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Diasporas et diversité : brève histoire des peuples au Kazakhstan

En 1995, le président kazakh d'alors, Noursoultan Nazarbaïev, fait du 1er mai la Journée de l’unité du peuple, remplaçant ainsi la Fête du travail célébrée à cette date en URSS. En l’honneur du peuple kazakh et de sa diversité, le média The Village propose à ses lecteurs une brève histoire de quatre diasporas importantes de ce pays.

Déportation Kazakhstan URSS
Nombre de diasporas au Kazakhstan sont présentes dans le pays depuis les déportations des années 1930 (illustration). Photo : avatars.dzeninfra.ru.

En 1995, le président kazakh d’alors, Noursoultan Nazarbaïev, fait du 1er mai la Journée de l’unité du peuple, remplaçant ainsi la Fête du travail célébrée à cette date en URSS. En l’honneur du peuple kazakh et de sa diversité, le média The Village propose à ses lecteurs une brève histoire de quatre diasporas importantes de ce pays.

D’après les données du Bureau des nationalités de la République du Kazakhstan pour l’année 2023, plus de 120 nationalités subsistent aujourd’hui dans le pays. La plupart d’entre elles sont arrivées à la suite de la politique de réinstallation menée par l’URSS, aux répressions staliniennes et aux déportations durant la Seconde Guerre mondiale.

Cependant, déjà à l’époque pré-révolutionnaire, de nombreuses diasporas ethniques commencent à se former sur le territoire du Kazakhstan. L’immensité du pays, relativement à sa démographie, le rend propice à la réinstallation de populations, principalement ouïghoures, coréennes, allemandes, polonaises, ukrainiennes, tatares, azéries et tchétchènes.

The Village retrace l’histoire de quatre diasporas ayant subi la répression. Forcées à s’adapter, leur contribution à la culture locale continue de marquer le pays.

Les Ouïghours

Les Ouïghours s’installent pour la première fois sur le territoire du Kazakhstan à la fin du XIXeme siècle, en même temps que les Dounganes, suite à la répression de la révolte ouïghoure en Chine. En 1918, les bolcheviks accusent la population civile ouïghoure de sympathiser avec les Kazakhs et les Russes blancs. Dans les villages, de Verny (actuellement Almaty, ndlr) à Jarkent, 25 000 Ouïghours sont alors fusillés. Puis, à l’époque de la collectivisation et de la famine des années 1929-1931, une partie des Ouïghours se réinstalle en Chine.

De 1926 à 1938, au Kazakhstan comme dans d’autres républiques soviétiques existe une série de districts nationaux au régime autonome. Cependant, le 17 décembre 1937, les autorités proclament un arrêté « sur la liquidation des districts et villages nationaux ». Une inspection spéciale explique cette liquidation par le fait que de nombreux districts ont été créés « par des ennemis du peuple à des fins nuisibles ».

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Malgré cela, dans les années 1960-1970, pendant la période d’ouverture des frontières entre l’URSS et la République Populaire de Chine (RPC), une nouvelle réinstallation importante du peuple ouïghour a lieu. Deux nouvelles vagues de migrants s’installent dans la république socialiste soviétique (RSS) du Kazakhstan, principalement dans les villages et les centres de districts des oblasts d’Almaty et de Taldykourgan.

Les Allemands

À la fin du XVIIIeme siècle, les premiers Allemands arrivent sur le territoire kazakh. Cela est dû à de forts mouvements migratoires internes à l’Empire russe vers les terres des frontières méridionales et orientales d’alors. Par la suite, au début du XXeme siècle, le pays compte déjà quelques dizaines de colonies allemandes.

Dans les années 1930, des Allemands issus de villages d’Ukraine, de Crimée, de la Volga, de l’oblast de Leningrad et d’Azerbaïdjan arrivent au Kazakhstan. Il s’agit principalement de paysans expulsés dans le cadre de la dékoulakisation, de la collectivisation ou accusés d’espionnage pour l’Allemagne, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Une partie d’entre eux est fusillée. D’autres sont déportés de la partie européenne de l’URSS et du Caucase en 1941, prétextant l’évacuation d’une zone de guerre dangereuse.

Déportation Kazakhstan URSS
De nombreuses populations ont été déplacées sous Staline vers le Kazakhstan. Photo : mungfali.com.

À cause de la méfiance pour les Allemands, la plupart d’entre eux se voit attribuer le statut de « colons spéciaux », soumis à la surveillance du Comissariat du peuple aux affaires intérieures (NKVD). Le départ du lieu d’habitation sans autorisation des organes du ministère de l’Intérieur peut alors être puni de 20 ans de travail forcé au plus. Ce n’est qu’en 1955 que les Allemands sont radiés du registre des colonies spéciales. Ils obtiennent le droit de s’installer dans d’autres régions du pays, à l’exception de là où ils vivaient avant la guerre.

En 1964, les accusations envers les Allemands sont reconnues infondées en raison de l’arbitraire lié au culte de la personnalité de Staline. En 1972, les restrictions sur leur lieu de vie sont complètement levées. La même année, 3 500 pères de famille allemands signent une demande d’autonomie, le parti communiste kazakh commence donc à prendre des mesures visant à atténuer leur mécontentement. Les cas particuliers des gens souhaitant émigrer en Allemagne sont examinés lors de réunions de commissions publiques spécialement organisées, et la direction du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) en arrive à la conclusion qu’il est nécessaire de proclamer l’autonomie allemande. Cependant, l’idée n’aboutit pas en raison de protestations de la population kazakhe.

Les Polonais

A la fin du XIXeme siècle, les Polonais sont arrivés au Kazakhstan « pour l’exploitation de nouvelles terres ». À cette époque, le royaume de Pologne se trouve sous le contrôle de l’Empire russe.

En 1936-1937, de nouvelles migrations forcées ont lieu sous le régime stalinien. Les Polonais soviétiques de Lituanie et d’Ukraine sont déportés dans la République socialiste soviétique (RSS) du Kazakhstan. Cela est lié à la politique de confrontation de l’Union soviétique à l’égard de la Pologne. Ces derniers sont placés sous le contrôle strict du NKVD.

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En 1939, lors du partage de la Pologne entre l’Allemagne et l’URSS, une troisième vague de déportation a lieu en direction du Kazakhstan. Ce dernier groupe de citoyens polonais s’adapte rapidement à la vie économique et agricole de la république kazakhe. Des chercheurs de Karaganda écrivent que les réinstallés travaillent dans des sovkhozes (fermes d’Etat, ndlr) et dans diverses entreprises industrielles de la région.

En 1956, ils sont retirés de la liste des « colons spéciaux ». Beaucoup sont alors devenus dirigeants agricoles, apportant une contribution notable au développement de l’économie nationale.

Les Coréens

Les premiers Coréens arrivent eux aussi au Kazakhstan à la fin du XIXeme siècle, quittant leur pays au moment de l’insurrection paysanne de Corée de 1893 à 1895 et de la guerre sino-japonaise qui a suivi.

En 1904-1905 débute la guerre entre l’Empire russe et le Japon autour de la Corée et de la Mandchourie. Le Japon sort alors vainqueur de la guerre avec la Chine, privant complètement celle-ci de ses droits sur la Corée. Toutefois, la communauté internationale ne reconnaît pas le droit des Japonais sur la péninsule du Liaodong. Le Japon se trouve donc contraint de la céder en bail à son grand voisin, amenant une partie des Coréens à l’Extrême-Orient de l’Empire russe, tandis qu’une autre partie du pays revient au Japon.

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Avec le début de la guerre sino-japonaise, le tsar Nicolas II (1868-1918) émet un décret spécial en vertu duquel les « visages jaunes » d’Extrême-Orient (dans le texte, cela désignait les Japonais, les Chinois et les Coréens, ndlr) doivent être envoyés dans les provinces intérieures sous surveillance policière. C’est donc sous le régime tsariste qu’ont lieu les premières tentatives de réinstallation forcée des Coréens.

Une deuxième vague de déportation sous Staline

À la fin de l’année 1928, des travaux de grande ampleur pour le développement de la riziculture se développent en URSS. Les autorités utilisent la population coréenne des régions extrême-orientales à ces fins. En 1931, le Kazakhstan est la première région rizicole d’URSS.

La majeure partie des Coréens présents aujourd’hui au Kazakhstan arrive cependant sur ordre de Staline. En 1937, un arrêté est mis en place « sur la réinstallation de la population coréenne des régions frontalières d’Extrême-Orient ». Cette même année, des troupes japonaises envahissent le territoire chinois, amenant 172 000 Coréens ethniques à être réinstallés de force dans la RSS du Kazakhstan. Les autorités soviétiques justifient cela par la nécessité de supprimer la pénétration de l’espionnage japonais dans la région de l’Extrême-Orient. La déportation de la population coréenne signe ainsi le premier acte répressif d’expulsion de tout un peuple en URSS.

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Selon la Confédération internationale des associations coréennes de la Communauté des Etats indépendants (CEI), les Coréens ne reçoivent le statut de « colons spéciaux » qu’à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, après la capitulation japonaise du 28 août 1945, les Coréens n’ont plus ce statut. Jusqu’à cette date, ils ne pouvaient pas se déplacer librement de région en région, mais avaient le droit d’occuper des postes de direction et de recevoir une éducation supérieure.

Quelles conséquences pour ces populations ?

Nombreuses sont les diasporas se constituant au Kazakhstan en conséquence des répressions staliniennes. Par la suite, certains épisodes de l’histoire soviétique ont été qualifiés de génocide par le Parlement européen.

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D’après les données du procureur de l’URSS Andreï Bichinskov, ce sont plus de 389 382 Allemands et Polonais qui ont été déportés au cours de la période allant de novembre 1939 à juin 1941 seulement. La première année de cette période, environ 10 % de la population est décédée sur les lieux de déportation.

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Selon différentes estimations fondées sur les statistiques démographiques, jusqu’à 50 000 Coréens sont morts du fait de la répression : principalement de faim, d’hypothermie et de difficultés d’adaptation. Les recensements sur la composition ethnique du Kazakhstan sur son territoire indiquent que le nombre de Coréens a chuté de 96 000 à 74 000 personnes entre 1939 et 1959. Environ 25 000 Ouïghours ont été fusillés à partir de 1918, mais nombre d’autres membres du groupe ethnique ont préféré continuer à vivre en URSS à cause de la confrontation avec les autorités de la RPC.

Des rappatriements et des initiatives locales

Longtemps, les groupes ethniques du Kazakhstan ont eu le statut de « réinstallés », privés de la possibilité de revenir dans leurs terres historiques et de la liberté de se déplacer dans le pays. Malgré la faim, la persécution et le refus de l’autonomie pour certains peuples, les diasporas sont parvenues à s’adapter et à trouver une nouvelle patrie au Kazakhstan. Elles ont participé à la vie du pays, apportant une importante contribution culturelle, éducative et scientifique.

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Après la chute de l’URSS, un grand nombre d’Allemands ont été rapatriés dans leur pays d’origine. Un petit nombre de Polonais a suivi leur exemple. Cependant, diverses initiatives de ces diasporas fonctionnent encore au Kazakhstan aujourd’hui et, sans elles, la vie dans le pays serait difficile à imaginer.

Janguir Djanguildine
Journaliste pour The Village

Traduit du russe par Elise Medina

Édité par Coraline Grondin

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