Dans la société tadjike, l’injonction à jouer le rôle de mère pèse avec insistance sur les femmes. Pourtant, elles subissent des discriminations lorsqu’elles tombent enceintes. Leurs employeurs essaient de se débarrasser d’elles, dans la crainte qu’elles ne soient pas en mesure de remplir leurs obligations professionnelles, alors que le pays dispose de lois qui interdisent de telles pratiques.
Dans le code du travail du Tadjikistan, la résiliation d’un contrat de travail avec une femme enceinte à l’initiative de l’employeur est explicitement désignée comme inadmissible. Pourtant, dans la pratique, cette loi se contourne très facilement : de nombreux dirigeants d’entreprise n’offrent simplement pas d’emploi aux jeunes femmes, afin de s’assurer de ne pas avoir à les laisser partir en congé maternité dans un avenir proche.
S’il arrive qu’une salariée tombe enceinte en étant officiellement employée, il reste possible de se débarrasser d’elle par le harcèlement. En réaction, la femme enceinte dépose elle-même sa lettre de démission.
Les craintes des employeurs face au congé maternité
La raison d’un tel comportement de la part des employeurs réside dans leur crainte qu’après l’accouchement, la femme ne puisse plus remplir ses obligations professionnelles. En outre, il est dans ce cas-là requis d’accorder à la jeune mère un congé maternité payé de 140 jours.
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Dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), signée par le Tadjikistan il y a 30 ans, il est dit que les inégalités de genre et la discrimination constituent la première violence faite aux femmes.
« En 2020, je travaillais comme conseillère d’orientation dans une des universités de Douchanbé. Immédiatement après mon mariage, le doyen de la faculté a commencé à me faire des allusions, me demandant si ce n’était pas trop difficile pour moi de continuer à travailler, si je voulais m’occuper uniquement des tâches ménagères. J’ai répondu que je pouvais faire face à toutes mes responsabilités et que je voulais continuer à travailler », raconte Narguis*, une habitante de Douchanbé ayant demandé à rester anonyme du fait de l’impossibilité de prouver les violations par son employeur.
Harcèlement et pression pour démissionner pendant la grossesse
Après quelques temps, Narguis apprend qu’elle est enceinte et en fait part à la direction. Il lui est expressément demandé d’écrire une lettre de démission.
« J’ai demandé : pourquoi ? Et le doyen a prétendu qu’il n’aimait pas ma façon de travailler. Mais il n’a pas su me soumettre de réclamations précises sur mon travail, car dans les faits, je remplissais toutes mes tâches, et même plus », se remémore Narguis.
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Alors qu’elle en est déjà à sa dixième semaine de grossesse, Narguis commence à être victime de harcèlement de la part de son responsable, puis du reste de ses collègues.
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« Ça a commencé avec des regards de travers, des rumeurs, ils ne me répondaient pas, ignoraient mes courriers, puis faisaient semblant d’avoir oublié de répondre. Cette attitude m’a mise en état de stress, jusqu’à menacer d’interrompre ma grossesse. Les médecins m’ont conseillé d’aller à l’hôpital, mais je me disais qu’ils ne me laisseraient pas aller travailler. Alors mon mari s’est mis en colère et m’a dit d’écrire ma lettre de démission », raconte Narguis.
La difficulté de retrouver du travail
Sa grossesse s’est poursuivie. Cependant, elle n’a reçu aucun des paiements requis par la loi.
« Je sais qu’ils ont violé la loi et que j’aurais pu essayer d’obtenir justice au tribunal, mais je n’avais simplement pas la force de me battre », explique-t-elle. « Ma grossesse était en danger, et je ne pouvais pas la risquer. Une femme dans cette situation est très vulnérable et il lui est difficile de lutter contre tout le système ; mes anciens employeurs en ont profité. »
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« Je suis toujours femme au foyer et ne parviens pas à trouver la force de retourner travailler, car j’ai maintenant un petit enfant. Cette histoire a porté un coup très dur à mon estime de moi-même », regrette Narguis.
Une lutte inégale à travers le monde
Le problème de la discrimination à l’égard des femmes enceintes est également d’actualité dans la plupart des pays du monde, y compris les pays développés. Par exemple, aux Etats-Unis, une loi a même été adoptée en 1978 qui interdit la discrimination à l’égard des femmes enceintes et décrit ce phénomène.
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Cependant, dans les pays développés, le niveau judiciaire et les mécanismes juridiques s’ajoutent à la protection des droits des travailleurs par divers programmes de diversité et d’inclusion, dont la présence et l’efficacité sont des critères d’évaluation publique des employeurs.
Malheureusement, au Tadjikistan, de tels programmes n’existent pas à ce jour. De plus, la loi est impuissante à protéger les femmes enceintes de la discrimination cachée à laquelle elles sont confrontées.
*Le nom a été changé.
La rédaction d’Asia-Plus
Traduit du russe par Elise Medina
Édité par Ella Boulage
Relu par Charlotte Bonin
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