La langue des signes est encore trop peu enseignée en Ouzbékistan, bien qu’elle gagne en soutien ces dernières années. Pourtant, elle représente elle aussi une partie du patrimoine ouzbek.
L’Ouzbékistan est un pays qui compte des milliers des personnes ayant une déficience auditive, pour qui la langue des signes représente un moyen précieux de communication et d’intégration. D’après la Société des sourds, plus de 20 000 sourds et personnes malentendantes vivent en Ouzbékistan. La langue des signes leur permet d’accéder aux informations, de s’exprimer, ainsi que d’interagir avec le monde sur un pied d’égalité avec les entendants.
Mais la langue des signes demeure peu connue du grand public et les possibilités pour les malentendants restent limitées.
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La naissance de la langue des signes ouzbèke
La langue des signes ouzbèke (LSO) s’est formée sur la base de la langue des signes qui était enseignée dans les écoles-internats de l’Ouzbékistan durant la période soviétique. Pendant longtemps, elle s’est présentée comme un dialecte de la langue des signes russe, complétée par des gestes qui reflétaient la culture ouzbèke.
Au fil du temps, des gestes uniques sont apparus dans la communauté des sourds afin de décrire la réalité locale : la LSO a commencé à acquérir des caractéristiques propres, des traits distinctifs, bien qu’elle n’ait pas disposé d’un statut officiel jusqu’à la fin du XXème siècle.
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Après 1991, l’Ouzbékistan a transcrit son alphabet du cyrillique vers l’alphabet latin. À partir de 1997, l’enseignement du nouvel alphabet au sein des écoles a provoqué des difficultés : les générations passées ont eu du mal à s’adapter, tandis que les jeunes apprenaient déjà l’écriture latine. Cela a aussi provoqué une rupture entre les générations de personnes malentendantes.
La condition actuelle et le développement de la langue des signes ouzbèke
Aujourd’hui, en Ouzbékistan, l’attention portée aux problématiques des personnes handicapées, y compris des personnes sourdes, s’intensifie. Après la ratification de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées en 2021, l’État a reconnu la langue des signes comme un moyen officiel de communication pour les personnes malentendantes.
En 2022, le président a approuvé un décret sur le développement de la langue des signes ouzbèke et de l’écriture en braille. Ce décret prévoyait la revalorisation du statut de la langue des signes ouzbèke, l’élaboration d’un dictionnaire, de manuels et de supports pédagogiques.
Depuis 2023, des cours de langue des signes ouzbèke et d’alphabet braille sont proposés dans les écoles et dans les centres Ichga Marhamat, où la formation est accessible non seulement aux personnes sourdes, mais aussi à leurs proches, aux enseignants et aux travailleurs de la sphère sociale. Cependant, des problèmes importants demeurent, notamment une pénurie d’interprètes qualifiés en langue des signes. À Tachkent et dans sa région vivent seulement une dizaine d’interprètes pour environ 5 000 personnes sourdes, et la situation est similaire dans les autres régions.
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« La communauté des sourds est isolée. Lorsqu’il s’agit de trouver un emploi, des préjugés apparaissent : on pense qu’une personne malentendante ne peut pas apprendre ou travailler. Mais c’est un mythe. Dans notre centre, des personnes sourdes travaillent, portent des aides auditives et ne se distinguent en rien des autres. Le vrai problème, c’est le manque d’information dans la société », explique Tatiana Ane, cheffe de projet pour le hub inclusif international de l’Agence nationale pour la protection sociale d’Ouzbékistan.
Des différences avec les autres langues des signes
Chaque langue des signes s’avère unique et se développe au sein d’une communauté sourde spécifique. La LSO est proche de la langue des signes russe (LSR) en raison de l’héritage soviétique : de nombreux signes sont identiques, et les différences concernent surtout les notions culturelles, comme les noms des plats nationaux ou les prénoms.
Dans la vie quotidienne, la LSO utilise un alphabet dactylologique à deux mains basé sur le cyrillique, identique à celui utilisé dans la LSR.
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Tatiana Ane explique : « La langue des signes internationale est très différente de la langue locale. Bien qu’elle ne soit pas strictement basée sur la langue des signes américaine, beaucoup de signes en proviennent. Dans nos cours, la principale exigence est de connaître n’importe quelle langue des signes et d’avoir des bases d’anglais, mais ce n’est pas obligatoire. »
« Les élèves sont satisfaits de leurs progrès : il leur est montré comment un signe se fait dans la langue locale et dans la langue internationale. Récemment, nous avons eu une rencontre avec une délégation de Corée du Sud, et nous avons pu voir comment des personnes sourdes communiquaient entre elles via un interprète en langue des signes internationale », ajoute la cheffe de projet.
Une sorte d’esperanto en langue des signes
La langue des signes internationale (IS) est un système simplifié destiné à la communication entre sourds lors d’événements internationaux. Elle est apparue entre les années 1950 et 1970 à l’initiative de la Fédération mondiale des sourds, qui cherchait alors à créer une langue universelle des signes, le Gestuno, mais celle-ci n’a pas connu un véritable essor.
L’IS actuelle est un mélange vivant de pantomime, de gestes iconiques et d’emprunts, avec un vocabulaire limité et une grammaire simple. Contrairement à la langue des signes ouzbèke, l’IS n’est pas utilisée dans la vie quotidienne, n’a pas de locuteurs natifs et ne reflète pas de culture nationale. C’est un outil auxiliaire, une sorte d’espéranto du monde des signes.
Pourquoi existe-t-il des versions nationales des langues des signes ?
L’un des malentendus les plus répandus est de croire qu’il existe une langue des signes universelle. En réalité, il existe environ 300 langues des signes dans le monde, chacune étant apparue naturellement au sein d’une communauté sourde spécifique, souvent indépendamment des autres.
Les langues des signes ne sont pas des versions visuelles des langues orales, mais des systèmes linguistiques autonomes, formés à travers la transmission entre générations, l’influence culturelle et les besoins de communication. Dans un même pays, plusieurs langues des signes peuvent coexister, tandis que des pays partageant la même langue orale peuvent avoir des systèmes gestuels totalement différents. Par exemple, en Allemagne et en Autriche, les langues des signes sont différentes et mutuellement incompréhensibles. En Afrique du Sud, au contraire, malgré 11 langues orales officielles, il n’existe qu’une seule langue des signes nationale.
La similitude entre certaines langues des signes est aussi influencée par l’histoire des contacts. Dans les pays post-soviétiques comme l’Ouzbékistan, le Kazakhstan ou le Kirghizstan, les langues des signes sont proches grâce à l’héritage commun de la langue des signes russe.
« Les personnes d’Asie centrale se comprennent très bien entre elles »
Tatiana Ane explique : « Les personnes d’Asie centrale se comprennent très bien entre elles. La seule différence réside dans l’ordre des mots dans la phrase. En ouzbek, comme dans la langue orale, le sujet est placé en début de phrase, tandis qu’en russe c’est plus libre. Mais dans l’ensemble, il y a une parfaite compréhension mutuelle. »
Les langues des signes de différents pays peuvent être très différentes. À l’intérieur d’un même pays, il peut également exister des dialectes régionaux.
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Cette autonomie linguistique s’explique par l’isolement historique des communautés sourdes : avant l’avènement d’internet et des connexions globales, ces communautés avaient rarement des contacts entre elles. Chaque langue des signes s’est développée en réponse aux besoins de sa propre communauté et est devenue l’expression de son identité culturelle. C’est pourquoi les personnes sourdes dans le monde entier sont fières de leur langue, qu’il s’agisse de l’ASL aux États-Unis ou du BSL au Royaume-Uni.
La formation des interprètes en langue des signes en Ouzbékistan
En Ouzbékistan, la profession d’interprète en langue des signes commence à obtenir un véritable statut et un certain soutien. Pendant longtemps, les interprètes étaient principalement des passionnés, souvent des enfants de parents sourds ou des enseignants d’écoles spécialisées ayant appris la langue des signes de manière pratique. Il n’existait pas de système formel de formation des interprètes, ce qui a conduit à une grave pénurie de professionnels.
« Dans les universités, il existe des cursus en surdopédagogie et en interprétation en langue des signes, notamment à l’Université Herzen. Dans notre hub inclusif international, nous avons ouvert un groupe de langue des signes internationale, le premier en Ouzbékistan. Nous avons reçu 52 candidatures pour seulement 12 places. S’y forment à la fois des personnes sourdes et des interprètes maîtrisant la langue des signes locale. De plus, des centres de formation dans les régions proposent également des cours de langue des signes locale », raconte Tatiana Ane.
Aujourd’hui, la situation a connu des améliorations significatives. L’Association des sourds d’Ouzbékistan organise des cours de langue des signes destinés aux entendants, y compris pour la formation d’interprètes, que ce soit à Tachkent ou dans les régions.
Un manque d’information
Les bases de l’interprétation en langue des signes sont incluses dans les programmes des facultés de pédagogie spécialisée des universités pédagogiques. Les futurs enseignants spécialisés apprennent la langue des signes, les méthodes d’enseignement et les particularités psychologiques des élèves sourds.
Certains diplômés deviennent interprètes, bien qu’il n’existe pas encore de programme universitaire spécifique consacré uniquement à la formation d’interprètes en langue des signes en Ouzbékistan. Contrairement à d’autres pays, où la formation d’interprètes est reconnue comme un véritable cursus universitaire avec un diplôme.
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Dans le décret de 2022, il est stipulé que les agents chargés de traiter les demandes des citoyens dans les institutions publiques doivent suivre des cours d’interprétation en langue des signes. L’objectif est qu’au moins un employé dans chaque ministère et organisme public ait des compétences en langue des signes afin d’aider les visiteurs malentendants.
« Pourquoi les interprètes en langue des signes ne sont-ils pas aussi développés chez nous que dans les pays occidentaux, où ils traduisent même des concerts ? Premièrement, à cause d’un manque d’information. Chez nous, on pense souvent qu’il n’est pas nécessaire de faire appel à des interprètes, qu’il s’agit d’une dépense inutile. Deuxièmement, à cause du manque d’expression émotionnelle. Nos interprètes se contentent généralement de montrer les signes de façon formelle. Tandis que, par exemple, cette célèbre interprète lors du concert d’Ariana Grande le faisait avec beaucoup d’émotion, et cela est très important », conclue Tatiana Ane.
Feridé Makhsetova et Yana Modelova
Journalistes pour Hook
Traduit du russe par Lisa D’Addazio
Relu par Léna Marin
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Langue des signes en Ouzbékistan : avancées et défis