Des ouvriers de la société pétrolière West Oil Software se sont déclarés en grève. L’entreprise a déclaré la grève illégale et a licencié plusieurs employés. Mais les grévistes ne fléchissent pas : deux mois après, ils continuent de manifester.
Le 11 décembre dernier, environ 500 employés de la société pétrolière West Oil Software se sont déclarés en grève à Jetybaï, dans la région du Manguistaou, où se trouvent la plupart des gisements du pays, relaie Azattyq, la branche kazakhe du média américain Radio Free Europe. En octobre 2022, ces ouvriers avaient déjà formulé des revendications, sans que le problème soit résolu, d’après le média kazakh Vlast. Après un mois de grève, seules 20 personnes étaient retournées travailler, selon Azattyq.
Malgré l’hospitalisation de deux grévistes en raison du climat éprouvant, le combat a continué. « Il fait -12 dehors, ressenti -20 avec le vent. Les gens sont debout dans le froid. Si nous rentrons chez nous, nous serons arrêtés. On ne nous laisse pas planter nos tentes, on ne nous permet pas de faire un feu. Nous dormons dans des voitures, nous marchons dans la rue », raconte un ouvrier en grève à Vlast.
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« Le secteur privé ne pense qu’à sa poche »
« Les ouvriers risquent leur vie chaque fois qu’ils viennent travailler. Les machines sont tellement usées qu’on peut voir la route à travers le fond », déplore Sandibek Kosanov, conducteur, à Azattyq. Selon un gréviste interrogé par Vlast, il n’y aura pas d’évolution tant que l’entreprise restera privée : « Le secteur privé ne pense qu’à sa poche. […] Si l’entreprise ne revient pas entre les mains de KazMounaïGaz, il n’y aura pas de modernisation des équipements. »
La direction de l’entreprise a reconnu que la modernisation des équipements devait être une « question prioritaire », et propose le renouvellement de 202 unités d’équipement sur 3 ans, dans un post Facebook du 11 décembre. Mais toutes les autres revendications ont été rejetées.
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Pour KazMounaïGaz, il n’y a aucune raison de reprendre ces ouvriers, alors qu’ils seraient partis d’eux-mêmes avec des dédommagements en 2017. Des employés de West Oil Software qui travaillaient alors dans des filiales de la société nationale, dont Oil Transport Corporation, avaient « accepté des réorganisations » dans le cadre du « programme 5/50 ».
KazMounaïGaz a licencié 4 000 personnes en 2017
« Lorsqu’un employé démissionnait, il se voyait offrir une compensation à hauteur de 50 % d’un salaire de cinq ans. Le montant moyen des primes s’élevait alors à environ 11 millions de tengués par personne (22 700 euros) », explique le directeur de KazMounaïGaz à Azattyq. 4 000 travailleurs auraient « bénéficié de ce programme », et la plupart aurait directement retrouvé du travail chez West Oil Software, selon lui.
D’après l’antenne kazakhe, ce licenciement de 4 000 personnes était dû à une baisse de production de pétrole. La filiale Oil Transport Corporation avait mobilisé 44 milliards de tengués (90,8 millions d’euros) pour le programme 5/50, et la moitié de la somme a servi aux employés.
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Le directeur de cette filiale, Erbol Touriyazov, estime qu’il n’est pas dans son intérêt de dépenser « 22 milliards de tengués (45,3 millions d’euros) pour finalement reprendre ces employés ». Leurs salaires augmenteront car ils devront suivre les grilles de l’ENOT et « les pertes augmenteront considérablement », justifie-t-il auprès d’Azattyq.
Des employés transférés du public au privé sans leur accord
Pour Ondasyn Karjaoubaïev, chauffeur chez West Oil Software, ces déclarations ne reflètent pas la réalité. « Je voudrais rappeler que l’équipe de West Oil faisait initialement partie du personnel d’Oil Transport Corporation, et de KazMounaïGaz. Sous divers prétextes fallacieux, nos hangars ont été fermés, en raison d’une faillite frauduleuse, et nous avons été placés en fiducie », assure-t-il à Azattyq.
Pendant la période de licenciements de 2017, des travailleurs auraient été transférés de la filiale publique à une entreprise privée sans leur accord, explique Alibek Kochtchanov, chef de convoi, à l’antenne kazakhe. Et c’est depuis le passage vers une entreprise privée que les conditions de travail se seraient détériorées.
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Dans le village de Jetybaï, beaucoup d’anciens employés des filiales de KazMounaïGaz, licenciés entre 2017 et 2018, sont toujours sans emploi, comme Moukhit Tolepov, ancien assistant foreur. « On va venir me couper le gaz et l’électricité. J’ai eu une amende de 50 000 [tengués] pour ne pas avoir payé l’eau. Je n’ai pas d’argent pour payer », confesse-t-il à Azattyq.
La grève déclarée illégale
Une inquiétude qui est générale dans la région de Manguistaou, dont le sol infertile oblige l’importation de toutes les denrées pour des prix très élevés, rappelle l’antenne kazakhe. L’industrie pétrolière attire beaucoup car elle est bien rémunérée, mais il n’y a pas assez de travail pour tout le monde.
Un bras de fer s’est établi entre les employés et leur direction dès le début de la grève. Déclarée illégale par le tribunal de Kourik le premier jour, les travailleurs contestent une décision prise lors d’une réunion sans leur participation.
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« Nous avons donné un préavis écrit de cinq jours, conformément au code du travail. À cinq heures de l’après-midi [le 11 décembre 2023], nous avons été informés verbalement qu’il y aurait un procès à six heures. Nous n’avons même pas reçu de convocation », dénonce l’un des travailleurs en grève à Azattyq. Les grévistes ont tenté de faire appel de cette décision. Mais le 24 janvier dernier, le tribunal du Manguistaou a jugé que le tribunal de première instance « avait correctement établi les circonstances de l’affaire », rapporte Azattyq.
À Jetibaï, la sécurité est renforcée
Le 20 décembre dernier, dans une vidéo publiée sur Instagram, le procureur du district de Karakiya a annoncé vouloir poursuivre pénalement les manifestants pour participation à une grève reconnue comme illégale.
Selon les médias locaux, la sécurité a été renforcée à Jetibaï. « Ils exigent que nous nous dispersions, disent que nous sommes ici illégalement. Nous sommes encerclés par la police et la SOBR (les forces spéciales d’intervention rapide, ndlr) », soutient un travailleur en grève auprès de Vlast.
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Dans une publication Instagram du 18 décembre, la direction de West Oil Software a menacé les grévistes de leur faire payer leur temps d’inactivité. Le communiqué indique que le salaire moyen dans l’entreprise serait de 735 000 tengués (1 510 euros), et que « l’entreprise offre à ses employés des salaires supérieurs à ceux d’autres sociétés de services pétroliers. »
18 grévistes licenciés
Mais les travailleurs dénoncent des formulations malhonnêtes. « Pourquoi n’indiquent-ils pas des salaires de 320 à 350 000 tengués (661 à 723 euros), mais montrent seulement les plus élevés ? » demande Alibek Kochtchanov à Azattyq. « J’ai personnellement géré les feuilles de présence de 160 employés, et je peux montrer qui reçoit quel montant, pour combien d’heures. Il n’y avait pas de sommes telles que 735 000. »
Alors que sept grévistes avaient déjà été licenciés le 13 décembre dernier, 11 de plus ont été remerciés le 12 janvier, rapporte Azattyq. Mais ils peuvent au moins compter sur le soutien de la société civile et des habitants des villages voisins, qui se sont rassemblés à Jetibaï à plusieurs reprises.
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Les autorités locales et le gouvernement sont plus silencieux. Seul le ministre de l’Énergie, Almasadam Satkaliev, dans une interview donnée au média kazakh Ulys, a dit qu’il se rendrait dans la région si nécessaire, mais que le problème demeurait entre les ouvriers et leurs employeurs. Début janvier, des grévistes ont envoyé des représentants syndicaux à Astana porter leur voix, mais les autorités auraient refusé de les rencontrer, détaille Ulys.
Le spectre de Janaozen
Pour Amin Yeleoussinov, un dirigeant syndical indépendant, cette situation rappelle la grève de Janaozen, dans la même région du Manguistaou, qui concernait aussi des travailleurs du secteur pétrolier. Le 16 décembre 2011, les autorités y avaient mis fin en ouvrant le feu sur les manifestants, causant la mort de 17 personnes, avec plus d’une centaine de blessés.
« Si le gouvernement prenait une décision politique, la question serait résolue immédiatement. KazMounaïGaz est subordonnée au gouvernement », analyse-t-il auprès d’Azattyq.
Le 15 février dernier, KazMounaïGaz a fait de nouvelles menaces de licenciements, et 88 employés seraient retournés au travail, rapporte Azattyq. Mais pour la plupart des grévistes, la mobilisation continue. Ulys détaille que depuis, d’autres ouvriers du pétrole ont suivi et se sont mis en grève, notamment à Janaozen, où 800 employés de la société pétrolière Kezbi ont fait valoir leurs revendications.
Romane Haquette
Rédactrice pour Novastan
Relu par Elise Medina
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