et qui a adopté, comme nous, une stratégie d’action fondée sur 5 piliers prioritaires, se trouve aussi sur la voie du renouveau et du développement.
Nous souhaitons sincèrement au Kazakhstan de continuer à s’épanouir. Nous sommes que convaincus que grâce à son dirigeant éclairé, le grand ami de l’Ouzbékistan, Noursoultan Nazarbaïev, le Kazakhstan atteindra tous les objectifs inscrits dans sa stratégie « Kazakhstan-2050 ». Il ne peut pas y avoir l’ombre d’un doute ; les objectifs fixés seront atteint et le peuple kazakh passera à un nouveau niveau de développement.
Traduit du russe par Thomas Rondeaux