La cathédrale Saint-Alexis de la deuxième ville d’Ouzbékistan a partagé le sort de la plupart des édifices religieux construits avant la révolution de 1917, servant à tout sauf à un lieu de culte. Sa restitution aux fidèles a requis de nombreuses années.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 26 mars 2020 par le média ouzbek Samarcandski Vestnik.
Construite en 1911, la cathédrale Saint-Alexis de Samarcande, dans le sud de l’Ouzbékistan, a fait office de tout, entre 1930 et 1991, sauf d’un lieu de culte. Du fait de l’athéisme prôné par les Soviétiques, la grande majorité des édifices religieux construits avant la révolution de 1917 ont vécu le même sort. Sa restitution à l’Église a requis de nombreuses années.
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Le 27 mars 1929, le présidium du conseil municipal de Samarcande demande le transfert de la cathédrale Saint-Alexis à l’autorité de la maison de la culture physique. Le 16 février 1930, à la demande des travailleurs de l’atelier de typographie n° 3, le comité exécutif central de la République soviétique socialiste (RSS) d’Ouzbékistan confirme la décision du présidium du conseil municipal de Samarcande concernant la fermeture de la cathédrale. Le comité de l’urbanisme est chargé d’enlever d’urgence toutes les cloches des églises de Samarcande et de « créer une commission en vue de la fermeture rapide de la cathédrale Saint-Alexis et de l’établissement de l’inventaire de son patrimoine ».
Le père Victor Pantchenko, d’abord responsable laïc (starosta), puis premier abbé de la cathédrale Saint-Alexis après sa restitution à l’Église, a recueilli le témoignage d’une dame qui avait assisté au démantèlement alors qu’elle était enfant. Elle raconte que la coupole surmontée de croix a été arrachée à l’aide de gros câbles attachés à un tracteur, et qu’on l’a ensuite brûlée. Une foule s’est rassemblée et s’est mise à prier. Quelques fidèles, malgré les circonstances, sont parvenus à sauver une petite quantité d’icônes et à les cacher chez eux. Par la suite, certains de ces objets se sont retrouvés dans l’église de l’Intercession-de-la-Mère-de-Dieu et dans les réserves du musée d’histoire et de la culture de Samarcande. L’une des icônes sauvegardées, après plus de 60 ans, a réintégré la cathédrale. Il s’agit de la grande icône du Sauveur de facture italienne, ou peut-être celle du mont Athos.
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Après sa fermeture en 1930, le bâtiment de la cathédrale a fait partie du domaine de l’armée. Les militaires l’ont d’abord utilisée comme salle de danse, puis comme réfectoire et ensuite comme salle de sport. Dans les années cinquante, la cathédrale a fait office de club et d’entrepôt.
En août 1980, le régiment d’aviation de Samarcande a été transféré en Russie et a quitté en hâte les murs de la garnison. Pendant une semaine, les soldats ont chargé dans des camions les biens appartenant au régiment qui se trouvaient dans les bâtiments de la cathédrale. Ils ont emporté tout ce qu’ils ont pu, déterrant même des plants de rosiers. Peu de temps avant le départ du régiment, un beau « panikadilo » (lustre central) a été envoyé vers une destination inconnue et c’est à peu près au même moment que les candélabres muraux ont disparu. Après le départ des militaires et jusqu’en 1990, la cathédrale a fait partie du musée de Samarcande.
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Le 17 décembre 1988 est le point de départ d’une nouvelle phase de l’histoire de la cathédrale. Une habitante de Samarcande, chirurgienne oncologue, Evdokia Nikolaievna Doudina, invalide, écrit une lettre à l’évêque de Tachkent et d’Asie centrale. Décrivant le mariage de ses parents dans cette église en janvier 1917, elle demande à l’évêque Lev d’entreprendre des démarches en vue de la rétrocession aux fidèles de ce lieu de culte. En janvier 1990, elle lui envoie une deuxième lettre annonçant que des étudiants de Samarcande ont réuni plus de 200 signatures en faveur de l’ouverture de la cathédrale. Après quelque temps, le nombre de signatures monte à 368. Dans une autre lettre, les orthodoxes de la ville s’adressent à la députée du Soviet suprême de l’ancienne RSS d’Ouzbékistan V. Krivoroutchko lui demandant d’intervenir en faveur de l’enregistrement de la communauté de chrétiens orthodoxes, de l’ouverture d’un compte et du transfert aux fidèles de la cathédrale Saint-Alexis.
Le 17 septembre 1991, l’administration diocésaine est informée que le conseil municipal de Samarcande lui restitue la cathédrale Saint-Alexis. Elle est le seul édifice de culte du doyenné de Samarcande datant de l’époque pré-révolution d’Octobre à être rendu aux chrétiens orthodoxes.
La cathédrale est cependant dans un piteux état. La coupole et le porche en pierre de l’entrée principale ont disparu, de même que l’iconostase et le lustre principal, les icônes et les croix en fonte, et bien d’autres objets encore. Le premier abbé et restaurateur de la cathédrale Saint-Alexis, le père Victor Pantchenko, se souvient : « Les portes de la cathédrale avaient été condamnées hermétiquement. Les ayant ouvertes avec difficulté, nous avons été choqués par ce que nous avons vu. Tout était souillé, dans le sens littéral du terme, les murs étaient couverts d’inscriptions obscènes et de symboles sataniques », décrit-il. « Le plafond était complètement dégradé, les vitres cassées, les croix sur les grilles de fonte placées sur les fenêtres avaient été sciées ; les corniches moulées étaient brisées ; on avait placé d’absurdes cloisons en béton. Sur le chœur, on avait percé des trous pour des appareils cinématographiques. Sur l’autel, on avait jeté des matelas souillés, partout il y avait des tas de bois brûlé… Je me suis mis à pleurer. À ce moment-là, j’avais le sentiment que je ne pourrais rien faire. Car pour nettoyer le lieu de culte des traces de vandalisme, il fallait des moyens financiers et de la main-d’œuvre, dont je ne disposais pas », ajoute-t-il.
En parallèle de son activité de restauration du lieu de culte, Victor Pantchenko officiait à l’église de l’Intercession-de-la-Mère-de-Dieu, à l’église Saint-Georges, et participait à des molebens, des offices de supplication dans les Églises d’Orient de tradition slave, à la cathédrale Saint-Alexis. En outre, il démarchait différentes instances, usines et organisations, afin de demander des fonds et des matériaux. Or, les temps étaient difficiles. À la chute de l’URSS, les habitants russophones de la ville partaient en masse, les ateliers de production cessaient leurs activités, l’argent perdait sa valeur. Il lui a fallu tout régler lui-même. « Chacune de mes journées commençait par des visites à des directeurs d’usines et d’entreprises. Certains nous aidaient en nature, d’autres nous donnaient de l’argent (d’ailleurs, parmi les donateurs figuraient des musulmans) et d’autres encore, la majorité, nous envoyaient promener sans détour. J’ai dû dépenser beaucoup d’énergie pour obtenir la confirmation de la situation juridique de la cathédrale sur son propre territoire, et pendant trois ans on ne m’a pas donné d’autorisation » se souvient Voctpr Pantchenko.
À cette période, il n’y avait pas du tout d’icônes dans l’église. Le père Victor s’est rendu au musée municipal d’histoire et de la culture. Là, il est parvenu avec beaucoup de difficulté à obtenir quelques vieilles icônes. Il a lui-même restauré l’une d’elles, la grande icône du Sauveur « l’Evêque suprême ».
Également artiste-peintre, le père Victor a dessiné pour la cathédrale quelques petites images, notamment de Saint-Alexis (à la manière de Dionysos) pour le pupitre (analogion). Les sculpteurs de Samarcande Nodar Bandeladze et Anzor Bereznichvilli, suivant les conseils et les souhaits de Victor Pantchenko, ont dessiné des esquisses de la croix sur la coupole. Le modèle et le moulage ont été réalisés gracieusement à l’usine « Moteur rouge ». La grille pour la cathédrale a été forgée pour un prix purement symbolique par Vladik Gregorian, qui a utilisé des éléments très bien conservés des grilles décoratives des fenêtres.
Alexandre Galak
Journaliste pour Samarcandski Vestnik
Traduit du russe par Priscilla Parard
Edité par Nazira Zhukabayeva
Corrigé par Anne Marvau
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AIQING ZheMing 艾青 哲明, 2020-05-4
Merci, à toutes et tous pour ce travail, ayant soucis depuis 2004, pour Urumqi-Wulumuqi, que l’ASIE Centrale retrouve ses valeurs, et que nos Eglises d’Est en Ouest refleurissent.
Notre Eglise Saint LOUIS de Grenoble, doit elle aussi retrouver son Eclat, je nous espère en commun, une nouvelle lumière.
De ces Ambassades lancées par Saint LOUIS et ses descendants, vers l’ASIE, la CHINE, qui furent interrompues par l’ISLAM , jusqu’à l’arrivée par la Mer pour l’Extrème Orient, je vois enfin des résultats du travail de FRANCOIS et KYRIL.
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