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Le soutien kazakh aux entreprises russes présente-t-il un risque pour l’économie nationale ?

Avec la guerre en Ukraine, la Russie se trouve en difficulté pour assurer les importations de certains produits stratégiques. Les Etats centrasiatiques constituent un marché intéressant et il est important pour Moscou de rester proche de ses partenaires. Néanmoins, ces derniers sont pris en étau entre la menace de sanctions et celle de perdre un grand partenaire économique. C'est plus particulièrement le cas du Kazakhstan.

Russie et Kazakhstan
La Russie passe par le Kazakhstan pour contourner les sanctions. Illustration : Masa media.

Avec la guerre en Ukraine, la Russie se trouve en difficulté pour assurer les importations de certains produits stratégiques. Les Etats centrasiatiques constituent un marché intéressant et il est important pour Moscou de rester proche de ses partenaires. Néanmoins, ces derniers sont pris en étau entre la menace de sanctions et celle de perdre un grand partenaire économique. C’est plus particulièrement le cas du Kazakhstan.

D’après les informations de l’agence de presse Reuters, les entreprises russes se sont, à maintes reprises, tournées vers leurs partenaires kazakhs en leur demandant de l’aide pour contourner les sanctions occidentales et établir des livraisons. La raison serait que la Turquie planifie de lutter contre le transit de marchandises visées par les sanctions.

Selon les interlocuteurs de l’agence, les entrepreneurs de Russie ont une liste assez impressionnante de marchandises nécessaires, y compris du matériel industriel, de l’électronique de pointe, des turbines, des pièces d’avions, des matières premières et du matériel pour produire les cartes bancaires.

L’année dernière, le volume des exportations du Kazakhstan vers la Russie a augmenté de 25 % et atteint 8,8 milliards de dollars (8,13 milliards d’euros). La livraison de marchandises en Russie augmentera sûrement au cours du temps. Cependant, ce qui reste incertain pour le Kazakhstan est de savoir quelle menace cela peut constituer.

Les sanctions, l’import parallèle et la contrebande

Avec le début de l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, un certain nombre de pays, en premier lieu les États-Unis, l’Union européenne (UE), la Grande-Bretagne et le Canada, ont lancé des sanctions à grande échelle contre l’économie russe, pour couper Moscou des recettes de la vente d’énergie et limiter l’importation de marchandises exploitées pour poursuivre la guerre. Dans ces circonstances, la Fédération de Russie a dû chercher un chemin de contournement et l’été dernier, les importations parallèles ont se sont enclenchées dans le pays.

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Ce type d’import de marchandises n’exige pas d’autorisation des producteurs et des titulaires de droits, et il existe simultanément avec les livraisons officielles. Les importations parallèles sont réalisées à partir des pays producteurs ou via un État tiers. Dans le cas de la stratégie russe, ces pays s’avèrent être la Turquie, le Kazakhstan et de nombreuses autres républiques de l’ex-URSS.

Cependant, malgré l’aide des importations parallèles, il n’a pas été possible jusqu’à présent d’alimenter complètement le marché russe. C’est de différentes manières que sont fournis les produits quotidiens à la Russie, des iPhones aux machines à laver : des citoyens russes et kazakhs ont mis en place une contrebande. Un vendeur kazakh, qui s’est entretenu avec le service russe de la BBC, raconte que les canaux de contrebande existent dans le pays depuis les années 1990.

Contourner les sanctions

En février dernier, le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’est rendu au Kazakhstan et en Ouzbékistan, où il a souligné l’importance du respect des sanctions. Les deux pays d’Asie centrale ont fait face aux conséquences de la guerre en Ukraine avec une augmentation des coûts de la nourriture et du carburant, et ont aussi été soupçonnés d’avoir fourni des produits sous sanctions à la Russie.

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Les États-Unis sont prêts à donner du temps aux entreprises kazakhes et ouzbèkes pour qu’elles rompent leurs relations avec les entreprises russes soumises à des sanctions, a déclaré Antony Blinken. Il a ajouté que le gouvernement américain allouerait 25 millions de dollars (23,1 millions d’euros) pour le soutien de la croissance économique d’Astana et de Tachkent, y compris pour « l’organisation des nouvelles routes commerciales et l’aide aux entreprises ». Ce montant s’ajoute aux 25 millions de dollars que l’administration du président américain Joe Biden a déjà alloué à la région.

Auparavant, des personnalités officielles du Kazakhstan avaient à maintes reprises déclaré qu’elles n’avaient pas l’intention d’aider la Russie à contourner les restrictions économiques. Cependant, selon un fonctionnaire haut placé de l’UE, le Kazakhstan continue de fournir des micropuces utilisées par la Fédération de Russie pour la production de missiles. En 2022, le pays a exporté en Russie des semi-conducteurs pour 3,7 millions de dollars (3,41 millions d’euros), contre 12 000 dollars (11 088 euros) en 2021.

Un hiatus entre l’Etat et les entrepreneurs

À titre de comparaison, entre 2017 et 2021, la Fédération de Russie a acheté annuellement des puces et des circuits intégrés de pointe à l’UE, aux États-Unis, au Japon et au Royaume-Uni pour 163 millions de dollars (150,6 millions d’euros), et l’année dernière cette valeur est tombée à 60 millions de dollars (55,4 millions d’euros).

Au cours de la rencontre avec Antony Blinken, le ministre des Affaires étrangères du Kazakhstan a avoué qu’il était difficile pour le pouvoir de gérer les processus commerciaux avec la Russie. Simultanément, ces experts kazakhs reconnaissent que les livraisons de produits électroniques à la Fédération de Russie, dans le contexte des sanctions déployées, rapportent des bénéfices d’environ 150 %.

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Dans un entretien avec Current Time, l’économiste Aïdar Alibaïev a déclaré que le monde des affaires kazakh était prêt « à faire tous les ajustements » pour obtenir des bénéfices élevés. L’expert a attiré l’attention sur l’existence d’un désaccord entre les entrepreneurs et l’État, puisque ce dernier soutient les sanctions. La position des affaires du pays amènera à de graves sanctions concernant les entreprises kazakhes, anticipe Aïdar Alibaïev.

L’expert estime que contre les entreprises kazakhes qui aident à contourner les restrictions économiques, il faut introduire des sanctions ponctuelles. Cependant, Aïdar Alibaïev reconnait qu’il sera difficile de traquer les petits transporteurs privés. Si, au cours de l’année, le Kazakhstan n’arrive pas à améliorer la situation, il sera impossible d’exclure une responsabilité pour l’ensemble du pays, résume l’économiste.

Qu’échangent le Kazakhstan et la Russie entre eux ?

Selon les données du Bureau national des statistiques de la République du Kazakhstan, les livraisons de pièces électroniques du Kazakhstan vers la Russie ont été multipliées par 2 000 dans la première moitié de l’année 2022. Le Kazakhstan a exporté vers la Russie des smartphones pour une somme de 78 millions de dollars (72 millions d’euros) contre 36 800 dollars (34 000 euros) pour la même période en 2021.

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Les livraisons ont fortement augmenté en avril 2022, après le retrait de nombreuses d’entreprises étrangères du marché russe. Au cours du premier semestre, la République du Kazakhstan a également établi l’exportation de cartes mémoires, de clés USB, de cartes à puces nécessaires pour l’émission de cartes bancaires.

Le nombre de machines à laver livrées à la Russie depuis le Kazakhstan est passé de 0 en 2021 à près de 100 000 en 2022, d’après les données du Bureau national des statistiques du Kazakhstan. Les machines à laver contiennent des puces pouvant être utilisées dans l’industrie automobile et dans la production électronique domestique, mais aussi dans la production militaire.

Des liens économiques forts

Dans l’ensemble, le Kazakhstan est étroitement lié à la Russie économiquement. Le voisin du Nord fournit une énorme partie des importations de la République du Kazakhstan qui ont atteint, entre janvier et août 2022, 11 milliards de dollars (10,2 milliards d’euros), ce qui est 2,3 % plus élevé que pour la même période de l’année précédente.

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Andreï Tchebotarev, analyste financier indépendant et rédacteur en chef de Finance.kz, qualifie les produits alimentaires de produits d’importation les plus critiques venant de Russie. Dans les six premiers mois de l’année 2022, environ 40 % de ceux-ci avaient été achetés à la Russie. Le pays fournit également à la République kazakhe 53 % des métaux, 33 % des produits de l’industrie chimique, y compris le plastique et les pneus, 91 % des produits de carburant et d’énergie, 25 % des voitures et d’équipements divers.

Le Kazakhstan achète aussi en Russie du matériel de réfrigération, des pompes, des compresseurs, des ventilateurs, des médicaments, des raccords de tuyauterie, des dispositifs de filtration de liquides et de gaz, des machines informatiques, des produits pétroliers et du coke.

Des réexportations depuis la Turquie

Dans la deuxième moitié de mars, le système de dédouanement du transit en Turquie a repris. Cependant, vu ses réserves, le pays a limité la réexportation de marchandises en provenance des États-Unis et du Canada.

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Dans le même temps, l’importation de marchandises du Kazakhstan vers la Russie exige moins de procédures, les deux pays faisant partie de l’Union économique eurasiatique (UEEA). Pour la libre circulation des produits, il faut payer une unique taxe douanière, mais toutes les marchandises ne sont pas importées légalement au Kazakhstan.

Depuis mars 2022, un grand nombre de Russes entrent au Kazakhstan pour en ramener des marchandises. Les opportunités des hommes d’affaires s’élargissent avec le démarrage de l’importation parallèle. Cependant, il est important de noter que le volume de ces livraisons reste assez faible. Les entrepreneurs en provenance de Russie s’occupent de l’expédition de voitures, de pièces de rechange, de vêtements, de pièces électroniques, d’appareils ménagers et de bien plus encore.

Le marché des navettes

Après l’instauration des sanctions, les hommes d’affaires du Kazakhstan ont commencé à recevoir des commandes d’iPhones de navettes, c’est-à-dire de petits commerçants qui achètent personnellement des marchandises dans un autre pays, qui payent les marchandises en liquide. Souvent, les revendeurs n’ont pas besoin d’aller loin dans le pays, car de nombreux points de vente se trouvent près de la frontière kazakhe et russe. Les sources du service russe de la BBC dénombrent des dizaines de milliers de points de vente à travers tout le Kazakhstan.

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Les navettes livrent principalement des gadgets dans les villes les plus proches de la frontière avec le Kazakhstan, c’est-à-dire Omsk, Tcheliabinsk, Novossibirsk et Ekaterinbourg, remarquent les interlocuteurs. Ces appareils, dans la plupart des cas, sont ramenés des Émirats arabes unis.

L’autre domaine qui intéresse les Russes est celui des voitures. Les entrepreneurs achètent des assortiments à des concessionnaires automobiles pour fournir des voitures en Russie, mais la demande locale reste insatisfaite. Les concessionnaires officiels refusent de vendre des voitures directement aux Russes à cause du risque de perdre la licence du fabricant, mais les habitants locaux aident à résoudre cette question, se présentant comme acquéreurs pour une rémunération de 200 à 300 euros environ, précise l’un des revendeurs au service russe de la BBC.

Les promesses du Kazakhstan et les menaces de l’Union européenne

Les responsables du Kazakhstan veulent lancer un nouveau système de contrôle douanier. L’outil en ligne permet de surveiller toute la chaîne de déplacement des marchandises d’une frontière à l’autre en temps réel, explique au Financial Times un haut fonctionnaire kazakh qui a gardé l’anonymat. Le politicien a signalé que la République du Kazakhstan craint l’introduction de sanctions secondaires et « travaille constamment à réduire les risques de réexportation ».

L’UE introduit intentionnellement des limites commerciales aux pays qui aident la Russie à acheter des machines à laver, des appareils photos et des voitures d’occasion, dont les composants sont utilisables pour la réparation d’un tank, selon The Telegraph. Les fonctionnaires de l’UE ont attiré l’attention sur la hausse significative du commerce de marchandises entre Moscou et ses alliés traditionnels d’Asie centrale. L’activité des nouveaux itinéraires de livraison a augmenté de 60 à 80 %.

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Les documents dont dispose le Telegraph indiquent que les membres de l’UE discutent de mettre en application des sanctions économiques contre les pays qui aident la Russie à contourner les restrictions commerciales. Les mesures comprennent la possibilité de bloquer l’accès à ces gouvernements au marché unique de l’UE, s’il est possible de prouver que les marchandises interdites sont réexportées vers la Russie.

Des réformes en discussion

Le discours porte sur la double destination des marchandises qui sont importées depuis l’UE vers le Kazakhstan, le Kirghizstan et l’Ouzbékistan. La plupart de ces appareils transitent par la Biélorussie depuis la Lituanie. Les responsables européens ont la possibilité de surveiller les déclarations d’exportations jusqu’aux frontières extérieures de l’Union.

Selon l’économiste et professeur à l’Université nationale kazakhe Magbat Spanov, la confrontation économique entre la Russie et les pays occidentaux peut inciter le Kazakhstan à des réformes.

« Du point de vue des expériences historiques, ces sont ces processus qui obligent à réformer les processus économiques et politiques. De nombreux pays qui l’ont fait ont commencé à faire des progrès. Nous avons des opportunités pour résoudre les problèmes accumulés », considère Magbat Spanov.

Mansour Khabarov
Journaliste pour Masa media

Traduit du russe par Naïs Chaudagne

Edité par Lucas Morvan

Relu par Mathilde Garnier

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