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Le Rapporteur de l’ONU pour les minorités s’est rendu au Tadjikistan

Alors que la visite du Rapporteur des Nations unies pour les minorités s’est achevée au Tadjikistan, la situation des habitants de la région du Haut-Badakhchan semble continuellement s’aggraver. Ceux-ci font état d’un territoire qui s’est vidé d’environ un cinquième de ses habitants à la suite d’événements répressifs.

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Un village des environs de Djelondi, dans la région du Haut-Badakhchan au Tadjikistan. Photo : Novastan.

Alors que la visite du Rapporteur des Nations unies pour les minorités s’est achevée au Tadjikistan, la situation des habitants de la région du Haut-Badakhchan semble continuellement s’aggraver. Ceux-ci font état d’un territoire qui s’est vidé d’environ un cinquième de ses habitants à la suite d’événements répressifs.

Dans le cadre de la dernière visite de son mandat, le Rapporteur des Nations unies (ONU) pour les minorités, Fernand de Varennes, s’est rendu au Tadjikistan. Sa visite, en octobre dernier, intervient alors que la situation de la minorité ethnolinguistique pamirie, qui vit dans la région autonome du Haut-Badakhchan, y est particulièrement préoccupante. Son rapport détaillé sera présenté au Conseil des droits humains de l’ONU en mars prochain.

Lors d’un point presse, l’ancien Rapporteur a noté d’une part la coopération du gouvernement tadjik, démontrant sa volonté d’être bien perçu à l’étranger, et d’autre part la difficulté d’obtenir des informations fiables dans le pays. Il est en effet compliqué d’obtenir des commentaires sur place, du fait du silence que la population s’impose par crainte.

Fernand de Varennes a notamment visité le centre religieux de Khorog, la capitale régionale, de confession ismaélienne, un courant chiite professé dans le Haut-Badakhchan. Sa visite a été selon lui moins une expérience permettant d’estimer le niveau de liberté religieuse qu’une « visite touristique ». Il n’y a constaté aucune activité religieuse en dehors de la prière du vendredi, le centre tenant lieu principalement de lieu culturel.

Toujours aucune enquête indépendante sur les manifestations réprimées

S’il n’a pu rencontrer sur place personne pour parler librement de la situation, et notamment des événements déclencheurs de mai 2022, lors desquels les forces de l’ordre ont tué des manifestants, des discussions à distance avec des témoins et proches des victimes ont confirmé « des cas effroyables d’exécutions et de tortures ». Alors que les autorités tadjikes continuent de faire la sourde oreille face aux appels à conduire une enquête indépendante, l’ancien Rapporteur estime le nombre de morts lors de ces opérations à « probablement plus de 40 », tandis que les médias indépendants en dénombrent 34 et les sources officielles 29.

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Face à ses requêtes sur le sujet, Fernand de Varennes fait état de décalages avec le gouvernement tadjik. « Pour lui, tout est réglé et il n’y a pas besoin d’enquête, puisque les personnes neutralisées étaient des terroristes », résume-t-il.

L’Etat tadjik continue d’appuyer sa version initiale des faits, que les médias autorisés relaient activement. Les arrestations arbitraires et massives qui ont épuré la société civile ont été, selon la narration officielle des événements, le fait de la liquidation de groupes terroristes. Selon S., une représentante de la diaspora pamirie qui souhaite garder l’anonymat par souci de sécurité, d’autres moyens sont mobilisés pour asseoir cette rhétorique : les prêches du vendredi sont dictés par les autorités, et les professeurs souvent convoqués pour être rappelés à l’ordre.

D’autres observateurs, comme la Rapporteuse de l’ONU pour les défenseurs des droits humains, Mary Lawlor, avaient déjà noté des incompréhensions entre les instances internationales et l’Etat tadjik. Ce dernier peine à comprendre pourquoi l’étranger aurait son mot à dire dans la gestion de ses affaires internes. De leur côté, les Occidentaux arguent, directement ou en sous-texte, que la communauté internationale doit intervenir lorsque de telles atteintes au droit international ont lieu.

Un exil de masse

Depuis les vagues de répression de 2021 et 2022, le Haut-Badakhchan ne cesse de se vider de ses habitants. La diaspora a avancé des chiffres pour la première fois : selon des sources obtenues au bureau des migrations, 50 000 personnes auraient quitté la région, la plupart du temps pour d’autres parties du Tadjikistan, la Russie ou l’Europe. Ce qui représente environ un cinquième de la population.

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Un cercle vicieux où les départs entrainent les départs s’est mis en place. Comme l’explique K., un représentant de la diaspora, les médecins et professeurs notamment quittent le territoire, les conditions d’exercice et de vie étant devenues trop compliquées, et à cause d’un climat de peur. Dans cette région qui était encore connue pour sa société civile vibrante il y a quelques années, « la surveillance a augmenté au point qu’on a peur de parler aux inconnus en dehors des affaires quotidiennes », rapporte S. Cet exode des spécialistes incite le reste de la population à partir à son tour.

Enfin, les nationalisations en cours poussent elles aussi au départ. Les objets appartenant à la Fondation Aga Khan, une organisation humanitaire créée par le chef spirituel de la communauté ismaélienne, sont nationalisés un à un. Nombre d’entre eux étaient d’un soutien précieux pour la population, notamment dans les sphères de l’éducation et de la santé.

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L’organisation Minority Rights Group International estime que la situation est aussi critique en partie du fait qu’elle ne fait l’objet que d’une attention limitée. Malgré des comptes-rendus inquiétants, notamment de Genocide Watch.

La diaspora pamirie en quête de solutions

Déjà nombreuse en Russie du fait de la migration de travail et de la situation économique, la diaspora pamirie s’agrandit. Cependant, elle y est aussi soumise à des pressions du fait de la coopération des services russes et tadjiks, ces derniers voulant éviter toute mobilisation depuis l’étranger. Selon Freedom House, « le gouvernement du Tadjikistan utilise des pratiques bien établies de coopération sécuritaire avec Moscou, pour mettre en place une campagne extensive de répression transnationale. » Ainsi, la répression tadjike en dehors de ses frontières comptait pour 27 % de ce genre d’incidents rapportés l’année dernière dans le monde.

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En Europe, la diaspora est principalement répartie en Allemagne et en Pologne. En 2022, selon Radio Ozodi, 950 demandes d’asile de citoyens tadjiks ont été déposées en Allemagne, 95 en Pologne et 65 en Autriche. Selon A., un représentant de la diaspora, presque la moitié des demandes d’asiles de citoyens tadjiks issus de la minorité pamirie sont rejetées.

Une partie de ces migrants arrivent sur le territoire européen en passant illégalement la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, alors qu’Euronews rappelle que « rien n’a changé en deux ans » : depuis 2021, une grave crise migratoire a lieu entre les deux pays. Migrants et demandeurs d’asile tentent toujours de passer en Europe par cette frontière en risquant leur vie.

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D’autres cependant vivent en Europe légalement. « En Pologne, il y a une importante communauté étudiante pamirie. Maintenant que le simple fait d’être pamiri suffit à être pris pour cible au Tadjikistan, nombreux sont ceux qui ne veulent pas revenir chez eux et demandent l’asile sur place », raconte A.

Le Système de préférences généralisées Plus : un levier pour les défenseurs des droits ?

Mais l’Union européenne (UE) intervient surtout dans le cadre des négociations autour du Système de préférences généralisées Plus (SPG+), auquel le Tadjikistan a posé formellement sa candidature en avril dernier. Ce système consiste à apporter des avantages commerciaux significatifs aux pays en développement, à condition qu’ils mettent en œuvre 27 conventions internationales sur l’environnement, les droits humains et le droit du travail.

Le 27 novembre dernier, l’UE a « noté avec satisfaction l’adoption du premier plan d’action 2023-2025 pour les droits humains au Tadjikistan ». Fernand de Varennes rapporte cependant une certaine « déconnexion » dans la capitale tadjike, Douchanbé : selon lui, malgré la signature de plans d’actions, « il n’y a dans les faits aucune action ni volonté d’agir [dans le domaine des droits humains]. »

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Le communiqué européen exprime également « son inquiétude vis-à-vis de la détention des défenseurs des droits humains, des journalistes indépendants et des blogueurs ». L’UE affirme avoir appelé les autorités « à amener devant la justice les responsables des violations des droits humains dans la région autonome du Haut-Badakhchan. »

L’accord devait être conclu avant le 31 décembre prochain. Avec la stagnation des négociations, ce délai a été repoussé.

Un système qui connait des dysfonctionnements

Les organisations de défense des droits humains notent qu’en réalité, tous les pays bénéficiaires du SPG+ ne respectent pas réellement les exigences préétablies. Pour Iskra Kirova, responsable de l’Europe et de l’Asie centrale à Human Rights Watch, « alors que l’Europe veut approfondir ses relations avec les Etats d’Asie centrale et construire son influence, c’est une opportunité manquée et un coup à sa crédibilité si Bruxelles échoue à faire appliquer les règles de ses propres instruments. »

L’organisation note ainsi que des pays voisins du Tadjikistan ont déjà intégré le SPG+ : le Kirghizstan, dont le régime devient de plus en plus autoritaire depuis l’élection de Sadyr Japarov, et l’Ouzbékistan, qui a lui aussi connu des répressions sanglantes en 2022.

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Après sa visite au Tadjikistan en novembre et décembre 2022, la Rapporteuse pour les défenseurs des droits humains avait elle aussi insisté sur l’incompatibilité de la signature du SPG+ avec l’emprisonnement de militants et journalistes.

Le SPG+, avec ses avantages non négligeables pour l’économie tadjike, est vu à l’heure actuelle par Minority Rights Group International comme le seul véritable levier susceptible d’inciter Douchanbé à revoir ses politiques répressives. A condition de ne pas vider le programme de son essence.

Nane Bouvier
Rédactrice pour Novastan

Relu par Charlotte Bonin

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