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Des chiens errants stérilisés plutôt qu’abattus : une première à Bichkek

L’Association franco-kirghize d’écotourisme et la Fondation Brigitte Bardot ont mis en place un programme de stérilisation des chiens dans la capitale du Kirghizstan. Objectif : parvenir à contrôler la population de chiens qui n’en finit pas de grandir, alors que les autorités tuent parfois ces animaux de manière brutale.

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Un programme de l'Association franco-kirghize d'écotourisme et la Fondation Brigitte Bardot a été lancé à Bichkek pour stériliser les chiens errants plutôt que les tuer.

L’Association franco-kirghize d’écotourisme et la Fondation Brigitte Bardot ont mis en place un programme de stérilisation des chiens dans la capitale du Kirghizstan. Objectif : parvenir à contrôler la population de chiens qui n’en finit pas de grandir, alors que les autorités tuent parfois ces animaux de manière brutale.

Le 26 novembre dernier, une odeur de plein air remplit le couloir de l’université de Manas de Bichkek, la capitale kirghize. D’un côté, un bloc opératoire. De l’autre, une salle d’attente décorée d’empreintes d’animaux. Dans cette faculté vétérinaire de l’établissement turco-kirghiz, quelques chiens errants viennent de se faire stériliser et seront relâchés sur leur territoire deux jours plus tard. C’est une première pour la capitale kirghize, qui préfère d’ordinaire les fusils pour gérer les chiens de rue.

Intitulé Kumayik (« bon chien » en kirghiz), ce programme à l’initiative de l’Association franco-kirghize d’écotourisme (AFKE) et de la Fondation Brigitte Bardot a pour but de proposer une alternative durable, scientifique et non-violente pour contrôler les populations de chiens errants dans la ville. Alors que de nombreux activistes demandent à la mairie de mettre fin à l’abattage des chiens de rue depuis plusieurs années, c’est le premier programme à grande échelle de ce genre au Kirghizstan.

« La première partie consiste à capturer, vacciner, stériliser, identifier et relâcher mille chiens, là où ils ont été attrapés. La prochaine étape, si on arrive à avoir un accord avec les autorités, est de passer à dix mille chiens dans l’année pour avoir un impact fort sur la population de chiens à Bichkek », explique à Novastan Philippe Boizeau, président et co-fondateur de l’AFKE.

Protéger la faune sauvage

Kumayik est né d’un autre programme de l’association franco-kirghize. En 2018, l’AFKE a ouvert un éco-parc en partenariat avec l’Université américaine d’Asie centrale pour protéger 41 hectares de l’immense forêt de Karagachovaya Rocha, un parc unique de la capitale kirghize. « Depuis l’indépendance, le territoire de ce parc est passé de 216 à 123 hectares. Il y a eu beaucoup de coupes d’arbres, de maisons individuelles construites à l’intérieur du parc », se désole Philippe Boizeau. « On a inventorié trente-trois espèces d’arbres et créé un conservatoire. On a planté mille arbres en trois ans, ce qui représente à peu près 9 à 10 % des gros arbres du territoire. Maintenant on a un peu plus de quarante espèces d’arbres, dont sept sont des espèces menacées au Kirghizstan », ajoute le président de l’AFKE.

L’association travaille également pour protéger la faune naturelle du parc, mais celle-ci reste menacée par le braconnage et les chiens errants. « La majorité de nos faisans se sont fait soit prendre par des gens, soit attaquer par des chiens. C’est donc comme ça qu’est née l’idée de ce projet de stérilisation, pour gérer la population de chiens errants dans le parc de manière humaine et éthique », décrit Philippe Boizeau.

Pour ce faire, l’AFKE et la fondation Brigitte Bardot ont organisé une formation de deux semaines pour dix-huit vétérinaires, huit assistants et huit manipulateurs de chien. « On leur a appris une nouvelle technique de stérilisation, pour laquelle l’incision se fait sur le côté, ce qui permet au chien de cicatriser et récupérer en deux jours, au lieu des cinq jours minimum requis après une stérilisation classique. C’est important en termes d’efficacité et de coûts pour des programmes à grande échelle », détaille Philippe Boizeau.

Chaque vétérinaire a pu pratiquer sur deux chiens et suivre la procédure de A à Z, pour apprendre à « réduire au minimum le traumatisme pour ces chiens ».

Près de 11 000 chiens abattus chaque année

Selon le média kirghiz Kaktus Media, environ 10 900 chiens ont été tués à Bichkek en 2020. Une enquête du même média a démontré que l’abattage des chiens était aussi soumis à des schémas de corruption : le nombre de chiens tués serait plus élevé que celui de corps déposés à la déchetterie, des chiens y ont été retrouvés encore en vie, alors que d’autres y ont été amenés éviscérés. Quoi qu’il en soit, les employés de la ville sont payés par tête, c’est-à-dire que leur salaire dépend directement du nombre de chiens abattus.

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Un chien errant dans un parc de la capitale kirghize.

« On avait le même problème dans notre État il y a quinze ans », explique à Novastan l’un des spécialistes en charge de la formation, Tenzing Dorjee Sherpa, venu avec un collègue du Sikkim, un État de l’Est de l’Inde, pour partager son expérience. En 2003, avec la Fondation Brigitte Bardot et Vétérinaires sans Frontières, le docteur Tenzing a lancé un projet de stérilisation au Sikkim, qui a été repris par le gouvernement local six ans plus tard, à partir de 2009.

« Le but était d’attraper les chiens, les stériliser, leur donner un traitement contre les parasites et en même temps les vacciner contre la rage, les soigner en cas de besoin. Mais il faut prévoir du temps avant que les autorités voient le résultat et acceptent de le financer », décrit Tenzing Dorjee Sherpa.

« Stériliser, c’est une manière scientifique et durable de contrôler le nombre de chiens errants, et de garantir le bien-être animal. Les tuer n’est pas une option : ce n’est pas efficace pour réduire le nombre de chiens dans les rues. Et c’est traumatisant pour la société. Imaginez si un petit enfant voit un chien se faire tuer devant lui, comment va-t-il réagir ? » poursuit Tenzing Dorjee Sherpa.

« Abattre les chiens n’est pas efficace »

C’est exactement ce message que les activistes locaux essaient de faire remonter aux autorités kirghizes depuis quelques années, par des pétitions et des manifestations. Comme l’explique la cynologue Tamara Barskaya à Kaktus Media, « abattre les chiens n’est pas efficace. Lorsqu’on commence à tuer les chiens, ils se cachent et se reproduisent encore plus. Ils sentent qu’ils sont au bord de l’extinction et essaient de laisser le plus de petits possibles. Autrement dit, l’abattage des chiens, au contraire, favorise leur procréation ».

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« Tuer les chiens n’est pas une solution », a ajouté Larissa Slobodskaya, directrice de la fondation Dobryie Rouki (« gentilles mains » en russe) qui promeut la protection et l’adoption des chiens errants, lors d’une manifestation en août dernier. Dans une interview donnée au média kirghiz Vechernyi Bichkek, Larissa Slobodskaya a expliqué que le nombre de chiens errants dans la capitale ne diminuait pas malgré les efforts du gouvernement. Par ailleurs, l’image du pays est ternie par l’abattage des chiens. De fait, Philippe Boizeau estime qu’il n’est pas rare pour l’AFKE de recevoir des messages de touristes refusant de venir dans un pays où les chiens errants continuent à être tués.

Sur un plan comptable, le programme de stérilisation a des coûts plus élevés que l’abattage des chiens errants : le gouvernement dépense 270 soms (2,8 euros) pour chaque chien tué, alors qu’une stérilisation coûte entre 1 500 et 3 000 soms (entre 15,6 et 31,2 euros) selon la clinique. Cependant, la stérilisation permettrait de réduire les coûts sur le long terme, comme l’explique le président de l’AFKE, puisqu’une fois les chiens stérilisés, leur nombre diminuerait enfin.

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Philippe Boizeau, directeur de l’AFKE (à droite), remet un cadeau au doyen de la faculté vétérinaire de l’Université de Manas İsmail ŞEN, qui soutient le projet.

« Il n’y a aucun suivi scientifique et rigoureux de l’abattage des chiens, ni de données fiables sur son impact. Cela n’arrête pas les morsures de chien qui restent importantes. Cela ne réduit pas la population de chiens. Et ça peut créer des risques sanitaires, car quand on tue des chiens dans l’environnement, on peut propager des foyers de maladie comme la rage », décrit Philippe Boizeau. En plus d’être stérilisés, les chiens du programme Kumayik seront vaccinés contre la rage, déparasités et soignés en cas de besoin.

Un espoir pour Bichkek

« Je suis heureux d’avoir eu cette opportunité de réaliser ce programme formidable à Bichkek, de parler de bien-être animal, d’aider à mettre fin à l’abattage de chiens. C’est un premier pas pour Bichkek. J’espère que ce sera un message pour le gouvernement. Et j’espère que le gouvernement va passer une loi pour défendre le droit des animaux et bannir les violences faites à leur égard », a affirmé Tenzing Dorjee Sherpa.

De son côté, Philippe Boizeau reconnaît que le programme prendra du temps avant de montrer son efficacité, mais il sait qu’il apportera un grand nombre de bénéfices au Kirghizstan. En plus de gérer le problème des chiens errants dans les villes et de prévenir la propagation de maladies, « ce programme permettra d’impliquer et de souder la communauté », affirme-t-il. Le projet comprend aussi un volet éducatif, avec des brochures distribuées aux plus jeunes dans les écoles pour les sensibiliser aux bons comportements à adopter avec les animaux, ainsi qu’une responsabilisation des propriétaires de chiens, qui ne stérilisent et identifient leurs compagnons que rarement dans le pays.

« Un projet unique au Kirghizstan »

« La ville de Bichkek n’arrive pas à gérer le problème des chiens. Il faut aider, montrer à Bichkek comment travailler avec les chiens, et je pense qu’après cette méthode sera adoptée par la ville », décrit à Novastan Mourat, administrateur de l’éco-parc. Lui aussi a suivi la formation et sera chargé d’attraper les chiens « de manière humaine et non-violente», comme il le précise.

Lors de la cérémonie de remise des diplômes, le 26 novembre dernier, les étudiants se montrent enthousiasmés par l’idée d’aider les animaux de la ville. Kiril, vétérinaire depuis deux ans, se réjouit « d’avoir appris une nouvelle technique de stérilisation »« C’est un projet unique au Kirghizstan. Si le gouvernement adopte ce programme, on sera heureux d’y contribuer », ajoute-il.

À ses côtés, Victoria, vétérinaire avec 25 ans d’expérience, approuve : elle espère que la stérilisation sera rapidement implémentée par les autorités locales. « Cette technique de stérilisation est plus simple pour les animaux qui sont peu sociaux, car elle cicatrise plus vite, et elle simplifiera les soins après l’opération dans les centres de soins », décrit-elle, en ajoutant que tuer les chiens ne résout pas le problème. « La stérilisation est utilisée partout dans le monde pour contrôler les populations de chiens errants. C’est une manière plus humaine de traiter les animaux. Et c’est indispensable. Tous les chiots qui naissent dans la rue sont condamnés : ils meurent de maladies, de traumatismes, de faim, et ça nous bouleverse à chaque fois que l’on voit ça ».

Pour que la stérilisation devienne durable, ce programme devra être repris par la mairie de Bichkek. L’AFKE et la Fondation Brigitte Bardot sont actuellement en discussion avec les autorités locales pour les convaincre de financer le projet sur le long terme.

Marion Biremon Rédactrice pour Novastan à Bichkek

Relu par Baptiste Longère

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