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Une promenade dans la Samarcande prérévolutionnaire

La partie de Samarcande construite pendant la deuxième moitié du XIXème siècle, après l’invasion de l’Empire russe, est appelée « ville russe » par les historiens. Les bâtiments datant de cette époque se sont conservés jusqu’à nos jours. Svetlana Joukova, spécialiste de l’histoire de Samarcande, présente un parcours autour de ces monuments.

Rédigé par :

La rédaction 

Traduit par : Lena Marin

Gazeta.uz

Samarcande Mosquée
Promenade dans les rues de Samarcande. Photo : Evguéni Sorotchine / Gazeta.uz.

La partie de Samarcande construite pendant la deuxième moitié du XIXème siècle, après l’invasion de l’Empire russe, est appelée « ville russe » par les historiens. Les bâtiments datant de cette époque se sont conservés jusqu’à nos jours. Svetlana Joukova, spécialiste de l’histoire de Samarcande, présente un parcours autour de ces monuments.

Samarcande est une des villes les plus anciennes d’Ouzbékistan. Son histoire remonte à plus de 2 750 ans. La ville s’est transformée entre la période à laquelle elle était nommée Afrasiyab et le moment où elle est devenue la capitale de l’Empire timouride, centre culturel, de commerce et d’architecture le plus important de l’époque dans la région.

Cependant, la partie antique de la ville ne révèle que partiellement son histoire complexe. La deuxième moitié du XIXème siècle constitue un tournant historique pour Samarcande. Après l’invasion de l’Empire russe et la fondation du Turkestan s’est développée une ville russe à côté du centre historique. Au départ, les troupes tsaristes se sont installées dans l’ancienne forteresse. Cependant, sa destruction a été initiée rapidement et cet évènement a déclenché le début de la construction de cette partie russe.

L’initiateur des travaux a été le gouverneur Konstantin Von Kaufmann, qui a approuvé le plan général de 1870 pour la fondation d’une ville à l’architecture moderne. La Samarcande « européenne » devait être une ville avec des rues étendues, des institutions administratives, des banques, des églises orthodoxes. Svetlana Joukova, historienne de la ville, propose un parcours autour de ces monuments.

Des espaces verts

Il est impossible d’imaginer Samarcande sans ses allées verdoyantes, ses hauts arbres aux couronnes étalées et ses trottoirs ombragés. Pendant les années 1890, lorsque la ville était devenue le centre principal du gouvernement du Turkestan, l’attention n’était pas portée seulement sur la construction d’institutions administratives, mais aussi sur celle des espaces verts.

Boulevard Abramov Samarcande
Le boulevard Abramov. Photo : Evguéni Sorotchine / Gazeta.uz.

Sur le territoire relativement restreint dédié à la construction de la partie russe, cinq parcs et squares ont été créés dont trois ont été préservés et continuent à se développer aujourd’hui.

Le boulevard Abramov

Le boulevard Abramov, rue centrale de Samarcande, est devenu la frontière symbolique entre la ville orientale et russe. Il commence à l’endroit où s’érigeait l’ancienne forteresse Amir Timour. Le boulevard a donné naissance à un plan radial des rues qui forme la structure de la « Samarcande européenne ».

Construit au début des années 1880, il a initialement porté le nom du gouverneur général Alexandre Abramov. La longueur du boulevard s’étendait sur environ un kilomètre et comprenait trois allées puis deux passages souterrains.

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Le botaniste, horticulteur et visionnaire Mikhaïl Ivanovitch Neveski a élaboré le futur paysage verdoyant de Samarcande. Il a construit sa petite maison directement sur le territoire de la pépinière municipale avec de hauts plafonds, des portes et palissades en bois dans la cour. La maison lui servait de résidence mais également de laboratoire botanique à ciel ouvert.

Afin de transformer les espaces vides entre la ville antique et la nouvelle partie en des lieux verdoyants, Mikhaïl Neveski a élaboré tout un système de végétalisation. Il a fait acheminer des espèces du monde entier, a expérimenté des implantations d’arbres et les a fait pousser dans une serre spécialement dédiée à cette activité. Grâce à environ 30 ans de travail acharné, Samarcande a un boulevard bordé d’une centaine d’arbres, le poumon vert de la ville.

Un boulevard qui change de nom mais pas de fonction

Le boulevard a changé plusieurs fois de nom au fil du temps : il s’est appelé le boulevard de l’éducation universelle, le boulevard Gorki et, après l’indépendance, a été baptisé boulevard de l’Université. C’est encore aujourd’hui son nom actuel.

Il y trouve des chênes, des pins, des platanes d’Orient, des catalpas ainsi que des cèdres du Liban, espère rare. Le boulevard est toujours considéré comme un monument botanique naturel en Ouzbékistan. Ces arbres centenaires forment une « galerie verte » ombragée grâce à laquelle, pendant les périodes de fortes chaleurs, la température de l’air est inférieure de quelques degrés par rapport à celle du reste de la ville.

Le jardin du gouverneur

Le jardin du gouverneur jouxte le boulevard et en est son prolongement. Egalement créé à la fin du XIXème siècle, il présente des espèces locales telles que des ormes, des platanes d’Orient et des espèces rares importées de l’étranger. Le jardin a été pensé pour être un espace de bien-être et de repos près des institutions administratives.

Parmi les premières plantations, le pin de Crimée et les cyprès des marais, importés d’Amérique du Nord en 1886, se sont bien acclimatés. A l’initiative de Mikhaïl Neveski, un bassin d’eau a été creusé pour permettre à ces arbres de s’adapter au climat de Samarcande. Autrefois, les citadins venaient y faire de la barque.

jardin du gouverneur Samarcande
Le jardin du gouverneur. Photo : Evguéni Sorotchine / Gazeta.uz.

Après l’indépendance, l’étang a été divisé, ce qui a perturbé le système dendrologique établi. Néanmoins, un petit îlot avec des cyprès a été conservé. Pendant les années soviétiques, le parc est devenu de plus en plus vert : ont été plantés des sapins bleus, des bouleaux et des catalpas. Des paulownias ont fait leur apparition.

Aujourd’hui, ce parc est composé d’un mélange d’arbres de différentes époques, rappelant un musée botanique vivant à ciel ouvert.

Le jardin urbain

Le troisième noyau de cette chaîne verte est le parc central du loisir et de la culture qui porte le nom d’Alicher Navoï. Il a été créé en 1886. L’attention a été portée sur les arbres qui présentaient la capacité d’enrichir le sol et qui pouvaient facilement s’adapter au climat.

Les plantations de la fin du XIXème siècle y ont été conservées : différentes sortes de tilleuls, des pins de Crimée, des mûriers, des platanes d’Orient, des gleditsias, importés d’Amérique du Nord. Le système d’irrigation qui alimente les plantations a aussi une dimension historique : il servait à la fois pour l’arrosage et pour l’évacuation des eaux de pluie. Il est impossible de se représenter la végétalisation de Samarcande sans ce système d’irrigation.

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En se promenant dans les allées verdoyantes de Samarcande, l’effet du temps se fait sentir. Des arbres y ont été plantés à la fin du XIXème siècle, mais aussi pendant la période de reconstruction de 2010.

L’approche de Mikhaïl Neveski en matière d’aménagement du paysage est toujours d’actualité : il ne faut pas seulement penser à la beauté des lieux mais aussi au climat, à l’utilité, à la biodiversité. La relève de Mikhaïl Neveski pour l’entretien de la ville est assurée par les générations successives de paysagistes et de dendrologues. Et sous l’ombre épaisse des platanes et le bruissement des cyprès, Samarcande continue de vivre, verdoyante et ouverte pour les promeneurs tranquilles.

Le lycée pour femmes

L’un des monuments prérévolutionnaires remarquables est le lycée pour femmes, construit sur le boulevard de l’Université. Construit en 1904 d’après le projet de Gueorgui Svaritchevski, il a eu son importance comme édifice lié à l’éducation des femmes dans la région du Turkestan.

La structure en briques, les fenêtres allongées, les volumes symétriques et les façades sobres mais élégantes, dans l’esprit de l’éclectisme russe, soulignent le caractère académique et sérieux, l’importance de la mission éducative de l’institution.

lycée pour femmes Samarcande
Le lycée pour femmes de Samarcande. Photo : Evguéni Sorotchine / Gazeta.uz.

Le matériel de construction mérite une attention toute particulière. Depuis le IXème siècle, la brique en terre crue était utilisée dans la région pour la construction de maisons traditionnelles, recouverte d’un enduit en argile. Pour la structure des monuments, la brique de terre cuite était utilisée.

Un nouveau type de brique

Toutefois, afin de développer la partie européenne de Samarcande, il fallait utiliser de nouvelles technologies. A la fin du XIXème siècle, à l’initiative du gouverneur général, des briqueteries ont été installées, qui fabriquaient à partir de nouvelles technologies des briques en terre cuite, baptisées jelezniak.

Grâce aux deux phases de cuisson, cette brique se distinguait par sa grande résistance aux intempéries, aux tremblements de terre et à l’effet du temps. Elle était aussi appelée « la brique Nikolaïevski », faisant référence à la qualité des constructions de l’époque, pendant laquelle régnait le tsar Nicolas II.

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Après la révolution, pendant la période soviétique, ce bâtiment a conservé sa vocation éducative. Aujourd’hui, c’est la faculté de biologie de l’Université de Samarcande-Charaf Rachidov qui occupe les lieux. La façade a fait l’objet d’une restauration récente. L’édifice donne directement sur le boulevard de l’Université, ce qui lui permet de conserver sa tradition académique.

La banque russo-chinoise

Sur le boulevard de l’Université se trouve aussi l’ancien bâtiment de la banque russo-chinoise, l’un des plus beaux modèles d’historicisme architectural de la Samarcande prérévolutionnaire. Sa date de création, 1899, est visible sur sa façade où peut être lue la lettre « B » qui fait référence au marchand Bauer, son propriétaire.

banque russo chinoise Samarcande
La banque russo-chinoise à Samarcande. Photo : Evguéni Sorotchine / Gazeta.uz.

A la fin du XIXème siècle, toute une période de construction de banques et d’institutions commerciales a eu lieu afin de poursuivre le développement de ce quartier européen. La banque a été créée par des financements russes et chinois : elle servait aux liaisons économiques régionales. Elle était très impliquée dans le commerce de la route de la Soie.

L’architecture utilise un mélange de différents styles allant des portiques antiques aux détails modernistes. Les historiens de l’architecture définissent ce style comme étant de l’historicisme puisqu’il contient des éléments classicistes, modernistes ainsi que des décors orientaux.

Une esthétique entre l’Orient et l’Occident

Le décor riche attire particulièrement l’attention : deux portiques, des moulures, des masques de lions, des insertions de miroirs sur les murs qui se sont conservés depuis le XIXème siècle. Les intérieurs ont été aménagés dans l’esprit d’un dialogue entre l’Occident et l’Orient. Cela témoigne de la volonté des architectes de ne pas imposer une esthétique européenne dans Samarcande.

A l’intérieur du bâtiment, une salle des opérations a été construite avec de hauts plafonds et un système unique de chauffage avec des tuyaux à vapeur dans les murs. C’était une grande innovation pour l’époque.

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L’institution a changé plusieurs fois de fonction. Celle-ci a servi pendant plusieurs années d’hôpital régional, ensuite de rectorat, d’université, de bureaux administratifs. Cependant, depuis l’époque soviétique, sa façade était cachée derrière le bâtiment de la faculté de physique et de chimie de l’Université de Samarcande.

La restauration initiée par le recteur Roustam Khamouradov entre 2021 et 2022, sous la responsabilité des spécialistes de l’Université d’architecture de Samarcande, a permis de lui redonner son aspect historique. Des architectes et des restaurateurs tels que Galina Tsiguikalo, Habib Khayoumov, Askar Kasanov et d’autres ont travaillé sur ce projet.

Un musée consacré à l’amitié entre les deux pays

Leur tâche ne consistait pas seulement à restaurer la façade, mais aussi à reconstruire le bâtiment de manière scientifique. Sept couches de peinture ont été retirées, les ornements, les grilles, les verrous et les escaliers ont été rénovés. Les marches en marbre et le plafond de la salle centrale ont été soigneusement conservés.

banque russo chinoise Samarcande
La banque russo-chinoise a été changée en musée. Photo : Evguéni Sorotchine / Gazeta.uz.

Les architectes ont particulièrement prêté attention aux éléments décoratifs tels que les lustres, les sols, les meubles typiques des intérieurs prérévolutionnaires. Près de l’entrée, la sculpture du chien de Fo, figure de garde traditionnel du capital dans la culture chinoise, a même été replacée. La statue est en marbre blanc chinois.

Aujourd’hui, les murs de la banque russo-chinoise abritent le musée de l’amitié entre l’Ouzbékistan et la Chine de l’Université de Samarcande. Y est exposée l’histoire de la route de la Soie, un itinéraire commercial et antique, qui a, au fil des siècles, uni la culture et le peuple des deux pays.

Le musée est ouvert tous les jours de 9 heures à 18 heures. L’entrée coûte 5 000 soums (0,35 euros environ) pour les citoyens ouzbeks et 25 000 soums pour les étrangers (1,79 euros).

Le manoir d’Abram Kalantarov

La construction de la demeure du marchand de la première guilde Abram Isaakovitch Kalantarov a duré une quinzaine d’années. Les travaux ont commencé en 1902 et se sont terminés en 1916, lorsqu’une aile d’apparat a été construite avec beaucoup de goût et une grande ambition architecturale, à l’angle sud-est du domaine.

Selon une légende, l’agrandissement du manoir aurait été décidé dans l’éventualité d’une visite du tsar Nicolas II. Voulant faire impression sur ses invités, Abram Kalantarov a imaginé une architecture qui ne devait pas seulement être un symbole de propriété, mais aussi une démonstration de l’accueil de Samarcande.

Manoir Kalantarov Samarcande
Le manoir d’Abram Kalantarov. Photo : Evguéni Sorotchine / Gazeta.uz.

L’architecte E.O Nelle, l’un des plus brillants de son temps, a travaillé sur le projet. Il était connu pour son aptitude à combiner le moderne, l’orientalisme, l’éclectique et l’historicisme tardif. Les intérieurs du manoir impressionnaient par leurs finitions délicates et leurs détails riches.

Les plafonds ont été peints à la main, les salles ont été dotées de miroirs vénitiens, de vitrages floraux commandés en Allemagne, de lustres en cristal de Varsovie. Les poêles et les cheminées revêtus de carreaux rares ont été spécialement acheminés d’Europe. Le coût total de la construction s’est élevé à 134 000 roubles d’or, somme colossale pour l’époque.

Changement de propriétaire après la révolution

Les décors des salles d’apparat ont été confiés aux meilleurs artisans de Samarcande, des sculpteurs sur bois et peintres décorateurs. En utilisant des techniques orientales et des peintures naturelles, ils ont réussi à obtenir une synthèse unique entre le raffinement européen et la décoration orientale, rendant authentiques les appartements du domaine.

Après la révolution, Abram Kalantarov a donné le bâtiment au gouvernement. Dans les années 1920, le Comité Central du Parti Communiste de la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan s’y est installé, avec à sa tête Akmal Ikramov.

A partir de 1934, le musée de Samarcande a été établi dans le manoir. Au début de l’année 1981, le bâtiment a été restauré : les plafonds, les papiers peints incrustés en papier-mâché, les éléments décoratifs ont été refaits. A la fin de cette année-là, le musée régional d’histoire locale de Samarcande y a été ouvert. Actuellement, le bâtiment est fermé pour travaux.

Les lieux saints rassemblés le long d’une même rue

Dans la partie européenne de Samarcande, il y a une rue unique le long de laquelle sont construits tous les monuments religieux de différentes confessions. En s’y promenant, il est possible de faire un parcours d’une église à l’autre, d’une tradition à l’autre, chacun de ces lieux détenant une histoire unique.

Samarcande cathédrale Saint Alekseï
La cathédrale Saint Alexeï à Samarcande. Photo : Evguéni Sorotchine / Gazeta.uz.

L’un des premiers monuments religieux sur le chemin est la cathédrale Aleksïevski. Elle a été bâtie entre 1909 et 1911 selon les plans de Fiodor Verbitski et Fiodor Smirnov. La cathédrale a repris sa fonction religieuse après l’indépendance, en 1996, lorsqu’Alexis II, le patriarche de Moscou et de toute la Russie, s’est rendu en visite officielle à Samarcande pour consacrer personnellement la cathédrale.

Ce majestueux édifice religieux de style russe est toujours en activité et tient une place importante pour la communauté orthodoxe de la ville.

Un passé dense qui se reflète dans l’architecture

A 150 mètres de la cathédrale Pokrovski se trouve la mosquée Khazrati Khamadi, construite en 1910. Elle demeure très importante dans la vie des musulmans. L’architecture de la mosquée est simple, mais c’est là que réside sa beauté.

Cet itinéraire à travers les rues de Samarcande ne raconte pas seulement l’histoire de la ville mais aussi combien celle-ci a été marquée par différentes influences et habitée par plusieurs religions, toujours présentes aujourd’hui.

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A Samarcande, il est possible de voir une église orthodoxe à côté d’une mosquée, d’une synagogue, d’une église arménienne et du musée de l’amitié entre les peuples, entourés d’une architecture artistique qui témoigne de la richesse d’un passé historique dense. C’est cela qui fait toute la particularité de Samarcande, où Orient et Occident sont unis en un espace culturel vivant.

Farzona Khamidova
Journaliste pour Gazeta.uz

Traduit du russe par Lena Marin

Edité par Paulinon Vanackère

Relu par Charlotte Bonin

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