Mitkhat Boulatov a laissé une empreinte durable sur l’architecture de Tachkent. Principal architecte de la ville pendant la Seconde Guerre mondiale, il est ensuite écarté avant de revenir suite au tremblement de terre de 1966 qui laisse une ville à reconstruire.
Alors que l’Europe est en feu, à des milliers de kilomètres de là, autour des steppes centrasiatiques, un jeune architecte nommé Mitkhat Boulatov trace les contours de la capitale de l’Ouzbékistan.
Durant la Seconde Guerre mondiale, alors que les bombes tombaient ailleurs, c’est avec des plans et des croquis que Mitkhat Boulatov répondait à l’urgence de loger, de reconstruire et de réinventer une ville-refuge devenue un carrefour d’exilés et d’artistes.
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En vous abonnant à Novastan, vous soutenez le seul média européen spécialisé sur l’Asie centrale. Nous sommes indépendants et pour le rester, nous avons besoin de votre aide !Le chercheur en architecture Alexeï Arapov, qui a personnellement connu ce maître, revient sur sa trajectoire dans une interview pour le média ouzbek Podrobno.uz.
Bâtir la ville de Tachkent en temps de guerre
En commémorant la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est essentiel non seulement de garder le souvenir de ceux qui ont combattu sur le front, mais aussi de ceux qui ont œuvré à l’arrière.
L’architecte Mitkhat Boulatov ne tenait pas dans ses mains des armes, mais des plans, des dessins et des schémas de transport. Avec le soutien de ses collègues, il a imaginé, dessiné et façonné les traits de la ville de Tachkent, en tant que principal centre d’évacuation de l’Union soviétique.
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En 1941, alors que la guerre éclate en Union soviétique, la ville de Tachkent prend la forme d’un refuge pour des centaines de milliers de personnes déplacées. La ville évolue à grande vitesse et des individus y affluent. Des bâtiments d’envergure, comme des théâtres, des usines ou des instituts scientifiques se construisent. Il fallait tout organiser pour l’accueil : hébergements, logistique, infrastructures. Ce défi monumental a reposé en grande partie sur les épaules de Mitkhat Boulatov, alors architecte en chef de la ville.
Une précieuse contribution
Avant la guerre, il travaillait déjà sur le plan directeur de Tachkent, mais le conflit a bouleversé ses calculs, qu’il a entièrement reformulés pour repenser la ville et l’adapter à l’urgence. Il était nécessaire d’adapter la ville à une réalité qui avait subi un changement radical. Malgré ce défi de taille, il n’a jamais vu son espoir s’effondrer.

« Il avait à peine 30 ans, mais avait déjà la réputation d’un homme méthodique, rigoureux, connu pour sa vision globale et sa maitrise technique. Il avait vraiment cette capacité de concevoir la ville comme un organisme vivant. C’était de la logistique de guerre traduite en lignes et en structures », ajoute Alexeï Arapov.
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Mitkhat Boulatov était une figure marquante de son temps. Il était ambitieux, exigeant et intransigeant. Il bénéficiait d’un profond respect de ses collègues, y compris des architectes les plus accomplis. Il était même parfois redouté, tant il se montrait peu tolérant à l’erreur et à la médiocrité. Il refusait le travail bâclé et exigeait le même engagement de ses collaborateurs.
Une reconnaissance après la guerre
Sa contribution pendant les années de guerre a été récompensée par l’ordre du Signe d’honneur en 1945 et par la médaille « Pour un travail vaillant pendant la Grande Guerre patriotique de 1941–1945 », en 1946.
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Après la guerre, Mitkhat Boulatov a poursuivi son propre travail. Sous sa direction, des projets de nouveaux quartiers, de réseaux techniques, ainsi que des reconstructions du centre-ville ont vu le jour. Cependant, les années 1960 ont marqué un changement significatif : une nouvelle vague architecturale issue de Moscou, avec d’autres styles et conceptions, a submergé Tachkent. Ainsi, il a été mis à l’écart.
« Il a été contraint de quitter l’architecture pratique. D’autres détails sont inconnus, mais des conditions dures ont été imposées au point qu’il ne pouvait plus poursuivre son travail sur des projets concrets. Ensuite, il s’est orienté plutôt vers la recherche scientifique, se consacrant ainsi à l’analyse et à l’écriture », affirme Alexeï Arapov.

En 1966, après le tremblement de terre, Mitkhat Boulatov a de nouveau pris part au processus de reconstruction de la ville. C’est sous sa direction qu’a commencé la réédification à grande échelle de Tachkent.
Un héritage profond
L’architecte est décédé en 2004, à l’âge de 97 ans. Quelques années après sa mort, Alexeï Arapov et l’épouse du célèbre architecte, Véra, ont publié un livre intitulé Cosmos et architecture. Il s’agit d’un ouvrage qui réunit non seulement les croquis et les manuscrits de l’architecte, mais les projets qui n’ont jamais été réalisés. Publié à l’occasion du centenaire de l’architecte, ce livre comprend également ses travaux théoriques et ses réflexions.
Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les publications, les livres et les articles qui rappellent le souvenir et les contributions de cet architecte de renom, mais aussi la ville de Tachkent elle-même, qui continue de préserver son héritage avec un profond respect.
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L’influence de cette figure emblématique de l’architecture ouzbèke résonne intensément, et ce dans les moindres recoins de la capitale. De nombreux projets réalisés sous sa direction restent des éléments clés de l’architecture urbaine. Parmi eux, les bâtiments de la rue Alicher Navoï, l’hôtel « Tachkent » (aujourd’hui Lotte City Hôtel Tachkent Palace), la colonnade du ministère de la Santé et le stade Pakhtakor.
Chacun de ces édifices reflète l’approche systémique de Boulatov, reposant sur la fonctionnalité, l’harmonie et l’esthétique.
Mila Aksenova
Journaliste pour Podrobno.uz
Traduit du russe par Lisa D’Addazio
Édité par Emma Fages
Relu par Charlotte Bonin
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Mitkhat Boulatov, architecte de Tachkent à l’heure de la Seconde Guerre mondiale