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Kazakhstan : le lac Balkhach connaîtra-t-il le même sort que la mer d’Aral même sans centrale nucléaire?

Alors que le gouvernement kazakh affiche la volonté de construire une centrale nucléaire sur les rives du lac Balkhach, de fortes contestations civiles pour la protection de l’environnement émergent. Ces dernières sont soutenues par de nombreux experts en écopolitique comme Boulat Yessekine, engagé dans la protection environnementale en Asie centrale.

Rédigé par :

La rédaction 

Traduit par : Nataliya Matviychuk

Cabar Asia

Oulken Balkhach Lac
La ville d'Oulken près du lac Balkhach. Photo : Vadim Boreïko / livingasia.online.

Alors que le gouvernement kazakh affiche la volonté de construire une centrale nucléaire sur les rives du lac Balkhach, de fortes contestations civiles pour la protection de l’environnement émergent. Ces dernières sont soutenues par de nombreux experts en écopolitique comme Boulat Yessekine, engagé dans la protection environnementale en Asie centrale.

Aujourd’hui, le lac Balkhach est un site naturel. Si une centrale nucléaire est construite à ses abords, il lui servira de lac de refroidissement. Cela permettrait à la Chine de limiter les réservoirs de la rivière Ili qui alimente le lac. Globalement, une nouvelle pression sur les lacs mènerait à une dégradation irréversible de l’écosystème.

Des experts ont donné leurs avis sur le sujet au média Cabar Asia, représentant en Asie centrale de l’Institute for War and Peace Reporting.

Un référendum mis en suspens

Le sujet de la construction d’une centrale nucléaire sur les rives du lac Balkhach dans l’oblys d’Almaty, une subdivision administrative du Kazakhstan, a pour la première fois été abordé par le gouvernement du Kazakhstan à la fin des années 1990. A l’époque, le ministre de l’Energie, Vladimir Chkolnik, proposait un projet collaboratif kazakho-russe. Après son élaboration, le projet a été décliné par le côté kazakh.

L’idée de construire la centrale est revenue en 2006 et une entreprise russo-kazakhe a été créée à l’occasion du projet. Cependant, il était alors question d’une construction à Aktaou, sur la base du complexe de Maïak, dans l’oblys du Manguistaou. Des personnalités publiques s’y sont opposées, basant leurs arguments sur d’une part les risques encourus par la gestion d’une centrale nucléaire, d’autre part l’inutilité économique du projet.

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En avril 2019, le président russe Vladimir Poutine a proposé au président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, de construire la centrale avec des technologies russes. En novembre 2022, les députés du Mäslihat (le corps représentatif local, ndlr) de l’oblys d’Almaty ont décidé de construire la centrale aux abords du lac Balkhach. Néanmoins, le 1er septembre dernier, en réponse aux protestations publiques, Kassym-Jomart Tokaïev a proposé un référendum afin que l’ensemble des Kazakhs décide si le pays a besoin d’une centrale nucléaire ou non.

La date du référendum n’a toujours pas été prononcée. Mais si la population vote pour, la centrale sera construite sur le lac Balkhach. Ce choix de localisation déconcerte les écologues. Selon eux, avec tous les problèmes actuels, même sans la construction d’une centrale, le lac risque de connaître le même sort que la mer d’Aral. Sa dégradation irrémédiable touchera tous les pays d’Asie centrale.

Le Balkhach, l’Aral en devenir

Les problèmes du Balkhach n’ont été abordés qu’en même temps que l’idée de construire une centrale nucléaire sur ses rives est apparue. Il y a plus de 20 ans, le forum écologique international Balkhach-2000 a eu lieu à Almaty. Il y a été annoncé qu’en conservant le rythme de consommation des sources d’eau au Kazakhstan, sans omettre les prélèvements d’eau croissants du côté de la Chine, le lac serait voué à sa dégradation.

L’hypothèse selon laquelle la Chine prendrait de plus en plus d’eau avait été fondée sur des images satellites. Elles avaient démontré que la Chine construisait activement des caniveaux et réservoirs dans la partie supérieure de l’Ili, la rivière alimentant le Balkhach. En 2013, le cabinet de conseil en stratégie McKinsey a préparé un modèle de développement vert du Kazakhstan à la demande du gouvernement. Entre autres, le document étudiait le problème du bassin de Balkhach.

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« McKinsey a calculé que dans l’état actuel des choses, le Balkhach connaîtrait un déficit d’eau d’1,9 milliard de mètres cubes pour 2023, une catastrophe pour le lac », raconte Boulat Yessekine, expert en écopolitique, climat et ressources d’eau. « A leur avis, cela mènera à une dégradation irréversible du lac, c’est-à-dire que la restauration de l’écosystème du lac, l’un des plus massifs de la planète, sera impossible », ajoute-t-il.

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Boulat Yessekine prévient que si des mesures urgentes ne sont pas prises dès maintenant, une nouvelle catastrophe écologique attend le Kazakhstan, avec des conséquences similaires à celles de la mer d’Aral : déficit d’eau, appauvrissement des terres, montée des déchets toxiques, migrations et conflits.

« Il faut une loi pour le Balkhach »

D’autres études démontrent que l’obstacle principal à l’arrêt du gaspillage d’eau est le système de gestion fragmenté.

« Le lac et ses rivières sont un organisme vivant à part entière, pas un caniveau dont il serait possible de changer le cours, qu’on pourrait creuser ou bloquer. Voilà pourquoi dans les décisions prises par les fonctionnaires et le monde du business, il faut prendre en compte les lois de la nature et non pas les détruire. Mais une telle approche nécessite un tout autre cadre de gestion, où tous les acteurs pourraient constater le lien et la dépendance de leurs intérêts économiques, sociaux et j’oserais même dire vitaux, avec la préservation des ressources naturelles », explique l’expert.

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A la place d’une approche sectorielle, orientée sur l’obtention de résultats économiques rapides, il en propose de nouvelles. Elles doivent se baser sur une gestion du bassin collaborative, intersectorielle et de long terme.

Boulat Yessekine affirme qu’« il faut également une loi spéciale sur le lac Balkhach avec une consolidation législative des paramètres critiques et des motivations essentielles à la préservation de l’écosystème du bassin. »

Une comparaison des lobbyistes nucléaires

De plus, Boulat Yessekine souligne que « l’écosystème du lac Balkhach joue un rôle primordial dans la régulation de l’équilibre de tout le bassin Balkhach-Alakol, soutenant la circulation et l’échange d’eau dans toute la région, ainsi que des éléments nutritifs, énergétiques et d’autres processus naturels importants. »

Le changement climatique aggrave l’état du lac. Les chercheurs ont établi que l’Asie centrale se réchauffe plus rapidement que d’autres régions du monde. Ainsi, les problèmes du Balkhach s’intensifieront d’année en année et se reflèteront sur tous les pays alentours.

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Une centrale nucléaire représente justement un fardeau supplémentaire, consommant beaucoup d’eau et entraînant une forte pollution thermique. Le Balkhach n’est profond que de six mètres et l’augmentation de la température de l’eau peut présenter un risque.

Un autre scientifique ayant accepté d’être interviewé par Cabar sous couvert d’anonymat, les centrales nucléaires présentant un sujet sensible dans les cercles scientifiques kazakhs, affirme qu’« une centrale nucléaire nécessite une quantité importante d’eau pour les échanges thermiques et le refroidissement. Le prélèvement d’une grande quantité d’eau du lac aura certainement des conséquences néfastes sur l’équilibre d’eau du réservoir et du bassin Ilo-Balkhach en général. »

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Le fait est que l’artère principale alimentant le Balkhach est la rivière Ili, qui se déverse dans une fluctuation périodique au niveau de la partie occidentale du lac. Du côté oriental, ce sont les rivières Karatal, Aksou et Lepsy. Néanmoins, l’équilibre général est en grande partie maintenu grâce au flux hydrique partant de l’Ouest vers l’Est à travers le canal d’Ouzyn-Aral.

Des conséquences qui risquent de s’aggraver

La capture d’écran issue de Google Earth montre le canal d’Ouzyn-Aral sur le Balkhach. Boulat Yessekine explique : « J’ai une connaissance qui a pris l’avion d’Astana à Almaty, et il m’a raconté qu’on peut déjà apercevoir que le lac se divise en deux quand on le survole. C’est pourquoi il n’est pas acceptable d’augmenter la pression sur l’écosystème, il est à l’inverse indispensable de réduire celle qui existe déjà. »

Balkhach Google Earth
Le lac Balkhach est en train de se diviser en deux. Capture d’écran : Google Earth.

L’expert anonyme ajoute également : « La construction d’une centrale nucléaire, comme consommateur d’eau majeur puisant des quantités non négligeables d’eau du lac, troublera son équilibre. Cela amènera à la dégradation totale de l’écosystème du Balkhach et à la destruction de la zone, habitat de la faune et de la flore. »

« Ce faisant, la comparaison du volume d’eau extraite pour la centrale (63 mètres cubes) avec celui de l’évaporation du lac établie par les lobbystes nucléaires est incorrecte et en soit artificielle. L’évaporation de l’eau est une partie cruciale du cycle naturel et permet de maintenir l’équilibre et la santé du bassin, tandis que le prélèvement de l’eau et la pollution de la centrale les déstabilisent », appuie Boulat Yessekine.

Un dragon près de la source

Le destin du Balkhach dépend, selon Boulat Yessekine, de la « conservation des flux transfrontaliers » dont la Chine seule est responsable. Notamment car la rivière Ili a comme foyer principal le territoire autonome du Xinjiang où elle prend sa source.

« S’il y a dix ans, le réservoir d’eau depuis la Chine était de presque 14 kilomètres cubes, il est aujourd’hui de moins de dix kilomètres cubes. Nous n’avons cependant pas d’accord signé avec la Chine concernant la conservation des flux transfrontaliers », indique Boulat Yessekine. Il rappelle qu’il y a déjà eu un précédent dans l’histoire du Balkhach, lorsque le côté chinois a failli assécher le lac.

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Cela s’est passé à cause de la construction du lac artificiel de Kaptchagaï au Kazakhstan. Celui-ci a été créé aux frais de la fermeture du passage de l’Ili dans le détroit du Kaptchagaï, ce qui a permis de construire une centrale hydroélectrique et de fournir de l’électricité à Almaty. Tandis que le lac artificiel se remplissait, le niveau d’eau du Balkhach baissait : de 1972 à 2001, le petit lac salé Alaköl a presque entièrement disparu, à huit kilomètres au Sud du Balkhach. La partie méridionale a perdu jusqu’à 150 mètres carrés de surface.

Des obligations internationales

La Chine a estimé que la construction du lac entraînait une consommation d’eau excessive au Kazakhstan et a baissé la fourniture en eau de l’Ili. Toujours est-il que le côté kazakh a réussi à faire valoir les intérêts du lac. L’argument principal du Kazakhstan dans ses négociations avec la Chine a été le fait que le Balkhach est un site naturel important pour l’équilibre écologique global.

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« Tous les pays, Chine comprise, ont des obligations internationales en ce qui concerne les écosystèmes naturels. En décidant de construire une centrale nucléaire sur le Balkhach, le Kazakhstan montre au monde entier que le pays cesse de considérer l’écosystème du Balkhach comme un site naturel important pour le développement durable. De facto, en prenant cette décision, nous changeons le statut du lac pour celui d’un outil de refroidissement. Ce serait une faute impardonnable pour le Kazakhstan qui a par le passé appelé la communauté mondiale à se pencher sur les problèmes de la mer d’Aral », estime Boulat Yessekine.

La rédaction de Cabar Asia

Traduit du russe par Nataliya Matviychuk

Edité par Vladimir Przybylinski

Relu par Charlotte Bonin

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