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Un groupe de femmes réclame un aménagement de peine pour la journaliste tadjike Roukhchona Khakimova

Une lettre ouverte a été adressée au chef de l'Etat pour réduire la peine de cette journaliste, condamnée dans le cadre d'une affaire de coup d'Etat présumé. Cela faisait suite à son enquête sur l'influence chinoise au Tadjikistan.

Rédigé par :

wonkur 

Roukhchona Khakimova
La journaliste Roukhchona Khakimova et ses enfants. Photo : Réseaux sociaux.

Une lettre ouverte a été adressée au chef de l’Etat pour réduire la peine de cette journaliste, condamnée dans le cadre d’une affaire de coup d’Etat présumé. Cela faisait suite à son enquête sur l’influence chinoise au Tadjikistan.

Environ 130 mères de famille ont adressé un appel au président Emomali Rahmon pour demander d’atténuer la peine infligée à la journaliste Roukhchona Khakimova, rapporte le média tadjik Asia-Plus.

Les signataires expriment une grande préoccupation car la femme de 31 ans a deux filles, et donnait encore le sein à la cadette, Choukrona, âgée de 10 mois. « Cette sentence nous a profondément secouées, mais surtout, elle a brisé la vie de ses deux petites filles, Chahnoura (âgée de 2 ans et demi, ndlr) et Choukrona, qui ont perdu du jour au lendemain la chose la plus précieuse qu’un enfant possède : l’amour maternel, la chaleur et l’attention », indique le texte.

Les autrices de la lettre soulignent qu’elles ne demandent qu’à aménager la peine. Elles concluent : « Nous vous demandons de faciliter l’application des mécanismes prévus par la loi pour l’humanité et l’atténuation des peines contre Roukhchona Khakimova à une peine non liée à l’emprisonnement. Nous pensons qu’il existe des moyens légaux de prendre en compte sa maternité et de ne pas laisser deux jeunes enfants sans soins maternels. »

Une affaire de « coup d’Etat »

Le 5 février dernier, la Cour suprême du Tadjikistan a condamné Roukhchona Khakimova à huit ans de prison pour « haute trahison », dans une affaire dite de « coup d’Etat ».

En juin 2024, les autorités ont mené une vague d’arrestations de personnalités politiques de premier plan, d’anciens fonctionnaires et de journalistes. En l’espace de quelques mois, au moins sept personnes ont été arrêtées. Ces dernières ont été accusées notamment de « haute trahison », en vertu de l’article 305 du code pénal tadjik, comme pour la jeune journaliste. Cette dernière a été arrêtée le 16 juillet devant son domicile sans mandat d’arrêt et interrogée pendant environ 12 heures sans pouvoir consulter un avocat.

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Le média russe spécialisé sur l’Asie centrale Fergana News rappelle que le procès s’est ouvert en novembre dernier et que les audiences se sont tenues à huit clos au Centre de détention provisoire de Douchanbé. La défense a réclamé de rendre public le procès, ce qui a été rejeté par le tribunal.

En outre, les autorités n’ont pas divulgué les détails du procès, invoquant le secret des affaires. Des proches des accusés ont indiqué qu’ils n’avaient pas d’informations sur son déroulement.

Une enquête journalistique sensible

Lors de la dernière audience, celle du 5 février, les autres accusés ont reçu des peines allant de 17 à 27 ans de prison. Roukhchona Khakimova a nié les accusations portées à son encontre devant le tribunal.

Jusqu’à l’annonce du verdict, elle est restée en liberté en raison de ses deux enfants. Cependant, l’ensemble de ses documents a été saisi et l’interdiction de quitter son lieu de résidence lui a été imposée. Dès que sa peine a été prononcée, la journaliste a été placée en détention. Plus tôt, le procureur avait requis 17 ans de prison contre elle.

Selon une source proche de l’enquête, citée par Asia-Plus, son cas est lié à son enquête journalistique sur l’influence de la Chine au Tadjikistan, à laquelle ont participé certains des condamnés, dont le député et ex-président du Parti démocratique du Tadjikistan Saïdjafar Ousmonzoda ainsi que le vice-président du Parti social-démocrate du Tadjikistan et oncle de la journaliste, Chokirdjon Khakimov. Ces deux hommes ont été condamnés respectivement à 27 et 18 ans de prison. D’autre part, l’enquête de la journaliste n’a pas été publiée.

Un pourvoi en cassation

Roukhchona Khakimova n’était pas la seule journaliste condamnée dans cette affaire. Le tribunal a infligé à un autre journaliste, Ahmadchoh Komilzoda, également ancien vice-président du Parti démocratique, une peine de 18 ans de prison.

Le 18 février dernier, dans un entretien accordé à Asia-Plus, l’avocat de la journaliste, Tourob Dilaïev, a annoncé qu’il avait fait appel de la décision du tribunal. Il demande aussi la libération de sa cliente, en invoquant l’article 71 du Code pénal, qui prévoit la non-application conditionnelle de la peine. Selon lui, le tribunal « n’a pas tenu compte du fait qu’elle a un bébé ».

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Son mari a fait part de sa préoccupation du fait qu’il n’a pas pu voir sa femme depuis sa condamnation et son incarcération. Il a également fait savoir que le tribunal avait confisqué leurs économies, qui devaient servir pour acheter un logement.

De vives réactions sur les réseaux sociaux

Cette affaire suscite des réactions de la part du milieu journalistique, de militants de la société civile et d’ONG. Elle a fait l’objet de débats et de discussions sur les réseaux sociaux.

De nombreux utilisateurs, se référant à l’article 78 du Code pénal sur le « report de peine pour les femmes enceintes et les femmes ayant des enfants de moins de huit ans », ont exigé que l’exécution de la peine soit reportée, étant donné que la journaliste a un enfant de dix mois.

En retour, le Premier vice-président de la Cour suprême a déclaré lors d’une conférence de presse le 13 février dernier qu’il était au courant de la réaction des utilisateurs à la condamnation de la journaliste, mais que la loi ne prévoyait pas la suspension des peines pour des « crimes particulièrement graves ».

Des inquiétudes dans le milieu journalistique

La communauté journalistique s’est dite inquiète et surprise du cas de Roukhchona Khakimova. Dans un commentaire auprès d’Asia-Plus, le président de l’Association nationale des médias indépendants du Tadjikistan, Nouriddine Karchiboïev, a dit espérer un respect de l’Etat de droit dans cette affaire : « Malheureusement, le verdict nous a choqués. Tout d’abord, conformément à la loi, la sentence pourrait être annoncée lors d’une audience publique afin que les gens sachent exactement pour quoi elle a été condamnée à huit ans de prison. Cependant, malheureusement, la réunion s’est tenue à huis clos. À cet égard, nous avons toujours des doutes sur les accusations. »

Le directeur du Centre d’études journalistiques du Tadjikistan, Khourched Atovoullo, a jugé que la sentence était excessivement sévère. Il a déclaré : « La conduite d’une interview, quelle que soit la personne à qui le contenu est destiné, ne peut pas servir de base à l’ouverture d’une procédure pénale. […] De plus, Roukhchona Khakimova est mère de deux jeunes enfants. »

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Ainsi, il espère une révision de la peine par les juridictions supérieures.

Goulnora Amirchoïeva, présidente de la Coalition des femmes journalistes du Tadjikistan, exprime la même inquiétude : « Notre communauté journalistique féminine a été horrifiée par la nouvelle de la peine aussi sévère infligée à notre collègue Roukhchona Khakimova. Nous ne pouvons pas évaluer son degré de culpabilité ou d’innocence, car personne n’a participé au procès en raison du secret de l’affaire. Mais, de toute façon, elle n’aurait pas dû être séparée de ses jeunes enfants. […] Nous sommes toutes des mères et nous espérons que l’affaire sera réexaminée afin qu’elle puisse au moins avoir la possibilité de reporter sa peine le temps que ses enfants grandissent. »

Des ONG réclament sa libération

Plusieurs organisations non-gouvernementales ont réagi face à la condamnation de la journaliste. L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, dans un communiqué du 3 mars dernier, a condamné la peine qui lui a été infligée. L’organisation a exigé que les autorités tadjikes libèrent « immédiatement et sans condition » Roukhchona Khakimova et a appelé à respecter ses droits, notamment « en tenant compte de son statut maternel et des droits de ses enfants. »

« Madame Khakimova est officiellement accusée de « haute trahison » en vertu de l’article 305 du Code pénal du Tadjikistan. Cette accusation s’inscrit dans le cadre d’une enquête plus large sur un coup d’État présumé qui ne dispose d’aucune preuve crédible et qui semble avoir été utilisée pour réprimer les voix critiques et l’opposition », d’après le communiqué.

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Dans une tribune à Radio Ozodi, la branche tadjike du média américain Radio Free Europe, Siïnat Soultonalieva, chercheuse sur l’Asie centrale à Human Rights Watch, a appelé les autorités à respecter la liberté d’expression et à mettre fin à l’intimidation des journalistes : « Au Tadjikistan, les journalistes, les blogueurs et les défenseurs des droits humains sont depuis longtemps persécutés pour avoir exprimé des opinions critiques. […] La plupart de leurs affaires ont été entendues à huis clos et sous scellés. Par conséquent, on peut dire qu’avec cette approche, il n’y a aucun espoir de procès équitable. »

Auparavant, Human Rights Watch avait déjà appelé à l’arrêt des poursuites pénales contre Roukhchona Khakimova. Reporters sans frontières (RSF), dans son communiqué du 27 février, a également appelé le procureur général à la libération immédiate de la journaliste. Jeanne Cavelier, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, déclare : « L’enquête sur le cas de Roukhchona Khakimova a été entachée d’irrégularités et son procès inique. Sa condamnation arbitraire et scandaleuse, à une lourde peine, illustre la volonté des autorités tadjikes de museler toute voix indépendante à l’approche des élections législatives (tenues le 2 mars dernier, ndlr) dans un climat d’absence totale de pluralisme. »

Un travail journalistique reconnu

Roukhchona Khakimova a débuté sa carrière journalistique en 2013. Elle a collaboré avec le Centre de recherche journalistique du Tadjikistan puis avec différents médias tadjiks tels que Samak, Faraj, Javononi Tojikistan, Kabar Asia, ou encore, Factcheck.tj.

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En raison de son travail reconnu dans le journalisme d’investigation, à travers ses enquêtes sur la corruption, la transparence des institutions et la désinformation, elle a obtenu plusieurs récompenses. La journaliste a été lauréate du prix Vahid Asrori, du nom de l’un des pères fondateurs de la presse tadjike, mais aussi ceux du Comité de la jeunesse et des sports, de la Coalition des femmes journalistes et de l’Alliance des médias du Tadjikistan.

D’après le classement de RSF sur la liberté de la presse, le Tadjikistan est classé 155ème sur 180 pays. Ces deux dernières années, neuf journalistes tadjiks ont été condamnés à de longues peines de prison sous prétexte d’atteintes à la sécurité nationale ou de corruption, soit plus que dans tout autre pays d’Asie centrale, d’après RSF. Roukhchona Khakimova est le dernier cas en date.

William Onkur
Rédacteur pour Novastan

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