La décoration, remise par le ministère de la Culture français, récompense 50 années de carrière cinématographique. Retour sur son parcours et sur l’âge d’or du cinéma kirghiz à l’époque soviétique. C’est une décoration pour le moins inhabituelle. Le 31 août dernier, l’ambassadeur de France au Kirghizstan François Delahousse a annoncé sur Facebook que l’actrice kirghize Aïtourgan Temirova était nommée officière de l’ordre des Arts et des Lettres.
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Dans son message, l’ambassadeur de France félicite l’actrice et note que 2021 « voit fêter le jubilé des 50 ans de carrière cinématographique ». Fondé en 1957, l’ordre relève du ministère de la Culture et décerne chaque année 960 décorations dont 320 à des étrangers. Il est destiné « à récompenser des personnes qui se sont distinguées par leurs créations dans le domaine artistique ou littéraire ou par la contribution qu’elles ont apportée au rayonnement des Arts et des Lettres en France et dans le monde ». Contactée par Novastan, Aïtourgan Temirova se dit « complètement surprise » par cette nomination. « Ma candidature a été présentée il y a plus d’un an par l’ambassade de France au Kirghizstan. J’exprime toute ma gratitude envers François Delahousse, qui a joué un rôle important dans cette nomination », décrit l’actrice.
Actrice à 14 ans, mère à 17
Cette nomination est une consécration pour l’une des actrices les plus connues du cinéma kirghiz. Née en 1958 et fille d’une famille de militaires, la jeune Aïtourgan Temirova se retrouve à 14 ans sur le tournage des Coquelicots écarlates d’Issik-Koul , décrit le média kirghiz knews.kg. Le film réunit l’acteur vedette Souimonkoul Tchokmorov et le réalisateur Bolot Chamchiev. C’est Souimonkoul Tchokmorov qui traduit les instructions de Bolot Chamchiev qui s’exprime en russe à Aïtourgan Temirova qui ne connaît pas cette langue. « J’étais jeune et j’avais peur du réalisateur, des autres acteurs aussi », se souvient l’actrice auprès du média russe Spoutnik. Ce sentiment ne durera pas puisqu’Aïtourgan Temirova et Bolot Chamchiev, de 17 ans son aîné, s’uniront quelques années plus tard pour fonder une famille. Sorti en 1971, les Coquelicots, qui raconte les heurts entre gardes-frontières et trafiquants d’opium, est un succès en URSS. Le film obtient le prix du Festival de Strasbourg en 1973 et lance le réalisateur. Bolot Chamchiev devient l’un des créateurs du « miracle kirghiz » qui porte au premier plan le cinéma de la petite république soviétique, comme le relève le spécialiste français du cinéma soviétique Joël Chapron. Aïtourgan Temirova reçoit quant à elle le prix du meilleur premier film au festival de Tbilissi en 1972. Lire aussi sur Novastan : Bref aperçu du cinéma kirghiz Le film Le Bateau à vapeur blanc de 1975 est une autre réalisation marquante et obtient le prix du Festival international du film de Trente (Italie). Pendant le tournage, Bolot Chamchiev détourne l’attention d’Aïtourgan Temirova en utilisant leur bébé, âgé alors de cinq mois, pour une scène de traversée de rivière. « Toute la famille a contribué à la création du chef-d’œuvre », note le photographe Alexandre Fedorov auprès de Spoutnik.
« Le cinéma français a eu une influence énorme sur moi »
« La culture française, et le cinéma en particulier, a eu une influence énorme sur moi, même dans ma jeunesse. Dès mes années d’écolière, j’étais fascinée par les films de Truffaut, Godard et admirait des acteurs comme Brigitte Bardot, Fernandel, Catherine Deneuve, Alain Delon ou Jean-Paul Belmondo », décrit Aïtourgan Temirova. « J’aime également le cinéma français moderne, mais les films de la nouvelle vague sont incomparablement plus charmants », ajoute-t-elle.
Pendant les années 1980, le couple collectionne les récompenses cinématographiques et travaille dans toute l’Union soviétique. Toujours sous la direction de Bolot Chamchiev, Aïtourgan Temirova tourne en 1984 un film policier en deux parties, La Fosse aux loups qui par son succès est l’un des plus rentables du moment. En 1985, le film de guerre Sniper raconte l’histoire de la tireuse d’élite kazakhe Aliya Moldagoulova, morte sur le front à 18 ans et héroïne de l’Union soviétique en 1944. Le film est réalisé en Biélorussie dans des conditions particulièrement difficiles. La fille du couple, Soyotan Chamchieva présente sur les lieux et âgée de 12 ans à l’époque, se souvient d’un épisode de tournage de huit heures dans des marais. « Après le tournage, j’ai eu besoin d’une aide psychologique, puis d’une intervention chirurgicale pour des raisons de santé. Il a fallu environ deux ans pour récupérer », se rappelle Aïtourgan Temirova qui jouait Aliya, dans un entretien avec Spoutnik. Son rôle lui vaudra bien plus tard, en 2016, l’ordre du Dostyk décerné par le président du Kazakhstan Noursoultan Nazarbaïev pour avoir popularisé l’action d’Aliya Moldagoulova pendant la guerre.
17 films au total
En 1990, l’URSS s’effondre et les Républiques prennent leur indépendance. Le miracle kirghiz s’achève. Une autre génération d’acteurs et de réalisateurs apparaît dans un contexte difficile. Il ne reste que quelques salles de projections sur les 1 200 que comptait le pays et le financement des films repose souvent sur les capitaux étrangers.
Aïtourgan Temirova a tourné dans 17 productions dont 3 postérieures à 1990 et 10 sous la direction de son mari. Toujours citoyenne kirghize, elle vit aujourd’hui à Brno, en République tchèque, où elle s’est remariée. Elle a enregistré un disque et anime un groupe de musique kirghize. Bolot Chamshiev est décédé en 2019 à Bichkek, la capitale.
Des mémoires en cours d’écriture
Interrogée par Novastan sur son avenir, Aïtourgan Temirova dit avoir « de nombreuses idées ». « J’écris mes mémoires, que j’espère terminer en 2022. Je voyage au Kirghizstan et à l’étranger pour rencontrer des spectateurs, des jeunes, pour leur parler de culture, de cinéma et partager mes secrets de réussite », ajoute l’actrice kirghize. « Nous devons parler davantage avec les jeunes, prendre le temps de leur faire passer ce que je sais et ainsi leur permettre de réussir. C’est, je le crois, l’un des devoirs des personnes qui ont obtenu un certain succès », estime Aïtourgan Temirova. La nomination d’Aïtourgan Temirova à l’ordre des Arts et des Lettres démontre que sa popularité et le souvenir de l’âge d’or du cinéma restent présents au Kirghizstan. Le même jour que celui de l’annonce de l’ambassadeur de France, les autorités kirghizes ont récompensé l’actrice de l’Ordre de Manas III, décrit l’agence de presse kirghize 24.kg. Un jour qui marquait également le 30ème anniversaire de l’indépendance du Kirghizstan. « J’espère que les liens d’amitié entre les peuples français et kirghiz ne feront que se renforcer », conclut Aïtourgan Temirova, qui adresse ses « sincères condoléances » aux Français pour la mort de Jean-Paul Belmondo.
Stéphane Duperray Rédacteur pour Novastan
Relu par Anne Marvau
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