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Progrès, réformes et polémiques : où en est le système de santé au Tadjikistan

Le Tadjikistan se préparerait à accélérer la mise en place de réformes menant le plus pauvre pays d’Asie centrale vers une couverture sanitaire universelle pour ses habitants. Pour mieux appréhender les possibles changements à venir, Novastan explore la réalité contrastée du système de santé tadjik.

Rédigé par :

hgardezi 

Hopital Santé Médecin
Le système de santé tadjik est soumis à de nombreuses réformes (illustration). Photo : Gustavo Fring / Pexels.

Le Tadjikistan se préparerait à accélérer la mise en place de réformes menant le plus pauvre pays d’Asie centrale vers une couverture sanitaire universelle pour ses habitants. Pour mieux appréhender les possibles changements à venir, Novastan explore la réalité contrastée du système de santé tadjik.

Demeurant largement entre les mains du service public par son héritage soviétique (à l’exception des soins ambulatoires et dentaires), le système de santé au Tadjikistan reste en grande partie façonné par les réformes et les initiatives étatiques de ces 30 dernières années.

Sous la responsabilité du ministère de la Santé et de la Protection sociale, l’hôpital public a été la cible de nombreuses réformes améliorant l’accès aux soins.

Des stratégies vaccinales et de prévention qui portent leurs fruits

En premier lieu, une collaboration étroite et efficace entre le gouvernement tadjik, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et Gavi l’Alliance du Vaccin a permis au Tadjikistan d’atteindre un niveau de couverture vaccinale plus que satisfaisant. Selon l’UNICEF, 96 % des jeunes enfants de moins de 12 mois sont désormais immunisés par le Programme Élargi de Vaccination : par cet outil, le Tadjikistan est passé d’un taux de mortalité infantile de 105 décès pour 1000 naissances en 1990 à 34 en 2017.

Le Basic Benefit Package (BBP) de 2005, étendu en 2022 à 31 districts sur les 65 du pays, est également un autre programme déterminant pour le fonctionnement du système de santé tadjik, rapporte l’OMS. Cette initiative gouvernementale délimite le nombre de services destinés à être gratuits et ses bénéficiaires. Majoritairement, il s’agit de services d’urgence, mais aussi de certains diagnostics, des soins dentaires et des soins d’immunisation préventive.

Toujours selon l’OMS, la Stratégie Nationale de Santé 2010-2020 a aussi largement établi les bases nécessaires à l’amélioration de l’accès aux soins, à la conformité aux standards internationaux, à la promotion de la santé et à la prévention active des maladies infectieuses.

Une stratégie à modifier : vers la couverture de santé universelle ?

Le post-coronavirus marque une étape décisive concernant la transformation du système de santé au Tadjikistan. Pour l’OMS, le pays est en train de passer d’un système hautement centralisé à une approche basée sur les soins de santé primaires (Primary Health Care), plus efficaces et adaptés aux besoins des familles tadjikes.

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De 2010 à 2022, la part des dépenses de santé publique allouée aux soins de santé primaires est passée de 34,6 % à 40,7 %. En conséquence directe, le nombre de visites par personne d’un centre de soins primaires est passé d’une moyenne de 4,8 en 2010 à 7,22 en 2022.

Toujours dans le sens d’une réflexion globale concernant la stratégie de santé publique au Tadjikistan, l’OMS a organisé en février dernier quatre jours de « marathon », permettant dialogues et conférences entre représentants politiques tadjiks et membres de l’OMS.

Des initiatives et collaborations internationales

Si les organisations internationales telles que l’OMS ou les Nations unies jouent à elles seules un rôle de premier ordre concernant la transformation du système de santé au Tadjikistan, les collaborations entretenues ne s’arrêtent pas aux ONGs pour assurer les soins des Tadjiks au quotidien.

À l’initiative du marathon de février dernier, l’Union européenne (UE) est un partenaire de poids dans le soutien de cette transition vers la couverture sanitaire universelle, ayant investi durant les dix dernières années plus de 60 millions d’euros à cet égard.

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Raimundas Karoblis, ambassadeur de l’Union européenne au Tadjikistan, a déclaré à l’occasion du marathon : « Il est absolument nécessaire de renforcer le système de santé dans le pays et de faire en sorte qu’il fonctionne de mieux en mieux. L’UE s’est engagée, tant au Tadjikistan que dans le reste du monde, à consacrer au moins 20 % de sa dotation financière pour la période 2021-2027 au développement humain, y compris à la santé pour tous. »

Des aides étrangères pour pallier les insuffisances nationales

Le rôle endossé par certaines initiatives étrangères en matière de santé tend pourtant à pointer d’importantes lacunes plutôt que des progrès. En juin dernier, le média tadjik Asia-Plus rapportait l’exemple de 500 opérations de la cataracte réalisées gratuitement par des médecins chinois à Douchanbé, s’inscrivant dans une initiative organisée par le ministère de la Santé chinois. La Chine a également annoncé faire un don de matériel médical au Tadjikistan d’une valeur d’un million de yuans (127 000 euros).

De la même manière, la coopération bilatérale entre le Tadjikistan et l’Iran s’étend jusqu’au domaine médical par l’organisation de séminaires entre spécialistes iraniens et tadjiks, comme le rapporte Khovar, mais aussi par la mise en place de structures à l’initiative d’investisseurs iraniens comme la clinique internationale Ibn Sina de Douchanbé.

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Le Kazakhstan, lui aussi, s’est illustré par de nombreux dons de matériel médical, à l’image de l’envoi de trois appareils pour le traitement de la pneumonie en janvier dernier, rapporte Asia-Plus.

En plus de ses voisins asiatiques, des pays occidentaux comme l’Allemagne ou les États-Unis ont également directement apporté leur soutien financer à l’amélioration des soins, des infrastructures et de la formation des professionnels de santé au Tadjikistan.

Des difficultés économiques

L’aide médicale apportée au Tadjikistan par une large variété de pays n’est pas un hasard. Au Tadjikistan, l’accès aux soins reste restreint par des coûts exorbitants pour une large partie de la population, s’ajoutant à de nombreux problèmes infrastructurels aussi simples et contraignants que le manque de cliniques et d’hôpitaux dans différentes zones.

Concernant les coûts, l’accès aux soins par le programme BBP, souligne l’OMS, s’applique aux vétérans de la seconde guerre mondiale, aux orphelins, aux enfants de moins d’un an et aux adultes de plus de 80 ans. Il s’étend également à des patients souffrant du VIH, de la tuberculose, du choléra, de la diphtérie, de l’hémophilie et du diabète.

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Cependant, en dehors de ces conditions assez restreintes, les dépenses directes de la part des patients atteignent régulièrement les 50 à 70 % des coûts totaux. Symbole des disparités présentes même à cette échelle, les régions où le programme BBP n’est pas étendu voient des dépenses directes à hauteur de 80 %.

Des besoins d’infrastructures

Ce véritable obstacle à l’accès aux soins fait du Tadjikistan le pays avec les dépenses par habitant en matière de santé les plus faibles de tout le programme OMS Europe.

Au niveau infrastructurel, les rapports d’organisations non gouvernementales ainsi que la presse ont largement fait état d’un manque de structures adaptés et de personnel médical dans le pays. En plus d’un taux de médecins et d’infirmières bien en dessous des moyennes de l’OMS Europe, l’absence d’hôpitaux en zones rurales affecte grandement l’accès au soin d’une population qui a su aller jusqu’à remplacer les prérogatives étatiques en la matière.

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Radio Ozodi, la branche tadjike du média américain Radio Free Europe, a rapporté en mai dernier le cas du village de Kalaï Doust dans le Nord du pays, où la population de 2 000 habitants s’est cotisée pour tenter de construire elle-même une clinique dans la localité.

Un milieu qui souffre de salaires bas et de corruption

En conséquence et s’ajoutant à un accès difficile aux soins, la corruption touche le milieu médical. Cabar Asia la décrit comme « une corruption sans peur et sans reproche » provenant de médecins réclamant des paiements supplémentaires. Cette pratique, principalement due à une rémunération très basse du personnel médical, est décrite comme très courante et les mesures prises pour l’amoindrir restent insuffisantes.

Si cette corruption routinière souffre d’une absence de moyens concrets pour la réduire, elle trouve largement écho dans une corruption de plus grande échelle dans le milieu pharmaceutique, impliquant ses acteurs politiques de premier plan.

En octobre 2023, Radio Liberty rapportait le rôle actif de la fille du président tadjik Emomali Rahmon ainsi que l’aide de ce dernier au sein de l’entreprise pharmaceutique Sifat Pharma. Ce laboratoire bénéficierait de passe-droits gouvernementaux ainsi que d’une large promotion étatique, lui permettant une main mise sur le marché pharmaceutique tadjik et de servir même d’intermédiaire entre le Tadjikistan et l’Union européenne en matière de santé. Le laboratoire français Innotech fait actuellement partie des partenaires de Sifat Pharma.

Un manque de confiance à restaurer

Face aux difficultés d’accès aux soins au Tadjikistan, une résidente de Douchanbé raconte à Novastan : « Je crois que le principal problème du système de santé tadjik est qu’on fait rarement confiance aux médecins. Justement parce que tant qu’on n’a pas glissé un billet là où il fallait et quand il fallait, on n’est pas sûr d’avoir le bon diagnostic ou le bon suivi. Par exemple, on a voulu m’opérer de l’appendicite alors que c’était évident que je ne l’avais pas, sans doute juste pour me prendre les 500 dollars de l’opération. »

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D’autre part, le manque de personnel est encore une fois pointé du doigt : « Si tu es malade, hospitalisé et seul, personne ne peut aller chercher tes médicaments, aller déposer des analyses ou chercher les résultats parce qu’il n’y a pas de personnel qui s’en charge. »

« Même quand tu es hospitalisé (en tout cas à l’hôpital public, c’est sans doute un peu mieux dans les cliniques privées), les médecins n’ont souvent pas les médicaments nécessaires sous la main et il faut qu’un proche aille les chercher en pharmacie, même pour les urgences. Du coup, devant certains hôpitaux, il y a des gens qui campent pendant des jours pour être toujours prêts à courir quelque part quand un proche est hospitalisé », raconte-t-elle.

Helmand Gardezi
Rédacteur pour Novastan

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