Très peu de Kirghiz semblent se souvenir qu’il y a 30 ans, le 17 mars 1991, avait lieu le seul référendum de toute l’histoire de l’Union soviétique. La question qu’il posait : conserver ou non l’URSS en tant que nouvelle fédération de républiques souveraines et égales entre elles.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 17 mars 2021 par Kaktus Media.
À l’époque, cette question d’actualité était extrêmement importante. Il s’agissait même véritablement une question de vie ou de mort. En ce temps, l’Union des « républiques libres », puissante et indestructible, n’avait encore jamais été ébranlée par un tel « défilé des souverainetés ».
Le 16 novembre 1988, l’Estonie a été la première à annoncer sa souveraineté. La Lituanie et la Lettonie ont suivi son exemple respectivement le 26 mai et le 28 juillet 1989. Le 23 septembre de la même année, c’était au tour de l’Azerbaïdjan. La Russie, quant à elle, l’a annoncé le 12 juin 1990.
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Dans cette situation, les pays baltes, mais aussi l’Arménie, la Géorgie et la Moldavie ont refusé de prendre part au référendum. Dans les neuf autres républiques de l’URSS, comptant 185,6 millions de citoyens ayant le droit de vote, 148,5 millions se rendirent aux urnes, soit une participation de 79,5 %. Parmi eux, 113,5 millions, c’est à dire 76,4 %, votèrent pour la conservation d’une Union soviétique réformée.
Il est à noter qu’au Kirghizstan, le taux de participation au référendum fut de 92,9 %, et 96,4 % votèrent pour l’URSS.
La catastrophe géopolitique du XXème siècle
Hélas, la réalité détruisit tous les espoirs et toutes les aspirations des électeurs, qui montrèrent clairement que sur un sixième de la planète Terre, l’opinion du peuple n’était jamais vraiment prise en compte. Le 8 décembre 1991, six mois après le référendum qui avait clairement exprimé les aspirations de la plupart des soviétiques, les chefs d’état de la Biélorussie, de la Russie et de l’Ukraine, c’est-à-dire Stanislaw Chouchkievitch, Boris Eltsine et Léonid Kravtchouk, se réunissaient.
Lors de cette « Cène », à Viskouli dans un sanatorium d’état de la forêt de Bialovèse, dans l’est de la Pologne, les chefs d’état ont tranché. « Les négociations pour la création d’une nouvelle Union et d’un nouvel accord sont dans l’impasse ; le processus de sécession des républiques et de création d’états indépendants est devenu un élément réel » avaient-ils déclaré. Un accord a ensuite signé la fin de l’URSS et la création de l’Union des états indépendants (UEI).
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Le 21 décembre, les chefs des nouveaux États souverains, réunis dans la ville d’Alma-Ata, ancien nom d’Almaty, créèrent l’UEI. Il n’a été reconnu officiellement que beaucoup plus tard que la décision de dissoudre l’URSS était allée à l’encontre de la volonté des peuples de l’union, qui voulaient la sauvegarder. Après l’effondrement du pays, il a rapidement été admis que la dislocation de l’URSS était la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle.
En plus de ces malheurs, après le referendum, Mikhaïl Gorbatchev, le premier président de l’URSS qui s’est aussi avéré en être le dernier, faisant preuve d’une indécision et d’une lenteur inexplicables, n’a pas le moins du monde réagi à la fin généralisée des lois du pays. Même Askar Akaïev, assez précautionneux et réservé dans ses critiques adressées au pouvoir, a fait remarquer que « la glasnost et les erreurs humaines de Mikhaïl Gorbatchev ont eu des conséquences fatales pour l’URSS ».
Les raisons de l’effondrement
Autant aujourd’hui qu’à cette époque, les opinions sont multiples quant aux raisons de l’effondrement de l’URSS. Cependant, la plupart des chercheurs et des personnalités publiques soutiennent que des réformes irréfléchies, inefficaces et hâtives y sont pour beaucoup et ont mené à la désintégration du système, de la structure de son économie nationale, de la sphère sociale et politique. Le résultat a été une chute sévère du niveau de vie sur l’ensemble du territoire des Républiques de l’union.
C’est surtout l’arrêt de l’approvisionnement qui a conduit à l’insatisfaction massive de la population, alors que l’achat de presque tous les produits de base était soumis à un système de cartes de rationnement. Dans le même temps, ayant à présent le droit de voyager à l’étranger, les Soviétiques pouvaient voir de leurs propres yeux à quel point la différence de niveau de vie était marquée entre l’URSS et les pays occidentaux. Cette baisse du niveau de vie a mené à l’accentuation des revendications nationales et à la complexification des relations interethniques dans différentes régions du pays.
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La perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev a échoué premièrement parce que son propre initiateur ne savait pas bien quoi faire, ni comment, ni dans quel ordre. Deuxièmement parce que l’élite du parti savait en tirer profit, autant au centre de l’Etat que dans des contextes plus locaux.
Dans une interview donnée à cette époque, le réalisateur Stanislav Govoroukhine était amer. « Seuls les plus primitifs et ceux qui ne comprennent vraiment rien peuvent penser que la Russie est un pays démocratique. En fait, les autorités sont faites de ces mêmes communistes, dont les pires d’entre eux : des caméléons qui ont su changer de couleur. Après le coup d’état de 1991, tous les secrétaires des comités régionaux et les directeurs d’usines ont pratiquement privatisé ce qu’ils dirigeaient. Et certains, comme Türkmenbaşy, ont privatisé des états entiers. Et il était impossible de lutter contre tout cela », avait-il affirmé.
L’effondrement a été significativement accéléré par le putsch d’août du Comité d’Etat pour l’état d’urgence. Dans le même temps, le Conseil suprême de l’URSS et le Congrès des députés du peuple ont perdu de leur influence.
Un résultat déplorable
Nikolaï Amossov, chirurgien-cardiologue et académicien à la renommée mondiale, formulait clairement ce qui résulterait des désirs d’indépendance des républiques de l’Union. Lors d’une discussion avec un journaliste, il répondait à ses questions en décrivant comment il imaginait l’avenir de l’Ukraine. « En son temps, la propagande ukrainienne nous assurait que nous étions si riches qu’à peine la domination russe serait-elle passée que le pays prospérerait et deviendrait immédiatement l’un des plus importants d’Europe. Cela n’a pas été le cas. À peine les frontières ukrainiennes ont-elles été ouvertes que notre industrie peu compétitive en a souffert », avait-il constaté.
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« Grâce à la liberté économique, une classe d’entrepreneurs émerge. Cependant, notre société sera encore pauvre longtemps parce que le peuple soviétique a perdu, en plus de sa morale, sa capacité de travail et il est simplement devenu fainéant », avait affirmé le docteur.
Des propos similaires à ce qui a été dit sur l’Ukraine semblent pouvoir être répétés et appliqués à la majorité des autres états post-soviétiques nouvellement indépendants, dont le Kirghizstan.
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L’acteur soviétique et russe Alexeï Petrenko résume efficacement les observations et les pensées de millions de ses compatriotes. « Je considère comme le plus grand des crimes récents la chute de ma patrie, l’Union soviétique. Je suis convaincu qu’il devrait y avoir un jour un procès de la forêt de Bialovèse, sur le modèle des procès de Nuremberg. Les criminels qui s’y sont réunis et qui ont donné le coup de grâce à ma terre et à mon pays y seraient jugés. Je souhaite qu’à ce procès chacun soit remis à sa place et que les faits soient reconstitués », avait-il déclaré.
« Certes, il est probablement difficile pour un Estonien et un Turkmène de vivre sous le même toit et de bien s’entendre. Mais il était possible et il aurait fallu agir de façon civilisée, comme l’ont fait par exemple les Tchèques et les Slovaques. Mais tel a été le sort de ce pays à la fois heureux et malheureux, tel a été le sort de ma patrie », s’était atterré l’acteur.
Par Viatcheslav Timirbaïev pour Kaktus Media
Traduit du russe par Paulinon Vanackère
Édité par Léonard Dillies
Relu par Robin Leterrier
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