Dans la région des sept lacs, dans le Nord du Tadjikistan, le tourisme basé sur les communautés se développe. À rebours des problèmes d’émigration que rencontre le pays, ces activités ont permis de redynamiser la région et de repeupler des zones menacées par les bouleversements modernes.
Chevaucher un âne, butter des pommes de terre, cuisiner pour 15 personnes… bienvenue dans les communautés d’agriculteurs qui pratiquent le tourisme basé sur les communautés (CBT) au Tadjikistan.
« En 2019, un million de touristes ont visité le pays. Parmi eux, je pense qu’il y a 200 000 personnes qui ont utilisé les gîtes du réseau de CBT », estime Firdav, directeur de la compagnie de voyage Zeravshan Majectic Travel.
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Un thé chauffé au soleil
À 2 000 mètres d’altitude, le village de Nofin grouille de vie. C’est le printemps. Firdav sort d’une longue nuit de sommeil, réveillé par le doux chant du loriot. Djoumaboï et sa famille ont préparé le petit déjeuner pour leur ami : ils se connaissent depuis 15 ans et ont commencé ensemble à travailler dans le tourisme. Le petit déjeuner est servi dans un abri traditionnel en fer forgé : un kat. Il est surélevé par des pieds, il n’a pas besoin de fondations. La construction d’un kat coûte 190 euros. Il permet à un groupe de quatre de se restaurer et dormir confortablement.
« Nofin signifie intermédiaire », explique Firdav. « C’est le nom du quatrième lac d’une série de sept, qui s’enchaînent en cascade. » Sur chacun d’entre eux, le reflet des sommets des montagnes Fann se mêle aux nuances de bleu des eaux de fonte glaciaire.
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Ce matin à Nofin, le soleil éclaire les pâturages en contrebas. L’ombre des montagnes s’efface lentement lorsque le soleil se lève et Djoumaboï – le maire du village – règle son chauffe-eau solaire pour profiter des premiers rayons de lumière. « Cela fait 15 ans que je l’utilise pour faire bouillir environ huit litres d’eau chaque jour pour le thé. J’ai le projet d’en fabriquer un autre pour chauffer l’eau des douches. Il me faudrait un réservoir de 200 litres », explique-t-il.
Un personnel polyglotte
Firdav a fait des études de langues étrangères appliquées à l’Université de Khoudjand, la deuxième plus grande ville du pays après Douchanbé, la capitale. Fin polyglotte, il maitrise le russe, le tadjik, l’arabe et l’anglais. Il comprend le farsi et l’ouzbek. Jongler avec les langues le conduit dans une banque de Pendjikent : « j’ai fait des échanges de devises avec des étrangers. C’est comme ça que j’ai commencé à rencontrer des touristes et à me demander pourquoi je travaillais dans une banque », raconte-t-il.
En dégustant le thé, le pain et le miel, Firdav raconte ses débuts avec Djoumaboï. En 2007, après la banque, il a pris part à un programme de développement du CBT. « Tout était à faire », explique Firdav. « On s’est mis en quête de ceux qui avaient envie de travailler dans le tourisme ou qui avaient déjà une expérience dans le domaine. Lors de la première réunion, le premier qui s’est levé, c’était Djoumaboï. »
Un exode provoqué par les catastrophes naturelles
Pendant l’ère soviétique, Djoumaboï travaillait dans un centre de loisirs au bord d’un autre lac de la vallée, plus en aval. Le lac Gouchor, qui signifie Attention en tadjik. Les locaux se souviennent qu’en 1984, un glissement de terrain ensevelit le camp de vacances : 300 personnes sont mortes. Un peu tôt pour parler de changement climatique avec certitude.
Bien que selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) les glaciers aient commencé à reculer en 1970 et que l’accentuation de la sécheresse ait démarré en 1980 en Asie centrale. Selon le rapport toujours, l’accentuation de la sécheresse, des pluies violentes et de la fonte du pergélisol favorise les glissements de terrain près des lacs glaciaires d’Asie centrale.
Quelques années plus tard, la chute de l’URSS et l’indépendance du Tadjikistan entraînent l’effondrement d’un système économique. Djoumaboï a dû partir en Russie pour travailler. Il ramenait de l’argent au village, où il passait l’hiver avec sa famille.
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En 2005, un autre glissement de terrain raye un village de la carte en amont. 2 000 personnes quittent la vallée, devenue en partie inhospitalière. Ils s’installent dans la plaine de Pendjikent, sur des terres concédées par l’État.
Un nouveau souffle
« En 2007, Djoumaboï a trouvé un but à poursuivre : accueillir des voyageurs. Et il ne l’a pas lâché », confie Firdav. « Nous avons commencé avec deux chambres », complète Djoumaboï. « On pouvait accueillir trois visiteurs quand on leur laissait la nôtre, et on dormait sur le toit. Aujourd’hui, 16 personnes peuvent dormir chez nous, et nous avons notre propre espace de vie. »
Le programme de développement du CBT a commencé par former les nouveaux entrepreneurs aux standards d’accueil. Les visiteurs occidentaux n’ont pas l’habitude des toilettes rudimentaires et certains sont végétariens. Côté flore intestinale, tout le monde n’est pas tolérant.
Avec l’Association du tourisme basé sur les communautés, Djoumaboï part dix jours au Kirghizstan pour voir comment les habitants s’y sont pris quelques années plus tôt.
Une communauté agricole profitant du tourisme
Depuis 2007, le village de Nofin est passé de 16 à 60 familles selon le maire, c’est-à-dire à 600 personnes. Même tendance pour les villages voisins : Padroud est passé de 200 à 660 personnes. Le tourisme génère de l’activité pour les chauffeurs de taxi. Ils empruntent la longue piste qui remonte les sept lacs. Les guides, les gîtes, les agriculteurs… toute la communauté en bénéficie.
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Une nouvelle école a ouvert ses portes à Nofin en 2021. Elle est isolée par du double vitrage et chauffée par une centrale à charbon. « Il y a un système de chauffage électrique sur la chaudière », affirme le directeur de l’école, « mais c’est encore trop cher pour qu’on puisse l’utiliser. » Avec le charbon, ils dépensent 600 euros de chauffage pour l’hiver, l’électricité coûterait le double. L’école offre un enseignement aux enfants jusqu’à l’âge de 17 ans. Ici, les jeunes peuvent grandir et se développer dans une vallée majestueuse, avant d’éventuellement prendre le chemin de l’université.
La piste qui communique vers la plaine, longue de 20 kilomètres, a été construite par le père de Djoumaboï. Influant, il a réussi à organiser un achar, c’est-à-dire un chantier d’intérêt collectif. La piste permet maintenant de descendre en véhicule tout terrain à Ching, le principal village sur la route.
Vente de tissus traditionnels
Mouraïo vit à Ching. Très souriante, elle accueille ses convives avec le plov local, un plat à base de riz, de légumes et de viande, pour le déjeuner. Son mari travaille aux champs pour le blé, au verger afin de récolter des abricots, puis il garde leur troupeau pour en tirer de la viande et du lait.
Mouraïo confectionne avec ses filles et ses belles filles des tissus colorés aux motifs traditionnels. Elles les proposent aux touristes qui s’arrêtent chez elles.
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L’énergie solaire leur permettrait d’éviter les coupures récurrentes, qui peuvent durer quatre heures, au beau milieu du tissage. Mouraïo et son mari hésitent à investir dans un panneau photovoltaïque avec les revenus de la chambre d’hôte.
Le Forum Zéro Carbone
C’est bien plus loin, à Douchanbé, que le CBT, encore à la marge au Tadjikistan, est développé par l’ONG Acted. Toutes les communautés ne sont pas propices au développement du tourisme, qui nécessite des espaces naturels bien conservés.
Sur la route de Douchanbé, les mines dénotent avec la tranquillité des montagnes Fann. Des pans entiers sont labourés par l’industrie minière. Le charbon, l’or et d’autres minerais transpirent de la roche. L’eau transparente de la vallée des sept lacs est rapidement troublée par l’eau de ruissellement des sites d’extraction, qui chargent de métaux lourds la puissante rivière Zeravchan.
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Un barrage hydroélectrique dévie la puissante rivière de montagne à l’entrée de la capitale. Les bus de la ville tournent à l’énergie hydroélectrique. Les voitures roulent à l’essence. Une ville moderne. C’est ici que des discussions ont commencé pour un avenir neutre en carbone. Le Forum Zéro Carbone réunit tous les acteurs de la décarbonation dans un hôtel du centre-ville. Des banques, des ONG, des artisans, des agriculteurs, des membres du gouvernement.
Une activité à faibles émissions de CO2
Firdav est également là pour suivre les projets nationaux du CBT. Un des secteurs clés pour une économie neutre en carbone. En moyenne, un Tadjik émet une tonne de CO2 par an, contre 11 pour un Français. Le CBT garantit un développement économique faiblement émetteur. Il utilise les ressources locales, comme la nourriture et la main d’œuvre, et protège l’environnement des activités polluantes. Un cercle vertueux car la nature préservée est capable d’absorber les gaz à effet de serre.
Acted lance des projets de microfinancement de l’énergie solaire pour soutenir la sobriété énergétique des communautés. Dans la vallée des sept lacs, Djoumaboï souhaite installer une turbine hydroélectrique pour alimenter le village en énergie renouvelable.
Finalement, la plus grande source de carbone du CBT reste le transport pour parvenir dans la vallée. Le tourisme est responsable de 8 % des émissions globales. Après le transport, la deuxième source d’émission est la consommation d’électricité dans les hôtels. Les plans internationaux de transition planifient la réduction des émissions de l’hôtellerie à hauteur de 66 % d’ici à 2030. Sur ce dernier point, le CBT est à la pointe.
Un cercle vertueux à perpétuer
« Tout a commencé par un jus d’abricot », se souvient Dilchod, chef de projet CBT depuis dix ans chez Acted. « Un voyageur a tellement apprécié le jus qu’il voulait savoir d’où venaient les abricots. Je lui ai dit : pas de problème, je te montre. On est allés dans un verger et il a passé son après-midi à en ramasser avec l’agriculteur. C’est de là que m’est venue l’idée d’aider le propriétaire du verger à ouvrir une chambre d’hôtes. »
Les saisons deviennent plus sèches et altèrent la production d’abricot, l’un des produits phares du Tadjikistan, comme l’expliquent les responsables du développement agricole d’Acted. Autre bienfait, l’apport financier des visiteurs permet également aux agriculteurs d’investir dans une irrigation au goutte-à-goutte.
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« Un autre exemple », poursuit Dilchod, « dans la montagne : je propose à un jeune d’aider les randonneurs à porter leurs sacs avec son âne. Quand on est revenus, quelques années plus tard, il y avait 20 ânes avec des bâts et des tissus traditionnels. »
C’est un bénéfice mutuel. « Il y a des touristes qui s’émerveillent de découvrir comment on fait pour traire une vache. Des jeunes trouvent de quoi s’occuper et cela leur évite de migrer en Russie », explique Dilchod. Pour lui, le CBT est un cercle vertueux qui permet aux locaux de garder l’esprit ouvert.
Camille Lin
Rédacteur pour Novastan
Relu par Tiphaine Tellier
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