Située dans le sud-est de l’Ouzbékistan, la ville d’Ourgout est considérée dans la région essentiellement comme un bazar. Ses platanes millénaires en font aussi sa réputation aujourd’hui. Amina Akrorkoulova s’y est rendue pour voir ce qui se cache derrière les ruelles de cette ville perdue dans la campagne aux pieds des montagnes.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 27 octobre 2021 par notre version allemande.
« Ici, pas besoin de beaucoup pour être heureux: pouvoir prier, bien manger et avoir ses enfants autour de soi », c’est ainsi que s’exprime Zarina (nom modifié), 40 ans, habitante d’Ourgout, ville pleine de couleurs et perdue dans la campagne, regroupant plusieurs villages de montagne, au pied des monts Zeravchan. Amina Akrorkoulova, autrice pour Novastan, s’y est rendue : le texte qui suit est son récit.
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A Samarcande, Ourgout est essentiellement considérée comme un grand bazar et guère comme une ville. Les habitantes et les habitants de Samarcande ont coutume de s’y rendre de bonne heure le matin pour y faire leurs emplettes. Mais ma visite avait un autre but. En effet, je voulais découvrir la ville et faire plus ample connaissance avec sa population. Ourgout compte environ 35 000 habitants, issus d’un sous-groupe ouzbek de langue tadjike.
Une platanaie mythique
Le chauffeur de la marchroutka, sorte de mini bus, me mène directement à la grande porte conduisant à la forêt de platanes appelée Chor-Chinor (les quatre platanes en persan) et à ses mosquées. Derrière cette porte commence une longue allée bordée de gigantesques platanes. Dans le tronc creux de l’un d’entre eux, il y avait jadis une école où un maître et six à sept élèves pouvaient trouver place. Dans cet endroit insolite se trouvent aujourd’hui une petite table en bois et un banc, comme dans les salons de thé. Les plus vieux y boivent toujours du thé, même quand il fait très chaud dehors.
Au-dessus de cette allée, un étang est alimenté par une curieuse source: l’eau coule du centre d’une grosse pierre semblable à une roue de moulin. Dilorom Saloxiy, professeure de lettres à l’université d’état de Samarcande, indique que, selon la légende, un héros populaire d’Ourgout aurait apporté la pierre sur ses épaules et aurait fait le trou d’un coup de tête.
La vieille ramure d’un arbre s’inclinant vers la surface de l’eau et de petits papillons virevoltant confèrent un charme magique à cet étang. Les gens du coin racontent que l’eau de cette source possède des vertus curatives. Ils en boivent ainsi un verre tous les matins pour rester en bonne santé. Comparé au rythme chaotique et trépidant de Samarcande, il règne ici une incroyable douceur et une parfaite tranquillité.
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Chor-Chinor dans son ensemble dégage une grande force. C’est pour cela aussi que l’endroit est si populaire chez les pèlerins et même les simples fidèles qui viennent pour méditer sur la vie, prendre du recul et prier. Au milieu de la platanaie, il y a une mosquée du XXème siècle qui servait jadis de madrasa, une école coranique. C’est ici que les jeunes musulmans de toute la région de Samarcande étudiaient les principes fondamentaux de l’islam. Dans son article « Samarcande-Ourgout », Anvar Khojiniyazov précise que cette madrasa a été utilisée au fil du temps comme orphelinat, maison de retraite et aussi comme auberge.
Invitation chez Zarina
Ourgout est connue en particulier pour l’intérêt de son urbanisme. La localité semble moins une ville qu’un regroupement de villages bâtis le long de ruisseaux. Après m’être longuement promenée dans le Chor-Chinor, j’arrive à la partie supérieure d’Ourgout et à ses villages de montagne. Dans les ruelles étroites, des enfants jouent au football en souriant avec insouciance, des femmes en costume traditionnel vaquent toute la journée à leur ménage et des hommes cultivent leur jardin, sur fond de champs et de montagnes s’étendant à l’infini.
Tandis que je marche dans les rues de ce village, une femme m’invite d’un geste à entrer dans sa maison. Cela me surprend car à Samarcande il est rare qu’on invite chez soi des étrangers. C’est ainsi que je fais la connaissance de Zarina. Autour d’un thé au délicieux arôme, elle me raconte sa vie et me parle de ses problèmes. La table croule sous les pâtisseries ouzbèkes, les fruits et les pains traditionnels apportés par sa belle-fille Zoulaïkho (nom modifié), jeune femme de 19 ans.
A Ourgout, les filles se marient souvent à l’âge de 18 ou 19 ans et les garçons quelques années plus tard. Pour les gens d’ici, les jeunes hommes qui ne veulent pas se marier doivent faire des études à l’université. Mais comme il n’y en a pas à Ourgout, ils vont le plus souvent à Samarcande, située à environ 40 kilomètres de leur lieu d’habitation.
Des inégalités
A Gous, le village de Zarina, les habitants vivent très simplement. Le quotidien de mon hôte peut ainsi se résumer: se lever à l’aube, prier, préparer le petit-déjeuner pour la famille, mettre le pain dans le tandir (un four en céramique ouzbek, ndlr), nourrir les bêtes, faire les courses au bazar, s’occuper du déjeuner et du dîner, faire la lessive tout en veillant à ce que les enfants ne s’aventurent pas dans les montagnes. Mais les enfants eux aussi semblent être assez grands pour participer aux tâches ménagères et se prendre en charge tout seuls.
Dimitri Kotjouskin, guide à Samarcande, décrit la situation actuelle de la ville d’Ourgout : « Depuis l’époque soviétique, le tabac est cultivé à Ourgout et exporté. Jusqu’aux années 2000, Ourgout exportait de l’opium et du haschich de mauvaise qualité. L’endroit est surpeuplé, il y a une pénurie de terres et surtout d’eau. Les gens doivent donc se débrouiller. Les inégalités sociales et financières sont très importantes au sein de la population ».
Zarina elle aussi se plaint de ses conditions de vie. Elle et son mari gagnent un peu d’argent en vendant leurs fruits et leurs légumes sur le marché mais cela ne suffit pas pour nourrir la famille. Zarina voudrait que son mari parte à l’étranger pour y travailler, mais lui s’y refuse catégoriquement.
Le plus grand bazar d’Ouzbékistan
Effectivement, beaucoup d’habitants ont quitté la ville pour chercher du travail à l’étranger. « A cause de la pauvreté, les gens d’Ourgout parcourent le monde pour gagner de l’argent. Peu d’entre eux vont en Russie, la plupart préfère partir en Turquie, en Corée ou en Amérique, ce qui est plus difficile mais aussi plus lucratif », me confie le chauffeur. « Et ils en rapportent des tas de choses qu’ils achètent en grande quantité et qu’ils revendent ici. C’est pourquoi Ourgout est célèbre dans tout l’Ouzbékistan pour son marché, c’est le moins cher de tous les grands bazars du pays », écrit le journaliste Ilia Bouïanovski sur la plateforme de blog russe LiveJournal.
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En sortant de chez Zarina, je me dirige vers le bazar. Des odeurs de pain frais, de plov, le plat national ouzbek, et de kebab m’accompagnent en chemin. Des pâtisseries locales proposant des sucreries ouzbèkes et de petites boutiques de primeurs où s’affairent auprès des clients des vendeurs empressés animent la vie du marché. Mais pour attirer l’œil des chalands il y a aussi de petites échoppes qui vendent de la vaisselle ouzbèke ancienne, des bijoux ou des étoffes à motifs orientaux.
Au marché, je rencontre le mari de Zarina sur un stand de fruits et légumes. Il sait déjà à peu près qui je suis, bien que nous ne nous soyons jamais encore rencontrés personnellement. Il me raconte qu’il travaille aussi à l’occasion comme chauffeur de taxi, « quand les affaires ne marchent pas », pour ne pas revenir chez lui les mains vides à la fin de la journée. Pour finir, nous nous retrouvons dans une auberge où nous dégustons un plov traditionnel bien gras parmi une clientèle uniquement masculine. Le mari de Zarina insiste pour que je repasse chez lui et dise encore au revoir à sa femme et aux enfants. Zarina me serre bien fort dans ses bras et me tape sur le dos. Je lui promets de revenir les voir bientôt.
Amina Akrorkoulova
Rédactrice pour Novastan
Traduit de l’allemand par Bruno Cazauran
Edité par Carole Pontais
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