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Coronavirus : du Kazakhstan ou de la Russie, qui a la meilleure stratégie anticrise ?

Alors que le monde fait face à la pandémie de coronavirus, les États mettent en place des mesures variées pour en mitiger l’impact économique. Avec des mesures d’aide correspondant à 9 % de son PIB, le Kazakhstan se situe dans la moyenne mondiale. La Russie, en revanche, espère s’en sortir à moindre frais, ayant annoncé des dépenses équivalentes à 2,8 % de son PIB.

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La Russie et le Kazakhstan ont choisi deux stratégies relativement différentes pour lutter contre la crise économique du coronavirus (illustration).

Alors que le monde fait face à la pandémie de coronavirus, les États mettent en place des mesures variées pour en mitiger l’impact économique. Avec des mesures d’aide correspondant à 9 % de son PIB, le Kazakhstan se situe dans la moyenne mondiale. La Russie, en revanche, espère s’en sortir à moindre frais, ayant annoncé des dépenses équivalentes à 2,8 % de son PIB.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 16 mai 2020 par le média kazakh Central Asia Monitor.

Alors que la pandémie de coronavirus touche depuis le début de l’année 2020 la quasi-totalité des États à travers le monde, l’heure est aux comparaisons. En l’occurrence, les différences entre les exemples kazakh et russe peuvent être instructives. Après avoir été frappé par le coronavirus, Nur-Sultan a déployé des mesures d’aides correspondant à 9 % de son Produit intérieur brut (PIB), contre 2,8 % pour Moscou.

D’un côté, si l’on dresse un parallèle avec l’expérience de la crise de 2008-2009, on constate clairement que les pays ayant le moins souffert sont ceux qui ont dépensé le plus. Il faut ainsi se souvenir que le Kazakhstan avait dépensé environ 16 milliards de dollars (11,4 milliards d’euros) en mesures anti-crise, soit environ 15 % de son PIB, lui permettant de maintenir une croissance annuelle à un peu plus de 1 %. La Russie avait choisi une autre voie, ne dépensant qu’environ 40 milliards de dollars (28,6 milliards d’euros) – ce qui est supérieur en valeur absolue, mais n’équivalait qu’à 2,6 % du PIB national. Ces mesures se sont clairement révélées insuffisantes, la Russie ayant vu son PIB se contracter de 8 % en 2009. En 2010, le taux de croissance de l’économie kazakhe avait été deux fois supérieur à celui de son voisin.

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D’un autre côté, il n’est pas certain que, dans la crise actuelle, les réserves financières de pays dépendants des hydrocarbures comme la Russie et le Kazakhstan soient d’une importance fondamentale. Il est courant d’engloutir des millions, voire des milliards, dans des projets « révolutionnaires » dont le public ne voit jamais l’aboutissement. Pour ces pays, le facteur clé est moins l’ampleur que la qualité et la viabilité des projets mis en œuvre. Or, ni la Russie ni le Kazakhstan ne sont réputés pour leur fiabilité dans l’application des grandes politiques publiques.

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En se référant à la crise précédente, le Kazakhstan pourrait avoir une longueur d’avance sur la Russie. Il y a 10 ans, les économistes russes avaient d’ailleurs loué l’action du pouvoir kazakh, dont le plan était plus cohérent et mieux orienté à long terme. Parmi ses points forts, des investissements directs dans les infrastructures, une réduction de l’imposition sur les PME et un soutien au secteur agricole et à la consommation. Au contraire, le plan russe obéissait à une vision de court terme destinée seulement à combler les manques les plus immédiats. L’objectif était de soutenir la population plus que les entreprises. Pour celles-ci, seules des aides ciblées avaient été mises en place, se traduisant par une distribution de liquidités à certains secteurs seulement. Cependant, il semblerait que la Russie ait tiré les leçons de ses erreurs passées dans sa gestion de la crise actuelle.

Alors, lequel des deux pays semble adopter la réponse la plus adaptée à la menace actuelle ? Pour comprendre cette question, Central Asia Monitor a fait appel à Daniyar Djumekenov, analyste chez Wall Street Invest Partners.

Central Asa Monitor : Au Kazakhstan et en Russie, des mesures anti-crise ont été annoncées. Quel plan semble le plus approprié et devrait avoir l’impact le plus fort ?

Daniyar Djumekenov : Si l’on compare l’approche des deux pays voisins, on peut déjà noter la décision très progressiste des autorités kazakhes de suspendre la charge fiscale sur les PME. Au même moment, les aides fiscales en Russie sont beaucoup plus sélectives et ne s’appliquent qu’à un nombre limité de structures. La plus grande différence dans l’approche des deux pays est le choix de la Russie de favoriser les prêts à conditions préférentielles plutôt que les stimuli fiscaux. Le Kazakhstan n’est cependant pas en reste dans ce domaine, car de nombreux mécanismes de soutien aux entrepreneurs existent dans le pays. Cela est lié au fait que les PME représentent 29 % du PIB national et emploient 3.5 millions de personnes, soit près de 40 % de la population active.

Traditionnellement, dans les pays post-soviétiques, l’effort principal était porté sur la coopération avec les grandes entreprises. Mais dans le contexte de la pandémie de coronavirus, tant Moscou que Nur-Sultan changent leur approche. Cependant, aucune ne semble porter ses fruits pour l’instant.

Voici des chiffres pour le Kazakhstan, mais ils sont aussi valables pour la Russie. Seulement 13 % des PME ont des crédits bancaires valides. La raison n’est pas le manque de volonté des entrepreneurs d’en obtenir, mais la faible motivation des organismes de crédit. Quel volume de ces crédits est garanti par l’État ? Cela n’est pas connu, car personne n’enregistre ces statistiques. De plus, la grande majorité des PME ne possèdent pas de garantie immobilière, ce qui veut dire qu’elles ne peuvent pas recevoir d’argent pour se développer. Par ailleurs, seulement un quart des entrepreneurs sont informés des programmes d’aide, la couverture et la qualité des campagnes d’information étant très lacunaires. Ainsi, il semble que l’État veut vraiment aider les PME et souhaite qu’elles représentent 35 % du PIB en 2025, mais très peu d’entrepreneurs sont au courant de ces efforts.

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Le cas du Kazakhstan n’est pas unique, et encore une fois on peut faire une analogie avec les problèmes rencontrés en Russie, où la priorité a longtemps été mise sur les industries de matières premières. Cependant, il est difficile de ne pas noter une évolution positive de la stratégie du gouvernement. Il comprend, lentement mais sûrement, qu’il ne peut pas vivre indéfiniment sur les seules exportations de ressources naturelles. À cet égard, la pandémie se révèle motrice : elle a permis de développer le débat public sur les difficultés et les solutions pour le développement des PME, et d’ouvrir la discussion sur les alternatives possibles.

À votre avis, à quel point les stratégies kazakhe et russe sont-elles optimales ? Comment s’intègrent-elles dans les tendances mondiales ?

Si l’on met de côté les exemples extrêmes comme la Suède ou le Bélarus, presque tous les pays ont introduit des restrictions sur les activités économiques, et doivent maintenant dédommager d’une manière ou d’une autre les entreprises et les consommateurs.

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Dans l’ensemble, les mesures de soutien de l’économie prises par les gouvernements à travers le monde ont beaucoup en commun. Mais il y a des différences : il est clair que les pays riches peuvent dépenser beaucoup plus d’argent dans des politiques de stimulation que les autres. Par ailleurs, même les pays qui n’ont pas mis en place de quarantaine doivent quand même réfléchir au moyen de soutenir leur économie. Ainsi, en Suède ou au Bélarus, le PIB s’est contracté de 0,3 % pour le premier trimestre de l’année 2020. Les experts attendent une détérioration bien plus importante sur le deuxième trimestre, puisque le régime de confinement n’a été mis en œuvre qu’à partir de mi-mars dans la majorité des pays.

On ne sait pas encore comment la situation va se développer à présent. Personne ne peut prédire si les stratégies non-orthodoxes mises en œuvre par ces deux États permettront de faire face à une pandémie absolument mondiale. Cependant, du point de vue économique, on peut déjà tirer une première conclusion : ils n’éviteront pas non plus les difficultés financières. Les prévisions de chute du PIB dans ces pays pour l’ensemble de l’année ne diffèrent pas vraiment du reste du monde.

Pourquoi ces pays, qui n’ont pas voulu poser de restriction à leur économie, se retrouvent malgré tout dans le même bateau que les autres ?

Cela tient au fait que, dans le monde actuel, l’économie de la majorité des pays est dépendante du commerce extérieur. Quand les revenus des exportations se sont effondrés en conséquence des politiques de confinement, l’afflux de liquidités dans les budgets nationaux a diminué. On peut donc dire que, pays fermé ou non, on ne peut pas échapper aux difficultés économiques.

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C’est pourquoi il est difficile d’être d’accord avec les (nombreuses) personnes qui ont critiqué les mesures de quarantaine et loué l’inaction du pouvoir suédois. En réalité, ce n’est pas si simple. Les dépenses publiques sont le principal moteur de croissance, donc dès que les revenus de l’État diminuent, son niveau de participation dans l’économie s’affaisse, ce qui provoque un « effet domino ». À cela s’ajoute l’infection qui se répand rapidement à travers le monde et contraint à une augmentation significative des dépenses de santé.

Quelles prédictions faites-vous concernant le développement des économies au Kazakhstan et en Russie d’ici la fin de l’année ?

Sans surprise, l’année 2020 sera difficile. Pour le moment les efforts sont concentrés sur la survie, mais la crise finira tôt ou tard. Dans un premier temps, la demande de matières premières va rester faible. D’après les données préliminaires, elles ne retrouveront leur niveau de 2019 qu’à la fin de l’année 2021. Il n’y a donc pas d’autre choix que de diversifier les industries dans d’autres secteurs que celui des ressources naturelles.

L’année dernière, le PIB du Kazakhstan a crû de 4,5 %, et plus de 85 % de cette croissance était portée par les secteurs de l’économie non dépendants de ces ressources. Cette année, le PIB risque de se contracter de 3 % car l’influence des facteurs extérieurs négatifs sera trop importante. Par la suite, la vitesse et l’intensité auxquelles l’économie va se rétablir dépendra de l’efficacité de la mise en œuvre du programme d’aide aux PME. La chute du PIB russe peut quant à lui dépasser les 4 %, étant donné la diffusion plus large du virus dans le pays, ce qui obligera le gouvernement à mettre en place des mesures plus sérieuses de lutte contre l’épidémie.

Assel Omirbek
Journaliste pour le Central Asia Monitor

Traduit du russe par Bertrand Gouarné

Édité par Sayyora Pardaïeva

Relu par Anne Marvau

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