Les pays d’Asie centrale, et notamment l’Ouzbékistan, soutiennent la mise en place d’une route commerciale qui traverserait à la fois l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Malgré les avantages économiques qu’elle propose, cette route rencontre d’importants obstacles politiques.
Le corridor de Zanguezour, traversant le massif du même nom entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, est récemment devenu un élément d’attention internationale. Le contexte géopolitique actuel, avec deux foyers de guerre majeurs, a entraîné de nombreuses sanctions et détourné les voies de transport.
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Un pont entre deux continents
Le Caucase du Sud est souvent considéré comme un port entre l’Ouest et l’Est, ce qui en fait un lieu important pour différents acteurs. Cependant, la région a été sujette à des conflits ces trois dernières décennies. Depuis l’opération rapide menée par l’Azerbaïdjan lors du conflit du Haut-Karabakh en septembre 2023, il est question d’ouvrir le corridor de Zanguezour.
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Cette route, qui passerait par le territoire arménien, donnerait au gouvernement azerbaïdjanais un accès direct à son exclave du Nakhitchevan.
L’analyste politique Anastasia Lavrina justifie ainsi l’importance du corridor de Zanguezour dans son article pour le média azerbaïdjanais aze.media : « Le corridor de Zanguezour deviendra la voie de transport terrestre la plus courte entre les océans Pacifique et Atlantique, ainsi que le point d’intersection des routes Nord-Sud et Est-Ouest. Il élargira considérablement l’exploitation des voies de transport terrestre reliant l’Europe et l’Asie. »
Un corridor court avec des effets à longue portée
L’utilisation de ce corridor pourrait en fait augmenter la vitesse de transport, comme l’indique Amina Bayramova, du Centre d’analyse et de communication des réformes économiques d’Azerbaïdjan, pour le média azerbaïdjanais Mili.az. Actuellement, le chemin de fer Bakou-Tbilissi-Kars est utilisé pour le transport international transcaucasien. Les trains de marchandises doivent traverser le territoire géorgien alors que le corridor de Zanguezour n’est long que de 43 kilomètres. Si les voies ferrées sont prolongées, la distance entre la Turquie et l’Azerbaïdjan sera réduite d’un total de 343 kilomètres.
De plus, l’effet s’étend à tous les pays participant à la chaîne logistique entre l’Europe et la Chine. Narguiza Nasymbekova, docteur en sciences économiques, écrit pour le portail économique kirguiz Akchabar : « Des recherches ont montré que l’amélioration des infrastructures de transit peut stimuler considérablement le commerce intra-régional, les estimations suggérant des augmentations allant jusqu’à 50 % dans certains contextes. Cela est particulièrement vrai pour les régions enclavées telles que le Nakhitchevan, qui bénéficieront d’un meilleur accès aux marchés internationaux grâce au corridor de Zanguezour. »
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De plus, Vusal Gasimli, directeur exécutif du Centre d’analyse des réformes économiques et de communication de la République d’Azerbaïdjan, affirme que le corridor de Zanguezour représente une alternative moins coûteuse aux autres projets de la région dans le cadre des Nouvelles routes de la Soie, dont fait partie la construction du chemin de fer Chine-Kirghizstan-Ouzbékistan.
Des avantages pour l’Asie centrale
Le corridor de Zanguezour ouvre des perspectives pour le développement du transport transcaspien, alors qu’une intensification des échanges commerciaux entre les régions du Caucase du Sud et de l’Asie centrale est déjà observée.
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Ainsi, selon les informations du portail gouvernemental de la République d’Ouzbékistan, au cours des cinq dernières années, le chiffre d’affaires des échanges commerciaux avec l’Azerbaïdjan a triplé. Depuis le début de cette année, ce chiffre a encore augmenté de 20 %.
La route transcaspienne, ou Corridor du Milieu, facilite l’accès des pays d’Asie de l’Est, centrale et du Sud au marché européen via des routes terrestres, ce qui renforce leur avantage concurrentiel. Le Corridor du Milieu part des frontières occidentales de la Chine, traverse l’Asie centrale, la mer Caspienne, le Caucase du Sud, la Turquie, pour finalement atteindre les frontières de l’Union européenne.
La livraison des marchandises selon l’itinéraire traditionnel prend deux semaines – contre 16 jours pour le Corridor Nord – en suivant le chemin de fer Bakou-Tbilissi-Kars. En remplaçant la section géorgienne de l’itinéraire par la section de Zanguezour, le temps de trajet peut être davantage réduit, ce qui est crucial, car chaque heure ou kilomètre supplémentaire augmente les coûts.
Un projet soutenu par l’Ouzbékistan
La chercheuse Narguiza Oumarova analyse ainsi : « Le lancement de la route du Zanguezour répond pleinement aux intérêts géoéconomiques des « cinq » d’Asie centrale, qui ont été parmi les premiers à soutenir cette initiative. »
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L’Ouzbékistan, en particulier, a exprimé à plusieurs reprises sa solidarité avec Bakou sur la question du Zanguezour, en faisant appel au rôle stratégique de la route passant par le Nakhitchevan, rapporte le média ouzbek Gazeta.
« En raison de la priorité accordée par Tachkent au transport transcaspien dans les échanges commerciaux avec les pays du Caucase du Sud, la Turquie et l’Union européenne, le raccourcissement du Corridor du Milieu donne à [l’Ouzbékistan] un avantage proportionnel sous la forme d’une réduction des coûts de transport et de transit, ce qui permettra aux produits nationaux de résister à la concurrence des prix sur les marchés mondiaux », continue la chercheuse.
Des obstacles politiques
Bien qu’elle soit envisageable sur le papier, la mise en œuvre du corridor de Zanguezour est encore loin d’être une réalité. Et cela principalement parce que l’Azerbaïdjan et l’Arménie ne sont pas parvenus à des accords de paix.
Je fais un don à NovastanL’histoire donne également des raisons d’être assez pessimiste. Le journaliste spécialisé sur le Caucase Thomas De Waal en explique les raisons : territoire d’expression des conflits entre les grands voisins de la région et en proie à des politiques ethnonationalistes, le Caucase du Sud n’a pratiquement aucune expérience de collaboration dans son histoire. Les projets d’intégration régionale ont systématiquement échoué, à l’exception de l’expérience soviétique.
Des conditions que l’Arménie n’est pas prête à accepter
Selon Anar Valiyev, doyen de l’Académie diplomatique d’Azerbaïdjan, qui a accordé un entretien à Thomas De Waal, « ce que l’Azerbaïdjan veut, c’est qu’il n’y ait pas de points de contrôle, ni qu’il ait à s’arrêter à la frontière. Nous sommes dans une situation où nous avons de l’influence, nous avons du temps et nous pouvons dicter nos conditions. »
Mais après avoir perdu une partie de son territoire dans le conflit et été contrainte à signer des accords désavantageux, l’Arménie ne souhaite pas faciliter le projet.
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Pour le chercheur Piotr Gawliczek, le terme de « corridor » suscite l’inquiétude de l’Arménie car il implique une extraterritorialité. Cependant, l’Azerbaïdjan a déjà reculé sur certaines modalités et son président a déclaré vouloir installer des points de contrôle aux deux extrémités du corridor, ce qui selon lui dissiperait les doutes sur toute menace à l’intégrité territoriale du pays. Mais la confiance mutuelle est au plus bas et ces affirmations ne convainquent pas forcément.
Les relations conflictuelles entre les deux pays ne sont pas encore résolues de manière pacifique, avec des violations du cessez-le-feu et des dénonciations occasionnelles de part et d’autre. Si le corridor doit exister selon les accords de cessez-le-feu de novembre 2020 et être mis en place avec la médiation de la Russie, les termes exacts sont encore soumis à de vives discussions.
Samad Alizade
Rédacteur pour Novastan
Relu par Elise Medina
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Vincent Gélinas, 2024-11-14
Je ne vois pas ce que l’Arménie aurait à gagner, sauf d’éviter une autre attaque.
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