A Chymkent, dans le sud du Kazakhstan, les autorités continuent d’ignorer la valeur des œuvres d’Ouzakbaï Kochkinbaïev. Ses mosaïques, présentes à travers toute la ville, disparaissent les unes après les autres.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 29 janvier 2021 par le média kazakh Vlast.kz.
En décembre 2020, dans la ville de Chymkent, dans le sud du Kazakhstan, une mosaïque sur laquelle était écrit « Protégez les monuments culturels » a été détruite. À la place de cette œuvre, installée en 1985 sur la façade d’une polyclinique, il a été décidé de mettre des panneaux publicitaires.
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Cette mosaïque a été créée par l’artiste Ouzakbaï Kochkinbaïev, célèbre en Asie centrale et décédé en mai 2020. Il a réalisé des dizaines de panneaux de mosaïque pour des villes du sud du Kazakhstan comme Chymkent, Kyzylorda et Taraz. Ses œuvres décorent aussi des stations du métro de Tachkent en Ouzbékistan, où il a étudié.
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Malheureusement, tous les panneaux ne sont pas conservés et sont, depuis peu, systématiquement détruits. La veuve de l’artiste, Koulsiya Tourapbaïeva, en a discuté avec les journalistes de Vlast.
« Les mosaïques ne sont pas entrées dans la liste des monuments culturels et historiques »
Koulsiya Tourapbaïeva raconte qu’il y a quelques années, du vivant de l’artiste, deux de ses mosaïques ont été détruites. Il s’agit d’un panneau intitulé Balghin, sur le mur du palais des étudiants, et de la mosaïque Jouldyznama, qui représentait des animaux, au cinéma Kazygourt.
« Plus tard, quand le cinéma a été transformé en restaurant, les mosaïques ont été enlevées. J’ai demandé pourquoi à l’architecte principal de la ville, Bakhytjan Achirbaïev, et il a répondu : « L’akim (gouverneur au Kazakhstan, ndlr) n’aime pas les mosaïques ». A cette époque, Askar Myrzakhmetov était akim », raconte la veuve de l’artiste.
Sur sa page Facebook, le chercheur en art monumental Dennis Keene a été le premier à parler de la destruction de ces panneaux de mosaïque qui appelaient à préserver les monuments culturels. Le département de santé de la ville de Chymkent a considéré que la mosaïque située sur la façade du bâtiment de la polyclinique ne possédait pas de valeur culturelle historique.
Des fonctionnaires incapables de justifier ce choix
Les autorités ont adressé une demande au département de la Culture, du Développement, des Langues et des Archives de la ville de Chymkent. Elles voulaient déterminer qui avait jugé de la valeur de la mosaïque et comment.
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Malheureusement, les fonctionnaires n’ont pas pu répondre clairement à cette question. Dans une réponse officielle, le département a déclaré que les mosaïques, en principe, n’étaient pas incluses dans la liste des monuments historiques et culturels.
« En 1994, à l’initiative du ministère de la Culture de la République du Kazakhstan, avec la participation de spécialistes de l’Institut d’histoire et d’ethnologie Tchokan Valikhanov et de l’Institut d’archéologie Alexeï Margoulan, le livre Collection des monuments de l’histoire et de la culture du Kazakhstan. Région du Kazakhstan du Sud a été publié », est-il dit dans la réponse du département de la Culture.
« La collection comprend 44 monuments de l’histoire et de la culture de la ville de Chymkent », continue-t-elle, ce qui signifie que les fonctionnaires travaillent apparemment toujours à définir les monuments protégés.
Une loi qui reste floue
Les fonctionnaires du département ont tout de même jugé nécessaire, dans leur réponse, d’admettre la valeur de ce patrimoine. Ils citent la loi « sur la protection et l’utilisation des objets du patrimoine historique et culturel ».
Selon celle-ci, l’organisme d’État habilité identifie et définit le statut des monuments historiques et culturels.
« L’organe exécutif local, en accord avec l’organe responsable, reconnaît les objets du patrimoine […] en tant que monuments culturels et historiques d’importance locale et les inclut dans la liste D’État des monuments […] sur la base de la conclusion de l’expertise historique et culturelle », stipule cette loi.
Une question demeure : qui fait cette expertise et comment ? Au total, à Chymkent, la liste nationale des monuments historiques et culturels d’importance locale comprend huit monuments. 36 autres sont sur la liste d’inscription provisoire. Aucune mosaïque n’en fait partie.
« Sur un accord tacite, ils vont supprimer tout son travail »
Koulsiya Tourapbaïeva a appris la destruction de la mosaïque en passant devant la polyclinique. Pour sauver le panneau, elle s’est tournée vers l’Union des artistes. La réponse de celle-ci a été que l’akim avait probablement donné sa permission.
« Je ne sais pas vers qui me tourner, où aller. Personne ne se soucie de ce problème. Ouzakbaï a travaillé de nombreuses années dans le style kazakh pour que l’art de notre peuple ne disparaisse pas. Mon mari a laissé beaucoup d’œuvres de valeur, il est l’auteur de nombreux grands objets réalisés dans les années 1980 et 1990 », raconte la veuve de l’artiste.
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« Ouzakbaï a également réalisé les croquis du célèbre monument au bey Baïdibek », se souvient-elle.
« Le sort de ces mosaïques dépend des propriétaires des terrains »
Selon le président de l’Union des artistes de Chymkent, Abdoumatalip Akhmetov, il y a plusieurs années, son organisation souhaitait rassembler toutes les œuvres d’Ouzakbaï Kochkinbaïev et faire une exposition sur l’avenue Noursoultan Nazarbaïev. L’idée a été présentée à l’administration de l’akim, mais personne ne l’a écoutée.
Les journalistes de Vlast ont décidé de photographier les œuvres restantes d’Ouzakbaï Kochkinbaïev dans la ville de Chymkent. Certaines mosaïques sont en train de disparaître : elles se désagrègent petit à petit. Apparemment, le nouvel akim ne favorise pas non plus l’art monumental.
« Le sort de ces mosaïques dépend des propriétaires des terrains sur lesquels elles se trouvent. Les propriétaires eux-mêmes décident de retirer la mosaïque ou de la laisser », explique Abdoumatalip Akhmetov.
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L’Union des artistes va proposer à l’akim de prendre les panneaux sous sa protection. « Peut-être faut-il signer des accords avec les propriétaires des bâtiments sur lesquels se trouvent les mosaïques, pour qu’elles ne puissent pas être démolies sans autorisation », estime le président de l’Union des artistes.
« Il est nécessaire de donner le statut de monument historique aux œuvres d’Ouzakbaï. Il n’est pas trop tard pour tout protéger. J’aimerais que l’État protège des œuvres aussi précieuses. Maintenant, on ne fait tout simplement plus de telles mosaïques. Nous devons donc les protéger, c’est notre devoir », conclut-il.
Nazerke Kourmangazinova
Journaliste pour Vlast.kz
Traduit du russe par Lucie Philip
Édité par Paulinon Vanackère
Relu par Izold Guégan
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