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Médias en Haut-Badakhchan : une mission encore impossible

À l’heure actuelle, 99 % des citoyens du Haut-Badakhchan, région autonome du Tadjikistan, disposent d’un accès aux chaînes de télévision nationales, et le nombre d’abonnements, volontaires ou encouragés, aux principales publications de la République tadjike augmente chaque année. Pourtant, dans le même temps, les médias régionaux et locaux sont loin de vivre leurs meilleures heures.

À l’heure actuelle, 99 % des citoyens du Haut-Badakhchan, région autonome du Tadjikistan, disposent d’un accès aux chaînes de télévision nationales, et le nombre d’abonnements, volontaires ou encouragés, aux principales publications de la République tadjike augmente chaque année. Pourtant, dans le même temps, les médias régionaux et locaux sont loin de vivre leurs meilleures heures.

Novastan reprend et traduit ici un reportage des journalistes d’Asia-Plus Chonavrouz Afzalchoiev, Amon Mardonov, Makhmoud Rakhimbekov. 

Sept journaux locaux et un régional sont publiés sur le territoire de la région autonome du Haut-Badakhchan, au Tadjikistan. On y compte également des radios et télévisions locales, bien qu’avec leur 14 % d’audience, il serait très exagéré de les qualifier de régionales. À l’heure actuelle, il n’existe aucune publication, radio et télévision locales indépendantes en Haut-Badakhchan, contrairement au reste de la République. Le dernier bastion des médias indépendants, le journal « Impulse », a cessé ses activités fin 2016.

Le tirage total cumulé des sept journaux locaux et régional s’élève à environ 8000 exemplaires, publiés grâce aux subventions des pouvoirs locaux. Ces tirages rencontrent de grandes difficultés depuis un an. En raison de problèmes avec l’imprimerie locale, le journal régional « Badakhchan » est parfois forcé d’imprimer ses numéros à Douchanbé, la capitale du pays, selon son rédacteur en chef, Rakhmonkoul Goulzor.

Les médias locaux : une véritable gageure

La presse locale et ultra-locale rencontre les mêmes difficultés, ce qui la pousse à ne sortir qu’un ou deux numéros par mois. L’année dernière, l’imprimerie locale a reçu une machine à imprimer, attendue de longue date. Pourtant, une semaine plus tard, il s’est avéré que ce type de machine nécessitait un papier spécial. L’engin flambant neuf a donc été rangé au placard, et les imprimeurs ont continué à rafistoler et utiliser leur ancienne machine.

Cette situation est dommageable pour le lectorat, qui ne reçoit plus ses numéros pendant des semaines, voire des mois, puis reçoit tout à coup les numéros des mois en cours et passé, où l’on parle d’événements terminés depuis longtemps.

Dans l’ensemble, les journaux locaux subsistent uniquement grâce au bon vouloir des hautes sphères et aux revenus des abonnements. Et les problèmes de machines à imprimer viennent encore raboter un budget déjà serré.

Pamir Tadjikistan
Le massif du Pamir près de la ville de Khorog, en Haut-Badakchan.

La presse nationale peine aussi

Les problèmes d’acheminement tardif ne concernent pas que les périodiques locaux et régionaux, mais aussi les publications nationales. Tous les produits provenant de Douchanbé parviennent aux lecteurs et aux abonnés de Khorog, capitale de la région, avec un retard conséquent. Ainsi, les citoyens du Haut-Badakhchan n’ont reçu cinq numéros de journaux nationaux datés de début janvier que le 17 janvier.

Comme l’a souligné la filiale régionale de la société Point Poste, les moyens financiers et matériels ne sont pas très élevés, et il n’existe aucun moyen de transport particulier qui permette d’acheminer le courrier dans chaque localité. Par conséquent, il faut se résoudre à négocier avec les relais locaux ou les chauffeurs qui passent par ces localités pour transmettre au plus vite le courrier.

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En ce qui concerne les journaux nationaux indépendants, le nombre de leurs abonnés, en raison de l’absence de soutien des hautes sphères, est largement inférieur, et ils ne se trouvent que dans peu de kiosques. Autre constat intéressant : si, auparavant, les marchands de journaux trouvaient leur compte dans la vente de revues, leurs commandes ont diminué de deux tiers depuis un an et demi, faute de demande. Selon eux, cette situation est liée à plusieurs éléments : un meilleur accès à internet pour les citoyens, une diminution du pouvoir d’achat, mais aussi une diminution de la qualité des produits de presse.

Une région isolée

La majorité de la population en Haut-Badakhchan dispose d’un accès aux canaux radiotélévisés nationaux, même s’ils ne sont pas captés dans les villages les plus isolés et les moins populeux.

D’après le responsable du Centre de réception radiotélévisé numéro 3, Navrouzbek Niozmamadov, presque tous les habitants de la région ont aujourd’hui accès aux canaux télévisés nationaux, et il est même prévu que la majorité des grandes villes soient, dans un avenir proche, équipées pour la télévision numérique. Toutefois, par rapport à la plupart des canaux de diffusion nationaux, les radios et télévisions régionales émettent sur des ondes très courtes.

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Ces dernières années, les décideurs locaux se sont à de nombreuses reprises posé la question de la nécessité d’élargir les aires de diffusion des radios et télévisions en Haut-Badakhchan, mais sans résultat concret jusqu’à présent. Selon un employé des médias locaux, il est primordial de développer la presse régionale. En effet, les citoyens en Haut-Badakhchan sont informés du moindre événement national, mais ignorent presque ce qui se passe dans leur région. En outre, l’absence de médias indépendants en Haut-Badakhchan empêche le développement de la presse écrite et électronique actuelle.

« Dans notre région, on reçoit principalement les médias contrôlés par l’État, mais ils peinent à se développer en raison de l’absence de concurrence réelle de médias indépendants. Si tel était le cas, cela permettrait de développer les médias, tant publics que privés, et contribuerait à améliorer la qualité de leur travail », explique le journaliste de la presse locale Iftikhor Mirchakarov.

Une blague qui semble réelle

Tout le monde, ou presque, dans la région, connaît cette blague : un matin, un vieil homme découvre dans son étable que sa seule vache est morte. Pestant sur la terre entière, il se précipite dans sa maison, attrape son récepteur radio et le brise en mille morceaux, en lui hurlant : « Tu me parles de ce qui arrive à Moscou, à Douchanbé, à Washington, mais t’es incapable de me prévenir quand ma vache crève juste là, au fond de l’étable ?! ». Impossible de ne pas faire le rapprochement avec situation actuelle des médias en Haut-Badakhchan : les habitants savent tout de ce qui se passe à l’étranger, mais ignorent tout du village voisin.

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Cette problématique alimente les discussions dans la région. Selon les citoyens, c’est via internet et les canaux nationaux que l’information leur parvient à l’heure actuelle. Parfois, ils reçoivent des nouvelles de la situation à l’étranger, sans toujours savoir ce qui se passe dans le village voisin ou dans les villes de leur région. Et s’il arrive que certaines informations soient diffusées sur internet, elle ne sont pas toujours fiables.

Khorog
Khorog

Nazarbegim Chirinbekova, habitante du district d’Ishkashim, déclare : « En général, j’apprends les nouvelles en regardant les chaines télévisées « Safina » et « Tadjikistan », mais j’écoute aussi les radios « Sadoï Douchanbe » et « Tadjikistan ». Les informations locales, je les lis dans le journal régional « Badakhchan » et le journal local « Zindagi », mais elles sont loin d’être fraîches. »

Navrouz Païchanbiev, d’un village du district de Barzoud Rouchanski,  dit « apprendre généralement les nouvelles sur les chaines télévisées nationales et russes grâce aux antennes satellites ». « Quant aux informations locales, continue-t-elle, elles me parviennent via le bouche à oreille ou quand les radios et télévisions nationales en parlent. Parfois, on arrive à se connecter sur internet par le réseau mobile, et on peut alors recevoir toutes les informations utiles. »

Goulbagtchi Osmanova, habitante du district de Murgab, souligne les difficultés de la presse, même nationale : « En général, on capte les télévisions et radios nationales. On reçoit les journaux avec un mois de retard, ils ne servent donc plus à rien quand ils arrivent. En plus, ils sont pour la plupart rédigés en tadjik, rendant difficile la compréhension pour les habitants du district qui parlent kirghiz. »

Mouslim Khaïdaralev, du district de Rashtqal’a, précise : « Je reçois les informations nationales et de l’étranger via les antennes satellites. On ne capte pas les télévisions et radios régionales. Pour les informations locales, on compte sur le bouche à oreille avec les connaissances et la famille, qui reviennent de Khorog après leur travail. »

Chonavrouz Afzalchoiev, Amon Mardonov, Makhmoud Rakhimbekov

Traduit du russe par Pierre-François Hubert pour Novastan

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