Lors du référendum, les électeurs kazakhs se sont prononcés en faveur d’une révision constitutionnelle. Ce résultat constitue une preuve de confiance pour le président Kassym-Jomart Tokaïev qui doit à présent engager de nouvelles réformes.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 7 juin 2022 par notre version allemande.
La constitution kazakhe va faire l’objet d’une profonde révision. Tel est le résultat d’un référendum qui a eu lieu le 5 juin 2022. Comme l’a annoncé au matin du 6 juin Nourlan Abdirov, le chef de la Commission électorale centrale du pays, plus de 7 millions de Kazakhs se sont prononcés en faveur des modifications proposées. Le taux de participation était de 68,05 %.
Le projet politique
Ces projets de réforme avaient été présentés le 16 mars 2022 par le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev. Ils ont été annoncés en réaction aux troubles qui avaient agité le Kazakhstan et en particulier la capitale économique, Almaty, début janvier. Des manifestations au départ pacifiques avaient alors dégénéré en émeutes, et avaient été réprimées dans le sang par les pouvoirs publics. Kassym-Jomart Tokaïev en personne avait donné l’ordre de tirer et avait appelé en renfort dans le pays des troupes de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC).
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Lors du référendum, les électeurs pouvaient se prononcer pour ou contre les mesures proposées. Celles-ci comprennent notamment une limitation des pouvoirs du président en faveur du parlement, des modifications touchant la composition du tribunal constitutionnel et les modalités d’élection des députés. En outre, le président n’a plus le droit d’être membre d’un Parti et ses proches parents ne peuvent pas exercer de mandats officiels, comme c’était l’usage sous la mandature du prédécesseur de Kassym-Jomart Tokaïev, Noursoultan Nazarbaïev.
Mais dès la phase préparatoire de ce référendum, des experts avaient dénoncé le caractère insuffisant de ces modifications. Dans son analyse parue dans le média kazakh Vlast, le politologue Dimach Alianov avait par exemple traité les réformes de Kassym-Jomart Tokaïev de superficielles. Selon lui, « les déclarations du président sont vides de tout contenu politique et ne modifieront en rien le système autoritaire mis en place par son prédécesseur. »
Des réformes superficielles
Le média kazakh Masa souligne que ces modifications ne réduisent pas vraiment les pouvoirs du président : « soit il continue de gouverner comme avant, soit il peut nommer les deux présidents des deux grands organes du gouvernement. » Le politologue Dosym Satbaïev considère lui aussi que ces modifications sont de pure façade. Dans une interview à la BBC, il déclare qu’à son avis beaucoup de ces réformes se résument à « présenter sous un nouvel emballage un contenu ancien dont la population ne veut plus. »
Lire aussi sur Novastan : Les manifestations à Almaty, point clé des troubles au Kazakhstan
La journaliste britannique Joanna Lillis, spécialiste du Kazakhstan, se montre quant à elle plus optimiste. « Si ces mesures sont appliquées réellement de façon dynamique, je pense qu’elles peuvent contribuer à changer le Kazakhstan », déclare-t-elle dans une interview à Radio Azattyq, la branche kazakhe du média américain Radio Free Europe. Elle considère toutefois que le président n’a pas le choix, à la suite des événements du janvier sanglant.
Kassym-Jomart Tokaïev a promis de nouvelles mesures mais des promesses comme celles-là, la population en a déjà entendu par le passé. Reste donc à savoir si les réformes proposées répondent réellement aux attentes. Kassym-Jomart Tokaïev doit agir vite pour satisfaire les exigences de la population. L’heure des grandes manifestations dans les rues semble être passée, mais le mécontentement n’a pas disparu.
Un premier pas
Le président est bien conscient que cette révision constitutionnelle n’est qu’un premier pas sur le chemin des réformes. Dans son allocution diffusée le soir du 6 juin 2022, Kassym-Jomart Tokaïev a remercié ses concitoyens pour « ce témoignage de maturité et de responsabilité de la société kazakhe. »
Il a souligné que ces modifications de la constitution n’étaient que le début du processus de changement engagé. « La modernisation en profondeur du pays se poursuivra. La révision constitutionnelle permettra d’améliorer le fonctionnement des institutions, de renforcer les mécanismes de contrôle mutuel et d’équilibre entre les institutions. Des réformes politiques rigoureuses contribueront à développer l’économie et à renforcer les entreprises au niveau national », a-t-il déclaré. Il a affirmé sa volonté de proposer des solutions concrètes d’ici l’ouverture de la session parlementaire en septembre 2022.
Irrégularités et protestations
Malgré cet incontestable résultat, le référendum a été entaché d’irrégularités. Selon Vlast, l’organisation Erkindik Qanaty a constaté des restrictions à la liberté de circulation des observateurs et une violation du secret électoral : une caméra de surveillance aurait été placée dans l’un des isoloirs de bureau de vote. En outre, l’organisation mentionne des cas de vote en masse par la police.La ligue des jeunes électeurs du Service d’information pour la jeunesse du Kazakhstan a en outre constaté qu’en certains cas, des électeurs pouvaient voter sans que leur identité ne soit vérifiée. D’autres glissaient dans l’urne des bulletins des membres de leur famille sans contrôle.
Selon Vlast, une action de protestation du Parti démocratique a eu lieu dans un bureau de vote d’Almaty : les militantes Inga Imanbaï et Aroujane Douïsebaïeva ont inscrit sur leur bulletin de vote la phrase suivante : « Tokaïev, libère Janbolat Mamaï ». Elles ont aussi exigé que Noursoultan Nazarbaïev soit traduit en justice. Janbolat Mamaï est le fondateur du Parti démocratique et le mari d’Inga Imanbaï, arrêté en 2017.
Le fantôme du janvier sanglant sur le référendum
Les militantes Inga Imanbaï et Aroujane Douïsebaïeva ont demandé à ce que les autorités publient les listes des victimes des événements de janvier. Effectivement, le nombre exact des victimes lors des manifestations et des émeutes reste inconnu. Mais ce sujet est éminemment politique. Radio Azattyq avait publié début juin une liste des victimes du janvier sanglant répertoriant tous les blessés ou tués pendant la période du 5 au 8 janvier dans les villes du Kazakhstan.
Pas moins de 188 morts figurent sur cette liste.Apparemment, cela a aussi poussé le président à agir. Comme le rapporte Vlast, Kassym-Jomart Tokaïev a déclaré que les autorités publieraient de leur côté une liste des victimes. Il s’est engagé à ce que tout membre des forces armées ayant pris part à des actions non autorisées contre la population civile soit poursuivi.
Comme pour le processus des réformes, la balle est maintenant dans le camp du président. Grâce au référendum, Kassym-Jomart Tokaïev a pu enregistrer un important regain de confiance de la part de la population. Pour ne pas le perdre et risquer de nouvelles protestations, il lui faut à présent non seulement poursuivre dans la voie des réformes, mais aussi faire définitivement la lumière sur ce qu’il s’est passé durant les événements du janvier sanglant.
Robin Roth
Rédacteur pour Novastan
Traduit de l’allemand par Bruno Cazauran
Édité par Johanna Regnaud
Relu par Emma Jerome
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