Au XVème siècle, une ambassade de Castille se rend à la cour de Tamerlan pour chercher une alliance militaire. Le nom de l’ambassadeur résonne encore dans les rues de Samarcande.
L’histoire de Marco Polo est très largement connue du grand public. Pourtant, il n’est pas le seul voyageur de la fin du Moyen-Âge à avoir laissé un témoignage écrit riche et passionnant.
Un ambassadeur espagnol, Ruy González de Clavijo, a rédigé à la première personne un manuscrit, Embajada a Tamerlan, dans lequel il relate son voyage, de 1403 à 1406, à la rencontre de Tamerlan.
À la recherche d’une alliance
Le XIVème siècle était dans sa phase finale et le monde chrétien tremblait sous la menace des Turcs. Après la défaite franco-hongroise de Nicopolis en 1396, le choc des religions semble pencher en faveur du Croissant : l’Empire byzantin a l’ennemi à ses portes, les nations d’Europe centrale doivent faire face à 300 ans de guerre et la Méditerranée regarde avec effroi les Balkans tomber sous le joug de Bayezid Ier, un sultan dont l’objectif premier est la conquête de la partie occidentale du continent.
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Il organise l’envoi d’une première ambassade qui porte ses fruits. Les deux émissaires, les chevaliers Hernán Sánchez de Palazuelos et Payo Gómez de Sotomayor, reviennent chargés de cadeaux, d’une lettre pour Henri III et accompagnés par un conseiller personnel de Tamerlan.
Une seconde ambassade décisive
Sur ces bonnes premières relations, le chambellan d’Henri III est envoyé à la tête d’une seconde délégation. Ruy González de Clavijo entame donc son grand voyage, qui l’emmènera de Castille à Samarcande, à la rencontre de Tamerlan. Plusieurs personnages l’accompagnent, dont Gómez de Salazar, le garde du roi, et Fray Alonso Páez de Santa María, un érudit religieux qui parlait latin, arabe, italien, grec et persan.
Le 31 août 1404, ils atteignent enfin leur destination : Samarcande.
Samarcande en 1404
À cette époque, la ville était l’une des capitales les plus importantes de la route de la Soie, épicentre du croisement des caravanes venues de l’Est et de l’Ouest, construite sur la steppe aride de Transoxiane, entre l’Oxus et le Jaxartes.
González de Clavijo décrit dans son livre la richesse et l’abondance de cette capitale. Située dans une plaine, entourée d’un mur de terre, elle est un peu plus grande que la ville de Séville. Il s’y trouve de merveilleux palais, des mosquées et des médersas. Le livre montre clairement l’admiration de González de Clavijo lorsqu’il a découvert Samarcande, une ville plus grande que toutes celles de Castille, riche, diversifiée et multiculturelle.
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La soif de conquête de Tamerlan était accompagnée de massacres sanguinaires, aujourd’hui qualifiés de génocidaires. Mais il prenait soin d’épargner les artistes et les intellectuels. Plutôt que de les tuer, il les déplaçait à Samarcande, afin d’enrichir culturellement sa capitale. Et l’admiration de l’émissaire espagnol a probablement joué un rôle dans la qualité de la relation qu’il a nouée avec Tamerlan.
Un nom qui résonne encore au Kazakhstan aujourd’hui
Au mois de mars 2024, l’Université Al-Farabi d’Almaty, au Kazakhstan, envoie l’un de ses professeurs, Kalkaman Joumagoulov, à Madrid. Il y travaille à la célèbre Bibliothèque nationale, située dans le quartier Salamanca. Il accède aussi aux dépôts de livres, aux fonds et aux archives des universités de la capitale espagnole. Il a l’occasion de consulter le manuscrit Embajada a Tamerlan.
En 2015, le Centre de langue espagnole Ruy Gonzalez de Clavijo est fondé à l’Université Nationale d’Eurasie d’Astana. En automne 2024, elle accueille la deuxième partie du séminaire international « Coopération dans l’enseignement supérieur : Espagne-Kazakhstan », consacré aux relations entre les établissements d’enseignement supérieur kazakhs et espagnols. Des représentants de plus de 30 universités kazakhes et espagnoles et de l’ambassade d’Espagne au Kazakhstan participent à la réunion.
L’héritage de Ruy Gonzalez de Clavijo
Le manuscrit Embajada a Tamerlan recèle une grande valeur historique. C’est le seul témoignage européen existant sur la lointaine cour de Tamerlan, en plus de contenir d’abondantes descriptions des lieux où l’expédition est passée, et notamment de Samarcande, dont elle enregistre la topographie, les coutumes, les fêtes, les vêtements, les mosquées, « faites avec un merveilleux travail de bleu et de pierre de taille, et de bleu et d’or de travail grec, et de très beaux et nombreux vitraux. »
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L’homme est mort, mais pas son héritage. Le nom de Clavijo résonne encore fortement dans l’Ouzbékistan d’aujourd’hui, où une large avenue de Samarcande porte son nom, le maintenant vivant dans la mémoire collective de ce pays. Ainsi, l’ancienne relation établie à l’aube du XVème siècle entre cette région de l’Asie centrale et l’Espagne reste vivante de nos jours.
Quentin Pak
Rédacteur pour Novastan
Relu par la rédaction
Note de la rédaction : « la cour moghole » a été changée en « la cour de Tamerlan » le 1er mars 2025.
Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout ! Si vous avez un peu de temps, nous aimerions avoir votre avis pour nous améliorer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anonymement à ce questionnaire ou nous envoyer un email à redaction@novastan.org. Merci beaucoup !
Vincent Gélinas, a month ago
La cour… moghole? Quelle cour moghole existait au début du 15e siècle?
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Paulinon Vanackère, a month ago
Bonjour Vincent. Merci pour votre remarque, c’est en effet une erreur, que nous avons corrigée.
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