La génétique permet un éclairage historique nouveau sur le peuple kazakh et les différentes tribus qui le composent depuis plusieurs siècles. Interrogé par le journaliste Damir Sattorov, le chercheur Jaksylyk Sabitov livre les avancées récentes à ce sujet, notamment sur la composition de la nation kazakhe ou encore sur les mythes fondateurs du Kazakhstan démentis par la génétique.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 10 février 2021 par le média russophone CAAN (Central Asian Anatycal Network).
Jaksylyk Sabitov est un historien kazakh qui s’intéresse à l’éclairage qu’apporte la génétique à l’histoire. Il revient pour le média russophone CAAN, Central Asian Anatycal Network, sur quelques-unes de ses récentes découvertes, notamment sur les sources dont il dispose pour présenter la nation kazakhe ou encore sur les mythes fondateurs du Kazakhstan qui ont pu être ébranlés par la génétique.
CAAN : Comment la nation kazakhe se présente-t-elle du point de vue génétique ?
Jaksylyk Sabitov : En génétique, il existe trois systèmes de parenté pour décrire une population. Le premier, le génome mitochondrial, est transmis par la lignée de la femme. Le second, le polymorphisme du chromosome Y, provient de la lignée de l’homme. Il est l’un des 46 chromosomes qui définit le sexe et se transmet quasiment inchangé du père au fils. Enfin, les autosomes constituent le portrait génétique général à partir de tous les chromosomes.
Concernant le portrait génétique général, il existe une étude de Baïazit Iounousbaïev basée sur l’analyse des marqueurs des autosomes qui permet de déterminer quand un groupe ethno-génétique s’est formé en tant qu’ensemble. Selon ses recherches, le groupe ethno-génétique connu aujourd’hui sous le nom de kazakh est apparu au XIIIe siècle. Il est issu du métissage entre les tribus locales et les nomades arrivés à cette époque d’Asie de l’Est.
Toutes ces données sont confirmées par les informations fournies par l’anthropologie physique. Deux études de qualité ont été publiées à ce sujet : la première, celle d’Orazak Ousmagoulov, montre que d’un point de vue anthropologique, le type caractéristique des Kazakhs modernes est apparu au XIIIe siècle, c’est-à-dire après la migration vers le territoire du Kazakhstan des peuples nomades d’Asie de l’Est. Auparavant, les types mongoloïde et caucasien coexistaient à hauteur de 50/50. Après l’arrivée des nomades d’Asie de l’Est (les Mongols, les Naïmans, ou les Djalayirs entre autres tribus), le rapport est passé à 70/30 en faveur du type mongoloïde.
La deuxième étude est celle de l’anthropologue Léonid Iablonski. En comparant des échantillons anciens à ceux de la population actuelle, il a pu montrer que, toujours du point de vue anthropologique, les Kazakhs sont proches des nomades de la Horde d’Or. La population sédentaire diffère, mais les nomades de la Horde d’Or sont très proches des Kazakhs.
Ces trois analyses partent de données différentes. En se basant sur le génome mitochondrial, il est difficile d’obtenir des informations intéressantes en matière d’histoire personnelle. Il existe une large variété de génomes mitochondriales chez les Kazakhs ; leur diversité est ainsi trois fois supérieure à celles des Russes. Cela suggère qu’il y a eu de nombreux flux migratoires, et la polygamie a également joué un rôle important.
En s’intéressant aux gènes transmis de père en fils, il apparaît que la lignée coïncide souvent avec le chejire. La période pendant laquelle les fondateurs de ces lignées directes ont vécu remonte à l’époque de la Horde d’Or, du temps de Djötchi. On s’aperçoit également que le nombre de générations est le même.
Aujourd’hui, de quelles sources disposons-nous pour mieux comprendre l’origine du peuple kazakh ?
En plus des sources que j’ai mentionnées précédemment, il y a aussi la mémoire orale des Kazakhs : les épopées héroïques, le folklore et le chejire. Dans son article publié dans La revue de la Horde d’Or, l’historienne Irina Viktorovna Erofeïeva montre par exemple comment Janibek Khan, personnage emblématique du folklore kazakh, est associé à Djanibeg, qui fut khan de la Horde d’Or de 1342 à 1357. Les Kazakhs percevaient son règne comme une sorte d’« âge d’or » et il est l’un des dirigeants les plus importants de cette époque.
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Auparavant, avec les œuvres de l’auteur kazakh de romans historiques Ilyas Esenberline, on considérait que Janibek Khan et le khan kazakh Djanibeg était une seule et même personne, mais Irina Viktorovna Erofeïevna a prouvé que ce n’était pas le cas. En plus d’être un personnage central du folklore kazakh, on le retrouve dans beaucoup de contes et légendes en tant que personnage de premier ou second plan. Il s’avère que le chejire est une source qui permet de déterminer clairement que beaucoup de premiers représentants des clans ou des tribus sont aussi à l’origine d’autres lignées ; souvent, ces seigneurs ont vécu juste avant ou juste après l’époque de la Horde d’Or. En d’autres termes, une bonne partie du folklore kazakh vient de cette période-ci.
Quelles possibilités nous offrent la génétique ?
La première est historique. Ces cinq dernières années, nous avons obtenu beaucoup de nouvelles données en paléogénétique. Avant, lorsque nous exhumions des restes humains, il était impossible de savoir l’origine ethnique des individus, quelle langue ils parlaient, où vivaient leurs ancêtres et où se trouvaient leurs descendants. Bien que la paléogénétique ne permette pas de découvrir l’origine linguistique ou ethnique d’une personne, elle permet de déterminer d’où venaient ses ancêtres, où sont ses descendants, et de quel ensemble ethnique un individu se rapproche. Et la paléogénétique s’accorde souvent avec la paléoanthropologie. Il existe par exemple plusieurs études de paléoanthropologie sur les Saces et les Scythes du Kazakhstan oriental. À l’époque soviétique, sans approche anthropologique, on considérait que les Saces et les Scythes étaient les mêmes partout. Grâce à l’anthropologie, il apparaît que les Saces qui vivaient dans l’Altaï à l’est du Kazakhstan sont proches des anciennes populations de la dépression de Minoussinsk. La paléogénétique arrive aux mêmes conclusions.
Il y a aussi les découvertes de Botaï, grâce auxquelles deux ADN sont connus : l’un d’eux s’est avéré être l’ancêtre des Coumans (principalement les clans Karabalyk, Koldenen, Ouzoun et Tory). Sans les données fournies par la paléogénétique, nous n’aurions pas pu savoir cela, nous n’aurions pu que l’imaginer. C’est aussi un bon outil pour vérifier la véracité du chejire . Nous nous en sommes par exemple servis avec le clan des Argyns. L’époque où a vécu leur premier ancêtre commun selon le chejire correspond parfaitement à ce que dit la génétique. Et dans le cas des Coumans, les dates du chejire diffèrent de 200 ans de celles des données génétiques.
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Enfin, il existe des cas d’application pratiques. Mon premier cas d’utilisation de la génétique en tant qu’outil de reconstitution d’une généalogie date de 2007, alors qu’un Gengiskhanide ne connaissait ses ancêtres que sur sept générations. Quand nous avons commencé à parcourir les archives, il s’est avéré qu’il existait trois versions de filiation père-fils portant le même nom et datant de la même époque, dans trois endroits différents du chejire des Gengiskhanides. Nous avons fait des analyses génétiques pour ces trois lignées et pour l’homme en question, et nous avons pu déterminer grâce à la correspondance des marqueurs STR qu’il était descendant du sultan Barak (1731-1750). Dix ans plus tard, le test ADN approfondi Big Y700 est apparu, permettant de prouver qu’il possédait également une mutation présente chez les descendants du sultan Barak ; ce résultat confirmait donc en principe son origine. En d’autres termes, la génétique permet de se positionner clairement sur toutes ces versions historiques, mais aussi de répondre à de nombreuses questions que les archives seules ne peuvent résoudre.
Quels clans kazakhs ont les mêmes autosomes et le même portrait génétique ?
Quand on étudie les autosomes et les chromosomes Y, on voit clairement que, pour ce qui est des autosomes, les Kazakhs se différencient très peu les uns des autres. Le clan Adaï à l’ouest, les tribus Naïman à l’est, Argyn au nord et Doulat au sud présentent à peu de chose près les mêmes autosomes : les Kazakhs ont moins de diversité dans leurs autosomes que d’autres peuples voisins, dont la densité de population est pourtant plus élevée. Toutes les différences entre clans kazakhs se trouvent sur le chromosome Y, transmis de père en fils. Autrement dit, si nous avons les mêmes autosomes, notre originalité et notre différence génétique sont en revanche transmise par la lignée du père, ce qui coïncide avec le chejire kazakh.
Les chromosomes Y, les autosomes et le génome mitochondrial de tous les clans kazakhs du système des Jüz (ou hordes) sont-ils aujourd’hui étudiés ?
Pour le moment, nous étudions uniquement les clans les plus importants. Nous avons déjà publié un article sur les Argyns, un autre est en cours sur les Kiptchaks ; nous écrirons ensuite sur les Kereïs et les Konyrats. Nous avons déjà fait paraître une littérature conséquente sur la Grande jüz, plus récemment est sorti un article sur la Petite jüz, et nous espérons écrire prochainement sur la Jüz moyenne. Nous étudions les caractéristiques communes, mais il y a aussi des clans peu représentés qui ne sont pas traités. Par exemple le clan Jetyrou de la petite Jüz : nous n’avons d’eux qu’un tableau approximatif, il nous faut aller plus en profondeur et étudier plus de sujets. En tout, 70 % des clans kazakhs ont été étudiés.
Aujourd’hui, quels mythes fondateurs du Kazakhstan ont été ébranlés par la génétique ?
Qu’est-ce qu’un mythe ? C’est la représentation simplifiée d’une réalité complexe : en d’autres termes, c’est toujours une simplification. Ce peut être des mythes d’État ou des mythes populaires, apparus d’eux-mêmes. Ils peuvent se baser sur des éléments scientifiques ou non. Un de ces mythes importants vient de l’époque soviétique, lorsqu’on considérait qu’il existait une civilisation unique des Scythes et des Saces, de la Moldavie et de l’Ukraine jusqu’au Touva. Mais si l’on en croit Hérodote, les Saces (ou les Scythes) étaient composés de trois ou quatre peuples qui vivaient très proches les uns des autres, et qu’on ne trouvait pas sur le territoire du Kazakhstan. Par exemple, les Saces haoma (du nom d’une boisson sacrée des Indo-iraniens) vivaient sur l’actuel territoire du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan, les Saces « capuchons pointus » en Ouzbékistan et possiblement dans le sud-est du Kazakhstan, et les Saces « d’au-delà de la mer » en Ukraine. Mais, toujours selon Hérodote, dans l’actuel Kazakhstan vivaient les Arimaspes, les Agrippéens, les Issédons, les Sauromates (plus tard Sarmates) et les Massagètes.
En d’autres termes, Hérodote ne donnait le nom ni de Scythe ni de Sace à ces différents peuples. Pendant la période soviétique, à cette situation s’est ajouté le fait qu’on disait que le monde scytho-sace ne faisait qu’un, avec une culture matérielle à peu près commune. La génétique va à l’encontre de cette thèse.
Les Scythes de l’Est et de l’Ouest avaient des racines génétiques différentes
Les publications de ces dernières années prouvent que du point de vue génétique, les Saces et les Scythes n’étaient pas qu’un seul et même peuple. Génétiquement, ils se différenciaient au contraire parfois énormément les uns des autres. La géographie y est pour beaucoup. Il se trouve que les Scythes de l’Est et ceux de l’Ouest avaient des racines génétiques différentes. Par exemple, les Scythes de l’Est sont, d’après leurs autosomes, les ancêtres des peuples turciques de Sibérie, des Kazakhs, des Kirghiz, et même des Tatars de Kazan. Mais les Scythes de l’Ouest ont d’autres descendants. Tout cela démontre que ces conceptions présentées comme académiques et faisant partie de l’histoire doivent être changées. Car d’un côté elles ne correspondent pas aux sources d’époque (Hérodote), et de l’autre, la génétique montre que ces peuples ne faisaient pas qu’un. Ils se différenciaient du point de vue génétique, mais aussi du point de vue anthropologique, et il est également difficile d’affirmer qu’ils étaient similaires du point de vue ethnique.
Peut-être que leur culture matérielle se ressemblait, ainsi que leur style animalier (style ornemental caractérisé par les motifs animaliers, ndlr), mais il ne s’agissait pas pour autant d’un seul et même peuple.
Certains commencent à créer un autre mythe en expliquant des absurdités par la génétique. Par exemple, il y a le mythe selon lequel le haplogroupe C serait mongol : c’est tout à fait absurde, et cette rumeur se dissipe déjà. Les recherches sur les Xiongnu et d’autres peuples montrent que, déjà pendant l’Antiquité, les peuples se mêlaient : il n’y avait alors pas de peuples à un seul haplogroupe, et il est impossible d’associer un quelconque haplogroupe à une nation, une ethnie ou une tribu. Il est possible de faire quelques reconstitutions, mais pas de dire que tel peuple avait tel haplogroupe, car cela se transmet par la lignée du père, tandis que la langue est un phénomène social, qui se transmet par les interactions sociales, et la lignée du père peut ne pas correspondre à la culture et à la langue d’une personne. Il est important de noter que la langue et les haplogroupes sont issus de domaines différents et qu’il ne faut pas les mélanger.
Vous avez dit que l’ADN féminin des Kazakhs est trois fois plus diversifié que chez les Russes. À quoi est-ce dû ?
Cela est lié au fait que les Kazakhs étaient nomades, qu’il y avait des migrations, et qu’en plus ils étaient polygames. Si vous y prêtez attention, vous verrez que les Kazakhs, comme les autres peuples nomades, prennent en compte le concept d’« effet fondateur », qui consiste en ce qu’une seule personne peut avoir énormément de descendants, et c’est quelque chose d’inhérent aux peuples nomades. Cependant, cet effet fondateur arrive par les femmes, or les femmes peuvent venir de l’est, de l’ouest, du sud. Notre projet montre des génomes mitochondriaux qui correspondent à ceux des habitants de l’île de Hainan, d’autres à ceux de la Grande Bretagne. La route de la Soie a fait circuler les gènes de l’Orient à l’Occident et de l’Occident à l’Orient, et ces gènes sont souvent arrivés au Kazakhstan par l’intermédiaire des femmes, car la société patriarcale en avait besoin, l’effet fondateur y étant très important. En effet, si l’on prend l’exemple cité par Rachid al-Din, un seul descendant de Khassar, frère de Gengis Khan, avait mille descendants au bout d’un siècle, et s’ils ont poursuivi cette tradition, leurs descendants sont encore plus nombreux. Dans l’ensemble, cet effet fondateur était caractéristique de tous les peuples nomades, et c’est pourquoi le génome mitochondrial est plus diversifié chez ces peuples-ci.
Quelle est la probabilité que votre ADN corresponde à l’ADN de quelqu’un d’autre ?
La probabilité que mon génome mitochondrial corresponde à celui d’autres Kazakhs est très faible. Lorsque nous voulons établir des liens de parenté ou, par exemple, identifier un criminel, il est ainsi plus aisé au Kazakhstan de passer par le génome mitochondrial que par le chromosome Y, car celui-ci présente d’autres caractéristiques. Mais avec le génome mitochondrial, il y a peu de correspondances possibles ; ils sont très divers et représentent donc ce en quoi nous sommes uniques. Si l’on trouve une concordance, alors les deux personnes ont des liens de parenté par la lignée de la mère ; cela signifie qu’à un moment, leurs arrière-grands-mères respectives étaient sœurs. Si la concordance a lieu par les chromosomes Y, alors il y a homoplasie : des haplotypes de parents proches et lointains commencent à correspondre. Ou alors, cela se produit parce que la population est nombreuse et qu’il y a une forte probabilité pour que chez deux personnes non liées, les mutations aillent dans la même direction. Il s’avère alors que ces deux personnes ont un lien de parenté. Mais les marqueurs STR du chromosome Y ne prouvent pas une parenté proche.
Je peux citer mon propre exemple. Lorsque nous avons commencé ces recherches, mes marqueurs STR étaient proches des marqueurs écossais, mais quand nous avons étudié les marqueurs SNP, le résultat s’est avéré complètement différent : il y avait eu homoplasie et la mutation de l’ADN avait pris la même forme. Justement, les marqueurs SNP du chromosome Y sont importants car ils sont uniques et forment une sorte de cicatrice génétique : s’ils étaient présents chez un ancêtre, alors il est inscrit dans l’ADN des descendants, et il n’y aura pas de perte de la mutation dans cette partie de l’ADN. Dans notre article sur les Argyns, nous avons écrit que la mutation SNP se produit une fois toutes les quatre générations. En comptant le nombre de mutations SNP, on peut établir quel est le degré de parenté entre différentes personnes.
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Mais nos autosomes ont peu été étudiés. Il me semble par ailleurs nécessaire d’évaluer différemment le degré de parenté par autosomes chez les Kazahks, dont la société patriarcale autorisait la polygamie, et chez les Européens, monogames. Parce que quand on écrit chez nous que deux personnes sont cousines au quatrième degré, ces conclusions sont basées sur des conceptions occidentales, alors que la polygamie pouvait induire que les liens de parenté ne venaient pas d’une seule lignée, mais de deux ou trois. Et la correspondance de certains gènes a mené à la conclusion que deux personnes étaient cousines au quatrième degré alors qu’elles étaient aussi cousines au septième degré. C’est pourquoi nous avons des représentations différentes pour ces trois systèmes de parenté.
Quels peuples présentent un ADN identique à celui des Kazakhs ?
Trois ethnies ont un ADN identique par les autosomes : les Karakalpaks, les plus proches des Kazakhs par les autosomes ; les Nogaïs qui vivent plus près des Kazakhs, à Stavropol et éventuellement au Daghestan ; et enfin les Kirghiz.
Quelles sont les études menées dans les autres Républiques d’Asie centrale ?
En plus des recherches kazakhes, on peut mentionner les études kirghizes. Des découvertes en ce qui concerne autant le paléo-ADN que les structures des clans et des tribus au regard de la génétique y ont été faites. Mais je ne peux pas trop en dire avant la publication des résultats.
Les recherches effectuées entre autres sur les peuples karakalpak, turkmènes, ouzbeks et sur les clans pachtounes et hazaras, s’avèrent prometteuses. Jusqu’à présent, ces peuples n’étaient pas vraiment inclus dans la recherche du point de vue de la généalogie génétique et de la génétique des populations.
Quels débats ont lieu entre les Tadjiks et les Ouzbeks à propos de l’origine et de l’histoire de ces peuples ?
Le différend entre Ouzbeks et Tadjiks porte pour le moment sur l’histoire. Mais je pense que dans 10 ans, pas avant, le débat entrera dans le domaine de la génétique. Pour le moment, il reste dans un cadre historique plus traditionnel.
Quels projets d’étude de l’histoire par la génétique avez-vous réalisés ces dernières années, vous et vos collègues, que ce soit ou non pour le compte de l’État ?
Quand notre projet a débuté, il n’était pas pour le compte de l’État et il était financé exclusivement par la société civile. Chaque personne qui se faisait tester, en plus de satisfaire sa curiosité personnelle quant à ses origines, venait enrichir notre base de données. Cette dernière est commune à tous les Kazakhs et s’est formée grâce aux organisations scientifiques et aux militants civils, à tous ceux qui ont voulu se faire tester et ont partagé leurs données.
Ce fonds participatif s’élève déjà de 300 à 400 000 dollars : c’est ce que les gens ont dépensé pour s’étudier eux-mêmes. Cette somme a commencé à être assemblée en 2007. Quant aux programmes gouvernementaux, nous n’avons malheureusement pas reçu de financements de la part de l’État pour le moment. Avant, il était difficile d’obtenir une bourse et beaucoup de facteurs non scientifiques entraient en ligne de compte dans le processus d’attribution. Lorsque nous avons commencé ces recherches scientifiques, nous étions financés par des Moscovites et nous avions un échantillon qui n’atteignait même pas les 1 500 Kazakhs. Mon collègue Maksat Jabaguine a soutenu sa thèse en se basant sur ces données. Aujourd’hui, nous rédigeons nos articles scientifiques en collaboration avec des généticiens, autant sur les Jüz que sur des tribus.
Quels sont vos futurs projets d’études sur le sujet ?
Premièrement, nous devons étudier tous les clans kazakhs et chacun d’entre eux doit faire l’objet de publications de qualité. Deuxièmement, il y a des populations voisines qu’il est nécessaire d’étudier pour leur spécificité : les Kirghiz, les Karakalpaks, les Ouzbeks, les Turkmènes, les Kalmoukes, les Mongols. Les Kirghiz ont, comme les Kazakhs, un chejire qu’ils appellent « sanjyra ». Ils ont de la chance car leur sanjyra a été mis par écrit pour la première fois au XVIe siècle, et si on le compare avec la version du XXIe siècle, on s’aperçoit que l’ancien est plus exact, plus précis et a été moins déformé. Tous ces peuples qui nous entourent ont besoin d’être étudiés et les recherches doivent être interdisciplinaires, exécutées en collaboration avec des historiens locaux.
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Si on les étudie comme le font les Européens et les Américains, c’est-à-dire géographiquement, sans prendre en compte le clan et la généalogie, on risque d’arriver à des résultats assez superficiels. Je me souviens que des Américains avaient publié un article dans lequel ils avaient étudié des populations kazakhes d’Almaty et de Katonkaragaï. Il en était ressorti que des Naïmans vivaient à Katonkaragaï, et d’autres clans à Almaty. En se basant sur ces résultats, ils avaient déclaré que tous les Kazakhs étaient soit des Naïmans, soit des Albanais, ce qui est bien sûr erroné. Il fallait les étudier plus en profondeur, prendre des échantillons plus larges, prendre en compte toutes les informations historiques à disposition et déterminer le chejire : les résultats scientifiques auraient été plus exacts et plus intéressants non seulement pour les généticiens mais aussi pour les historiens.
Les analyses génétiques sont-elles populaires parmi les habitants du Kazakhstan ?
Elles le sont dans une catégorie spécifique de la population. Certaines personnes se sont vu offrir des tests ADN en cadeau, car c’est plus original que de recevoir une voiture. En d’autres termes, elles sont appréciées chez ceux qui peuvent se permettre de dépenser au minimum 70 dollars pour un test ADN, mais jusqu’à 700 dollars pour un test approfondi.
Les analyses génétiques sont-elles effectuées au Kazakhstan, ou uniquement à l’étranger ?
Les analyses génétiques ont lieu au Kazakhstan. Quant aux tests commerciaux, ils sont ici deux à trois fois plus chers qu’aux États-Unis. Si l’on vend les fournitures nécessaires aux tests ADN au Kazakhstan, ils coûtent plus cher à cause des droits de douane, de la logistique, etc. En 2013, le professeur de l’Académie nationale des sciences kazakhe, Marat Moukhanbetkazievich Tajine, a fondé chez nous des laboratoires poursuivant trois objectifs : étudier la population actuelle du Kazakhstan, la paléogénétique, et les anciennes races animales.
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En tout, 300 millions de tenges (environ 590 000 euros) ont été investis. Le laboratoire fonctionnait, mais le personnel était peu nombreux, les publications trop rares et beaucoup d’erreurs ont été commises. Ils essaient maintenant de remédier à cela, mais à l’époque cet argent a été dépensé de manière vraiment irrationnelle.
En dehors du prix, les analyses génétiques aux États-Unis et au Kazakhstan sont-elles différentes ?
Oui. Il est à noter qu’il y a les analyses commerciales et les analyses scientifiques. Les analyses scientifiques sont basées sur une norme déterminée par l’entreprise qui fournit le réactif chimique. À titre de comparaison, nous pouvons étudier 27 marqueurs STR avec l’analyse scientifique, alors qu’en Amérique on peut faire au choix l’analyse de 12 à 700 marqueurs STR. Ils ont leur propre standard commercial et peuvent donc se permettre de tester 700 marqueurs STR, ce qui dépasse de 25 fois les standards scientifiques. En cela, la différence est bien sûr tout à fait marquée. Cependant, nous utilisons souvent dans nos articles les données de séquences entières du chromosome Y issues d’analyses faites aux États-Unis. Par exemple, dans l’article sur les Argyns, nous avons utilisé les données issues d’un laboratoire commercial américain, parce qu’à ce moment-là il n’y avait pas d’alternative. En outre, on peut commander une analyse américaine à partir de n’importe quel point du globe, et si on ne la demande que pour 12 marqueurs, elle coûtera deux à trois fois moins cher qu’au Kazakhstan.
Combien coûte une analyse génétique au Kazakhstan ?
L’analyse de 27 marqueurs STR coûte environ 150 dollars (environ 127 euros), mais on trouve aussi des intermédiaires qui vendent pour 500 dollars (soit 423,55 euros) des analyses qui en coûtent 70 (soit 59,3 euros). Pour se faire tester à Almaty, on peut s’adresser à la compagnie TreeGene. Mais je conseillerais plutôt de se faire directement tester chez le leader mondial, Family Tree DNA, sans aucun intermédiaire.
Damir Sattarov Historien, journaliste
Traduit du russe par Paulinon Vanackère
Édité par Laure de Polignac
Relu par Anne Marvau
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