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Pandémie, crise et explosion : une première année difficile pour Kassym-Jomart Tokaïev

En juin 2019, la première élection présidentielle au Kazakhstan sans Noursoultan Nazarbaïev depuis l’indépendance a eu lieu. Le président par intérim Kassym-Jomart Tokaïev en est sorti vainqueur : sa première année au pouvoir a été saturée d’événements qui ont touché la plupart des Kazakhs. Retour sur ces moments forts.

Kassym-Jomart Tokaïev Président Kazakhstan
La première année au pouvoir de Kassym-Jomart Tokaïev n'a pas été de tout repos.

En juin 2019, la première élection présidentielle au Kazakhstan sans Noursoultan Nazarbaïev depuis l’indépendance a eu lieu. Le président par intérim Kassym-Jomart Tokaïev en est sorti vainqueur : sa première année au pouvoir a été saturée d’événements qui ont touché la plupart des Kazakhs. Retour sur ces moments forts.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 9 juin 2020 par le média kazakh Vlast.kz.

Un an après son arrivée au pouvoir en juin 2019, Kassym-Jomart Tokaïev a traversé de nombreuses épreuves, entre le coronavirus et des manifestations importantes.

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Tout avait pourtant bien commencé. Peu après son élection, lors d’une interview accordée au Wall Street Journal, Kassym-Jomart Tokaïev s’est présenté comme un réformateur. Tout en martelant au cours de sa présidence « l’indispensable continuité avec la politique de Noursoultan Nazarbaïev », il a exigé que soient menées des réformes dans le champ politique.

Sa première réponse aux manifestations pré-électorales qui ont émaillé le printemps 2019 a été la création d’un conseil national de la confiance publique, organe consultatif chargé de débattre des termes des réformes, d’émettre des propositions et de chercher des réponses aux interrogations de la population. C’est précisément aux séances de ce conseil que Kassym-Jomart Tokaïev a défini les principaux paramètres de ses réformes politiques. Déjà loin d’être radicales, elles n’ont finalement apporté que des modifications de façade lors de leur concrétisation des lois.

Un manque de diversité politique

De la même façon, la création d’un institut d’opposition parlementaire n’est, en substance, qu’un reflet des normes véhiculées par la législation, qui stipule que le parlement ne saurait être représenté par un parti unique et que l’opposition doit alors y avoir le droit de vote.

La loi sur les rassemblements pacifiques a rendu les observateurs encore plus sceptiques. La réforme, définie par Kassym-Jomart Tokaïev en décembre 2019 comme étant le passage d’un régime d’autorisations à celui de notifications pour l’organisation des manifestations, s’est avérée plus que limitée : en ville, la liste des lieux réservés aux rassemblements pacifiques a été réduite, tout comme le nombre de participants autorisés. L’organisation de ces évènements reste ni plus ni moins suspendue à l’autorisation de l’administration, qui fournit des motifs de refus variés.

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Mais depuis l’élection, la diversité politique ne se trouve que dans la rue. Un an après l’élection, le pays n’a pas enregistré un seul nouveau parti politique. Le parti démocratique de Janbolat Mamaï, le plus près d’atteindre le parlement, n’a pas pu franchir le pas en raison des arrestations de ses soutiens en régions. Les autres partis n’ont même pas pu dépasser le stade de la première procédure en vue d’unе inscription future. Le parti national social-démocrate s’est retrouvé sans leader et fragmenté deux mois après les élections.

Une première année de mandat saturée d’évènements

De Kassym-Jomart Tokaïev ou de ses conseillers, personne n’aurait pu prévoir, dans la nuit qui a suivi son élection, combien sa première année de mandat serait difficile et saturée d’événements. Le jour du scrutin et ceux qui ont suivi, des milliers de gens ont été arrêtés au cours de manifestions, et des centaines ont été envoyés en détention administrative.

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Deux semaines plus tard, des explosions ont eu lieu à Arys. Sept mois après, un avion s’est écrasé vers Almaty. Le mois suivant, des émeutes ont éclaté à Kordaï, et au bout de neuf mois, à la suite du monde entier, l’épidémie de coronavirus s’est déclarée au Kazakhstan. Pour la première fois, l’état d’urgence a été décrété sur l’ensemble du territoire. L’année a également été ponctuée de manifestations régulières de différents groupes civils et politiques, où les participants exigeaient en particulier la libération d’opposants politiques, incarcérés pour des motifs divers bien avant l’arrivée au pouvoir de Kassym-Jomart Tokaïev.

Des réactions « humaines »

Le président kazakh s’est illustré par ses rapides réactions à chaque événement dramatique. Le fait que ce nouveau président utilise Twitter a modifié la communication entre le pouvoir et la société. Kassym-Jomart Tokaïev a presque toujours commenté les événements directement et très peu de temps après qu’ils se soient produits, ce qui est particulièrement atypique de la part du pouvoir kazakh, habitué à rechercher longuement des réponses aux interrogations des citoyens.

La mort du militant politique Doulat Agadil, survenue en février dernier alors qu’il était en détention, aura été une exception flagrante, le temps de réaction du président ayant été anormalement long. Autrement, le président a pris position très tôt. Dans certains cas, il s’est rendu sur place peu après. Il était ainsi arrivé à Arys en soirée le lendemain des explosions, et dans les villages de la région de Kordaï trois semaines après les émeutes.

Kassym-Jomart Tokaïev Président Kazakhstan
Kassym-Jomart Tokaïev lors de son premier discours de nouvel an, le 1er janvier 2020.

Cette « réaction humaine » aux événements et le sens de cet engagement ont assez souvent obtenu des retours chaleureux, même de la part des sceptiques, qui estiment que « c’est bien là ce qui doit être fait », mais qu’ils ne sont simplement « pas encore habitués ».

Peu de progrès pour les militants de l’opposition

À la fin de l’été dernier, le président a fait libérer deux personnes figurant sur une liste de prisonniers politiques établie par des défenseurs des droits de l’Homme. Néanmoins, le vrai test pour le système a été la pétition pour la libération conditionnelle de Moukhtar Djakichev, qui se l’était vu refusée peu après l’élection présidentielle. Elle lui a finalement été accordée en mars 2020. Dans une interview spéciale, Kassym-Jomart Tokaïev, qui s’était rendu au tribunal, avait confié son espoir de voir une prise de décision « juste ».

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Mais le système bâti en presque trente ans d’indépendance ne se laisse pas pour autant oublier. Durant cette première année de mandat, les manifestants ont continué à être enfermés, à l’image du militant politique Alnour Iliachev, incarcéré pour diffusion de fausses informations pendant l’état d’urgence, ou encore de l’activiste Assia Toulesova, placée en détention la veille du premier anniversaire de l’élection. Son slogan, « on n’échappe pas à la vérité », était devenu le leitmotiv des manifestations au printemps 2019.

Deux centres de pouvoir

Tout au long de l’année, les politologues ont poursuivi leurs débats sur l’existence d’une dualité du pouvoir au Kazakhstan, débats alimentés par de nombreux éléments.  En particulier la loi promulguée en octobre 2019, qui formalise le soutien à Noursoultan Nazarbaïev des candidats aux fonctions publiques. Le premier et le second président ont fait des déclarations contradictoires : Noursoultan Nazarbaïev exigeait des sanctions plus sévères en cas de diffamation, tandis que Kassym-Jomart Tokaïev suggérait un peu plus tard de la faire décriminaliser. Ses premières annonces au peuple kazakh, réalisées lors d’une session parlementaire ouverte, n’ont pas été diffusées en direct, ce que beaucoup ont interprété comme un souhait de limiter la visibilité de ce discours.

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Sur l’année écoulée, si Noursoultan Nazarbaïev ne s’est pas totalement retiré de la scène médiatique, ses apparitions se sont considérablement faites plus rares. Ainsi, les séances du conseil de sécurité, qu’il préside, ont eu lieu avec un retard évident après des événements fortement médiatisés comme les émeutes de Kordaï ou la mise en place de l’état d’urgence.

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Les présidents ont eux-mêmes commenté à de nombreuses reprises cette dualité, commentaires qu’on pourrait réduire à un seul et même argument : Noursoultan Nazarbaïev entend soutenir Kassym-Jomart Tokaïev, et Kassym-Jomart Tokaïev assurer l’indispensable continuité avec la politique de Noursoultan Nazarbaïev.

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Ces interrogations n’ont certainement pas été oubliées avec, début mai 2020, la démission brutale et inattendue de la présidente du sénat, la fille aînée du premier président, Dariga Nazarbaïeva, tout comme son absence à l’intronisation du nouveau président du sénat et de manière plus générale, son absence totale sur la scène médiatique le mois suivant. Cela a simplement réduit le degré d’attentes quant aux prochaines présidentielles : rien ne montre qu’elles pourraient être anticipées, mais Kassym-Jomart Tokaïev n’a pour le moment pas l’intention de terminer son mandat.  Se passera-t-il vraiment quatre autres années avant les prochaines élections ?

Un test pour le système

L’année 2020 a été une épreuve pour tout le monde : pour la stabilité des gouvernements, des systèmes de santé, des relations internationales mais également des nerfs de la population. Les réformes économiques qu’exigeait Kassym-Jomart Tokaïev n’ont même pas encore été inscrites à l’ordre du jour en raison de la pandémie de coronavirus et de l’effondrement du cours du pétrole, qui ont lancé une crise économique dont il est encore impossible d’évaluer l’ampleur. Des paroles réformistes ont irrigué les discours de Kassym-Jomart Tokaïev tout au long de l’année, et il est peu probable qu’elles disparaissent. Mais les questions demeurent réelles quant à l’ampleur des réformes et à la bonne volonté du système étatique.

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Le confinement et la crise ont exacerbé le chômage, l’inflation ainsi que l’incertitude quant à l’avenir. Les gouvernements du monde entier cherchent comment soutenir la population et l’activité économique, tout en sachant qu’il n’y aura pas de reprise rapide. Kassym-Jomart Tokaïev, qui exige du gouvernement des réponses adaptées, n’attend plus seulement des propositions de la part de la sphère économique, mais de tous les secteurs où les manquements se sont avérés criants, comme la santé, l’éducation et le développement numérique.

Cette crise aura été une véritable épreuve du feu pour le système étatique, de son aptitude à s’adresser aux citoyens à sa capacité à accepter des changements radicaux. C’est précisément sous ces auspices que s’annonce la deuxième année au pouvoir de Kassym-Jomart Tokaïev et cette fois, impossible de louvoyer quant aux réformes : il est temps de passer à l’action.

Viatcheslav Abramov
Journaliste pour Vlast.kz

Traduit du russe par Elizabeth Lallier

Edité par Paulinon Vanackère

Relu par Charlotte Bonin

Relu par Charlotte Bonin

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