Accueil      Balqashqa Qamqor, une initiative pour déterrer le passé et envisager l’avenir du plus grand lac kazakh

Balqashqa Qamqor, une initiative pour déterrer le passé et envisager l’avenir du plus grand lac kazakh

Le lac Balkhach, le plus grand du Kazakhstan, est voué à disparaître si rien n’est fait. Face à l’absence de programme national, des artistes et scientifiques ont créé une initiative pour informer le public.

Balkhach Jamboul Lac Kazakhstan
Le lac Balkhach, dans le Sud-Est du Kazakhstan. Photo : Wikimedia Commons.

Le lac Balkhach, le plus grand du Kazakhstan, est voué à disparaître si rien n’est fait. Face à l’absence de programme national, des artistes et scientifiques ont créé une initiative pour informer le public.

A Almaty, un petit groupe de passionnées a fondé l’initiative Balqashqa Qamqor pour sensibiliser le public à l’histoire et au sort actuel du lac Balkhach, situé dans le Sud-Est du Kazakhstan.

Second plus grand lac d’Asie centrale après la mer Caspienne, il risque en effet de perdre 80 % de son eau d’ici 2045, explique Boulat Yessekine, expert des ressources en eau et consultant de l’initiative. Alors que ses ressources sont plus que jamais nécessaires au pays, aucun programme gouvernemental ni aucune loi ne le protège.

En l’absence d’institutions nationales dédiées, Balqashqa Qamqor se donne pour mission depuis 2020 de pallier ce manque à sa façon, dans le cadre d’un projet d’Artcom Platform, avec le soutien ponctuel de l’ambassade des Etats-Unis au Kazakhstan, de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) et de la Fondation Eurasia. Dans un entretien avec Novastan, ses initiatrices racontent que pour elles, expliquer les enjeux de la catastrophe passe par l’art, et qu’il n’est possible de la comprendre en profondeur qu’en confrontant l’histoire soviétique du pays.

Sensibiliser à Almaty pour pouvoir agir

« Nous avions déjà monté un projet sur le lac Taldykol, près d’Astana », explique Antonina Van Lier, une des co-directrices du projet. « Ecologistes et artistes avaient obtenu des victoires pour sa protection et c’est ainsi que nous avons pensé à monter un projet similaire pour le Balkhach. »

Lire aussi sur Novastan : Kazakhstan : des écologistes suspendent le comblement du lac Taldykol

De protection, le lac en a bien besoin. Principalement alimenté par la rivière Ili, surexploitée, son niveau est en baisse constante. Si le changement climatique accentue la tendance, les principales causes en sont la construction du réservoir de Kaptchagaï en 1970 et l’utilisation extensive de l’Ili pour l’agriculture, à la fois au Kazakhstan et en Chine, à quoi s’ajoutent le gaspillage entrainé par des installations vétustes et l’absence générale de volonté d’économiser l’eau.

Or, toute la région dépend du Balkhach pour l’approvisionnement en eau, dont Almaty, la ville la plus peuplée du pays. C’est pour cette raison que l’initiative veut marquer les esprits précisément dans l’ancienne capitale. « L’assèchement du lac aura des répercussions directes sur Almaty, et dans le même temps, ce sont ses habitants qui ont l’influence nécessaire pour agir. Il faut que les gens comprennent à Almaty que la question les concerne directement », explique Aïguerim Kapar, co-fondatrice du projet.

Des ateliers avec les habitants de la région et des artistes internationaux

Pour cela, les militantes organisent des conférences publiques avec des scientifiques et historiens. Elles ont décidé de lier dans un même projet des domaines qui manquaient de visibilité à Balkhach : sciences, culture, art et histoire.

Envie de participer à Novastan ? Nous sommes toujours à la recherche de personnes motivées pour nous aider à la rédaction, l’organisation d’événements ou pour notre association. Et si c’était toi ?

Elles ont ainsi passé six mois dans les localités au bord du lac, non seulement dans la ville de Balkhach, mais aussi dans des villages comme Qaraï, où elles ont monté des projets artistiques avec les habitants. Les communautés locales ont été invitées à créer des œuvres sur l’héritage que représente le lac. Une exposition a ensuite eu lieu au musée local de Balkhach. De même, l’initiative a permis le tournage d’un film documentaire sur l’artiste local Omirkeldi Abéouov, qui perpétue des motifs et techniques kazakhs.

« L’art est un puissant instrument de transformation, un instrument universel. Il permet de transmettre le savoir, d’amener notre connaissance du lac Balkhach vers Almaty », explique Aïguerim Tléoubaï, co-directrice du projet.

Les militantes poursuivent leur travail de commissaires d’exposition : en mai prochain, un forum réunira à Balkhach des artistes internationaux, car pour Aïguerim Tléoubaï, « le problème concerne le monde entier et les rivières n’ont pas de frontières ». Les organisatrices notent au passage que la rivière Ili revêt un enjeu géopolitique international liant notamment le Kazakhstan, la Chine et la Russie.

Faire prendre conscience des enjeux de l’époque soviétique

Mais aborder la question par la culture locale revêt également un autre aspect : Balqashqa Qamqor lie la défense de l’environnement et la justice écologique à la décolonisation. « Nos problèmes environnementaux viennent de la colonisation et de l’industrialisation à l’époque soviétique », estime Aïguerim Kapar. En effet, le lac est pollué par des industries qui ont commencé à s’implanter à ses abords à l’époque soviétique.

Comme beaucoup d’autres, elle fait le rapprochement avec un exemple tristement célèbre : « le Balkhach s’apprête à subir le même sort que la mer d’Aral : se diviser en deux parties puis disparaître. La mer d’Aral nous a été volée. Je dis bien « volée » parce que les décisions ont été prises à Moscou, pas localement. »

Lire aussi sur Novastan : Le lac Balkhach peut-il connaitre le même sort que la mer d’Aral ?

C’est pourquoi le projet a été rejoint par des historiens qui s’intéressent de près à faire sortir de l’ombre des événements de l’ère soviétique encore tabous. En plus des conférences dédiées pour engager un dialogue sur la mémoire et les répressions politiques, un cycle de projections documentaires est organisé à Almaty entre février et mars.

Acharchylyq : la famine des années 1930

Daoulet Kojakov, historien, archéologue et directeur du musée de Balkhach, veut faire mieux connaître Acharchylyq, la famine des années 1930 au Kazakhstan. Entre 1930 et 1933, lors de la collectivisation des terres, un quart de la population de la République socialiste soviétique kazakhe est emporté par la faim.

A cette époque, une usine était en construction aux abords du lac et les habitants des environs l’avaient rejointe en masse dans l’espoir d’y trouver de quoi subsister. Cependant, selon l’historien, sur les 72 000 habitants du Nord-Balkhach recensés en 1927, il n’en restait que 5 000 en 1933. Si un mémorial existe sur place, le sujet est encore très peu étudié localement et trop souvent passé sous silence.

Envie d'Asie centrale dans votre boîte mail ? Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter hebdomadaire en cliquant ici.

« Au Kazakhstan, les fosses communes n’ont toujours pas été trouvées. Ce n’est pas qu’elles n’existent pas, c’est que personne ne les cherche », explique Daoulet Kojakov. L’interprétation historique de ces événements est encore soumise à de nombreuses discussions au Kazakhstan : certains mettent en cause l’incompétence des autorités, mais l’initiative veut expliquer que la famine était prévisible et parle d’ethnocide.

Une plateforme pour réunir toutes les ressources sur le lac

Un des aboutissements du projet est de réunir toutes les ressources sur la région, dans tous les domaines, sur une même plateforme accessible à tous. Les conférences et films présentés sont disponibles en ligne.

Questionner l’histoire et protéger le lac est d’autant plus d’actualité que le Kazakhstan songe à construire la première centrale nucléaire du pays au bord du Balkhach, dont l’eau serait nécessaire pour refroidir les réacteurs. Une mesure qui ne ferait qu’accélérer sa disparition.

Paulinon Vanackère
Rédactrice pour Novastan

Relu par Charlotte Bonin

Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout ! Si vous avez un peu de temps, nous aimerions avoir votre avis pour nous améliorer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anonymement à ce questionnaire ou nous envoyer un email à redaction@novastan.org. Merci beaucoup !

Commentaires

Votre commentaire pourra être soumis à modération.