Les prévisions des autorités kazakhes concernant la production et l’exportation de charbon pour 2020 ne seront sans doute pas atteintes. En effet, les espoirs d’exportations semblent nettement surestimés, tandis que la consommation nationale tend de plus en plus à s’appuyer sur des sources d’énergie verte.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 20 juin 2020 par le média kazakh Kursiv.
Au début de l’année 2020, le ministère des Investissements et du Développement du Kazakhstan a planifié l’extraction de près de 120 millions de tonnes de charbon, dont 38 millions destinées à être exportées.
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Ces prévisions sont très optimistes : en 2019, la production totale de charbon au Kazakhstan s’élevait à 111 millions de tonnes, dont 28 millions pour l’exportation. Or, l’année 2019 a vu le Kazakhstan perdre un certain nombre de marchés, principalement en Europe, qui souhaitent s’affranchir du charbon ou s’approvisionner à moindre frais en charbon russe, dont l’industrie bénéficie du soutien de l’État.
Des exportations de charbon en baisse
L’apogée des exportations de charbon kazakh a été atteint en 2013, avec 30,732 millions de tonnes vendues à l’étranger. Depuis, les indicateurs ont baissé : 28 millions de tonnes en 2014, 27,9 millions en 2015.
En 2016, ce volume a dégringolé à 24 millions de tonnes en raison de la décision des centrales russes de se tourner vers le charbon extrait dans le bassin du Kouzbass. Un an plus tard pourtant, l’ouverture de nouveaux marchés en Europe rétablissait les volumes de charbon kazakh exporté à 27 millions de tonnes puis, en 2018, à 29 millions de tonnes. Dans un tel contexte, la hausse de croissance prévue des exportations en 2020, à hauteur de 10 millions de tonnes, semblait fantaisiste.
Les chiffres réels des quatre premiers mois de 2020 ont confirmé le caractère illusoire des prévisions : la valeur des recettes d’exportation du charbon kazakh a chuté de 40 %, plafonnant à 96,5 millions de dollars (80 millions d’euros), contre 165,6 millions de dollars (137,4 millions d’euros) pour la même période de 2019.
Ainsi, les exportations de charbon depuis l’oblast de Karaganda, principal bassin houiller du Kazakhstan, a diminué de 1,9 million de tonnes pour les quatre premiers mois de 2019 à 1 million de tonnes à la même période en 2020. Au cours de cette période, les entreprises de production de charbon de Karaganda ont vu leurs revenus chuter pour atteindre 45,7 millions de dollars (37,9 millions d’euros), contre 127 millions de dollars (105,4 millions d’euros) à la même période en 2019, soit un chiffre d’affaires 2,8 fois moindre.
Cette chute vertigineuse est symptomatique car l’oblast de Karaganda représente un tiers des exportations en nature du pays et 60 à 75 % des recettes en devises de l’industrie du charbon kazakh. La principale raison de cette chute est la perte du marché de l’Europe occidentale : au cours des quatre premiers mois de 2020, seules 9 000 tonnes de charbon ont été livrées à la Suisse, à Chypre et à la Finlande, contre 750 000 tonnes durant la même période en 2019 et 1,4 million de tonnes durant la même période en 2018. La Russie a également joué un rôle en achetant 100 000 tonnes de moins que l’année précédente. L’Ukraine a diminué ses importations de 90 000 tonnes, le Kirghizstan voisin de 130 000 tonnes.
https://e.infogram.com/js/dist/embed.js?st0Même si la Biélorussie a augmenté sa demande de 59 000 tonnes et si la Chine a acquis 45 000 tonnes de charbon kazakh pour la première fois en trois ans, ces exportations sont loin de compenser les pertes totales. Les troisième et quatrième trimestres devraient rétablir quelque peu l’équilibre, mais il est clair que les exportations de charbon kazakh vers l’Europe ne concernent plus désormais que des pays d’Europe de l’Est, comme la Pologne et la Lettonie.
Quels pays misent encore sur le charbon ?
Même si l’oblast de Karaganda a livré 7 000 tonnes de charbon entre janvier et avril 2020 à la Pologne, le marché polonais risque d’être perdu : Varsovie envisage en effet d’acheter ses propres actifs de charbon à des propriétaires privés et de les regrouper au sein d’une organisation. L’objectif est de garantir son approvisionnement pour 20 à 30 ans et de réduire ainsi sa dépendance aux importations. Malgré les critiques acerbes des États voisins qui dénoncent la réticence polonaise à se débarrasser de l’énergie « sale », l’ancien satellite soviétique n’a pas l’intention d’abandonner son mix énergétique dans lequel, à l’instar du Kazakhstan, près de 80 % de la production d’électricité provient du charbon.
Les perspectives de l’industrie du charbon en général sont bien plus positives en Russie, où les autorités ont approuvé le 10 juin dernier un programme de développement du secteur jusqu’en 2035. Le document prévoit la modernisation des installations existantes et la création de nouvelles infrastructures d’extraction du charbon au Kouzbass, dans la région de Rostov, ainsi qu’en Extrême-Orient et en Sibérie orientale. En outre, Moscou souhaite résoudre le principal problème de transport du charbon en coordonnant avec les besoins du secteur, le développement d’infrastructures ferroviaires et portuaires, qui permettraient les exportations de produits houillers.
Dès lors, la Russie prévoit d’augmenter la production de charbon de 439,3 millions de tonnes en 2018 à 485 millions de tonnes en 2035, et les exportations pour la même période de 259 millions de tonnes à 392 millions de tonnes. Cette croissance des exportations russes représente une épée de Damoclès qui menace les 28 millions de tonnes de charbon kazakh réellement exportées et, a fortiori, les 38 millions de tonnes estimées pour 2020.
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Par conséquent, il est nécessaire pour le Kazakhstan de s’entendre avec les pays voisins quant à la répartition des zones d’exportation. Dans le cadre des travaux sur la formation du marché commun de l’Union économique eurasiatique, la Commission économique eurasienne a d’ailleurs créé une feuille de route pour l’avenir du marché unique de l’énergie, qui devrait entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2025. Mais pour y assurer l’avenir de son charbon, le Kazakhstan doit adopter une stratégie claire concernant cette industrie, ce qui lui pose problème : la précédente feuille de route pour le développement de l’industrie du charbon expire en 2020 et la publication d’une nouvelle stratégie est pour l’instant refusée.
Le charbon, un secteur concurrencé par les énergies vertes ?
L’Association des entreprises d’extraction minière et métallurgiques de la République du Kazakhstan, qui a mis au point un programme de développement de l’industrie pour l’horizon 2050, a tenté de se poser en initiatrice de cette nouvelle feuille de route pour l’industrie du charbon. Mais Nur-Sultan rechigne à établir un programme distinct concernant les produits houillers.
C’est le ministère de l’Économie nationale, au sein du ministère des Investissements et du Développement, qui est responsable de la planification stratégique. Or, ce ministère s’est rangé du côté de l’avis des autorités nationales, estimant que l’élaboration d’une stratégie distincte pour le développement de l’industrie du charbon au Kazakhstan n’était à ce stade pas opportune, car elle « va à l’encontre du système général de planification de l’État et de la transition du pays vers une économie verte ».
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La justification de ce refus est signée par le vice-ministre Jaslan Madïev, décrit Kursiv. « Conformément au système actuel de planification de l’État, il existe aujourd’hui des documents stratégiques définissant une vision à long terme du développement du pays avec des priorités et des repères clés, tels que le plan de développement stratégique du Kazakhstan d’ici 2050, le plan de développement stratégique général, le schéma prévisionnel du développement territorial du pays et la stratégie de sécurité nationale du Kazakhstan. […] À cet égard, il convient de tenir compte de l’orientation prise par les politiques publiques en faveur de la transition vers une économie verte, au moyen de mesures visant à développer des sources d’énergie alternatives et à maintenir l’équilibre écologique et énergétique. », explique Jaslan Madiev.
« Dès lors, sur la base de ce qui précède, nous estimons que la proposition visant à élaborer une stratégie distincte pour le développement du secteur du charbon au Kazakhstan n’est, à ce stade du développement du pays, pas opportune, car elle va à l’encontre du système général de planification de l’État et de la transition vers une économie verte », a-t-il ajouté.
Le secteur de l’extraction du charbon n’a, il est vrai, que très peu d’effets sur les esprits de la population kazakhe. En revanche, il affecte directement la sphère sociale : pas moins de 27 400 personnes sont directement employées dans le secteur privé du pays. Si ce chiffre semble être minime par rapport au marché du travail au Kazakhstan, l’industrie du charbon représente cependant la majeure partie du secteur énergétique du Kazakhstan.
Quoi qu’en dise le ministère de l’Économie nationale, l’énergie verte ne représente en effet aujourd’hui que 3 % de la production totale d’énergie de la République, contre 70 à 80 % pour le charbon. Les énergies renouvelables ne sont par ailleurs toujours pas compétitives par rapport au charbon et les tarifs affectent l’ensemble de la population kazakhe, qui cherche à s’éclairer et à se chauffer à moindre coût. À cet égard, l’exploitation du charbon mérite, sinon une stratégie de développement distincte, au moins un programme spécifique.
L’industrie du charbon s’est vue proposer d’intégrer le document de Stratégie de développement énergétique d’ici 2030 actualisé par le cabinet des ministres. Mais même à suivre les prévisions du ministère de l’Économie nationale, le charbon demeurera la principale énergie du pays au moins jusqu’à 2050, bien que Nur-Sultan ambitionne d’atteindre un mix énergétique couvert à 50 % par les énergies renouvelables d’ici à 2050. Le secteur du charbon a donc besoin d’une vision non pas sur 10 ans, mais sur 30 ans. Jusqu’à présent, cette ambition par rapport aux énergies vertes revêt les mêmes caractéristiques que les prévisions d’exportation de 38 millions de tonnes de charbon : celles d’un projet attrayant, mais chimérique.
Dmitri Pokidaïev
Journaliste pour Kursiv.kz
Traduit du russe par Pierre-François Hubert
Edité par Carole Pontais
Relu par Guilhem Sarraute
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