Le film humoristique tadjik Kelinposho, sorti le 31 décembre 2020, a rencontré un fort succès. Les producteurs et les acteurs commentent sur le retentissement de la comédie et les thèmes qu’elle aborde.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 17 février 2021 par le média indépendant Asia Plus.
Les investisseurs ne croyaient pas au projet « Kelinposho », pouvant être traduit par belle-fille. Il a été mis en œuvre par pur enthousiasme et les acteurs ne bénéficiaient d’aucune rémunération.
Les créateurs du projet et l’actrice principale ont expliqué pourquoi cette comédie d’une heure et demie, dans laquelle les personnages parlent dans le dialecte local de Khodjent, dans le nord du Tadjikistan, est devenue si populaire, au point que les jeunes Tadjikes veulent ressembler au personnage principal.
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Le 31 décembre 2020, la comédie familiale Kelinposho a été diffusée sur YouTube et a obtenu un nombre de vues record. Elle a été visionnée par pas moins d’un million d’utilisateurs en l’espace de trois semaines.
Ce sont les organisateurs du Tajik Show, un projet de comédie pour les jeunes basé à Khodjent, qui ont créé cette œuvre, celui-ci est notamment connu pour ses clips et sketchs comiques diffusés sur une chaine YouTube comptant plus de 40 000 abonnés.
Un enthousiasme pur et simple
Le film se déroule à Khodjent. Une jeune femme, Nargis, se marie et emménage dans la maison de son époux après son mariage. Arrivée là-bas, elle doit faire face au personnage traditionnelle de la belle-mère dédaigneuse à son égard.
Le mari, bien qu’étant amoureux de sa femme, essaie de ne pas contredire sa mère, trouvant un équilibre entre les deux camps. La jeune femme finit toutefois par ne plus supporter la pression et le harcèlement incessant de sa belle-mère et rentre chez elle. La belle-mère, se rendant compte de son erreur, trouve un moyen insolite de faire revenir sa belle-fille dans la maison.
Cette comédie est le fruit d’un travail d’équipe entre les résidents du Tadjik Show, des acteurs professionnels et amateurs. La belle-mère est jouée par l’actrice Zamiza Youldocheva et le beau-père par l’acteur et comédien Karimjon Gafourov. En plus d’être l’un des créateurs du projet, Daler Barotov a également été caméraman et monteur.
« Quand le scénario a été écrit, le titre était différent », racontent les membres du Tajik Show. « À l’époque, l’idée principale tournait autour de l’image de la belle-mère. Mais par la suite, en concertation avec le département des affaires féminines et familiales et le département de la culture, il a été décidé de modifier quelque peu l’angle de vue. À travers le prisme de l’humour, la comédie montre la relation traditionnelle entre belle-fille et belle-mère, qui rend parfois la vie insupportable aux jeunes mariés », explique l’équipe.
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Selon les réalisateurs, le scénario du film a changé en fonction des circonstances. Par exemple, la conversation téléphonique entre Nargis et sa mère, durant laquelle elle se plaint de ses mésaventures dans sa nouvelle famille, a été improvisée au moment du tournage.
À ce moment dans le film, la jeune fille veut tout laisser tomber et s’enfuir, mais sa mère lui conseille d’être patiente et de ne pas faire d’erreur hâtive. Cette scène, pourtant courte, a suscité une grande réaction du public. Après tout, la vie future des jeunes belles-filles dépend souvent des paroles et conseils donnés par leur mère.
« D’une manière générale, Kelinposho a été à l’origine conçu comme un projet humoristique », expliquent les créateurs. « Tous les frais de tournage ont été amicalement couverts par nos sponsors et partenaires habituels. Nous avons sollicité le soutien d’autres organisations, mais personne ne croyait en la réussite du projet. Le résultat a pourtant dépassé toutes les attentes, et les risques se sont montrés bénéfiques », se réjouit l’équipe.
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« Désormais, notre projet peut être qualifié de comédie à part entière. Pour être honnête, les acteurs ont tous travaillé par pure envie. Nos amis nous ont fourni des lieux de tournage, nous avons fait notre propre maquillage et nos propres costumes. Personne n’a gagné d’argent, mais nous avons compris que nous pouvions nous fixer des tâches sérieuses et compliquées liées à la réalisation de films professionnels. C’est devenu une sorte d’épreuve, de test de nos capacités », déclare l’équipe.
Une carrière d’actrice parsemée d’embûches
Diya, 19 ans, n’est pas seulement l’interprète du rôle principal de la belle-fille, elle est également coscénariste du projet. Avec Kelinposho, elle envisage de donner une tournure plus professionnelle à sa carrière artistique.
Avant cela, Diya était déjà connue des téléspectateurs grâce au projet « Dougonaho », pouvant être traduit par copines. Ce film soulevait diverses questions sociales à travers de courts clips humoristiques. Après avoir terminé son contrat, elle est devenue membre du Tajik Show et a été choisie sans hésitation pour jouer le rôle de la belle-fille.
La jeune femme a commencé sa carrière d’actrice à l’âge de 15 ans. Créative depuis l’enfance, elle a également fréquenté une école de musique. Après avoir passé neuf ans là-bas, elle est entrée à l’école d’art de Sodirhon Hafiz à Khodjent.
Grâce à ses talents de chanteuse, elle est engagée professionnellement pour chanter le makom, musique classique d’origine ouzbèke, au niveau national. Elle envisage même d’enregistrer certaines de ses chansons, mais elle est maintenant plongée dans le métier d’actrice.
Diya est soutenue par sa mère dans tous ses projets. En revanche, elle ne l’est pas par son père et son frère qui ont toujours été contre sa carrière artistique, considérant cela comme une activité peu sérieuse. Son frère ne lui permettait pas de fréquenter l’école de musique, c’est sa mère qui l’y emmenait secrètement. Constatant le grand potentiel de sa fille, elle souhaitait que Diya puisse réaliser son rêve d’enfance, jusque-là inaccessible, de devenir actrice.
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Le père et le frère de Diya étaient également opposés à sa participation au projet Dugonaho, et, plus tard, au film Kelinposho. Cela n’a rien de surprenant, puisque le projet satirique de la jeune femme a suscité des réactions mitigées dans la société conservatrice de Khodjent. Certains ont soutenu le projet et demandé une suite, mais d’autres l’ont critiqué, condamné et écrit des commentaires virulents à son sujet.
« J’avais l’habitude de m’en inquiéter et de prendre à cœur chaque commentaire négatif. Maintenant, j’ai développé une immunité à ce genre de remarques. Chacun a droit à son point de vue. Je fais simplement ce que j’aime faire. L’attitude de mon frère et de mon père a complètement changé après la première de Kelinposho. Je rajouterai même qu’ils sont fiers de moi à présent. Maintenant, mon frère me demande pour être le premier à recevoir mes nouvelles vidéos et chansons. Et mon père dit haut et fort à tout le monde que sa fille joue un rôle principal et transporte partout une clé USB avec mes comédies et mes musiques », s’amuse la jeune actrice.
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La jeune femme considère que ce rôle de belle-fille obligeante et modeste est complètement opposé aux images que les spectateurs ont l’habitude de voir en elle. Elle a surtout été filmée dans le rôle de filles espiègles et de garçonnes.
Peut-être que le fait que cette jeune femme n’ait pas peur d’avoir l’air drôle à la caméra, qu’elle fasse des grimaces et qu’elle tombe, a apporté un succès à l’image de la belle-fille classique.
« La réaction du public a été inattendue pour nous, dans le bon sens du terme, et nous avons compris que nous allions dans la bonne direction. Les gens nous écrivent pour nous demander une suite à cette comédie. Tout cela nous incite à travailler d’avantage », déclare Diya.
« Le film est devenu le miroir de la vie de nombreux spectateurs et des femmes nous écrivent pour nous en parler. Il a montré tous les défauts de la pensée stéréotypée des belles-mères envers leurs belles-filles, de la jalousie malsaine qu’elles ont par rapport à leurs fils, de la dépendance à cette opinion publique », affirme la jeune femme.
Une possible suite à la comédie
Cette comédie est devenue extrêmement populaire, et les personnages principaux sont tellement aimés du public qu’on reconnait les acteurs dans la rue. Selon les créateurs du projet, les plus grands fans sont les enfants. Ils se précipitent pour demander un autographe et à être pris en photo.
« Certaines filles disent qu’elles rêvent de devenir actrice et qu’elles pourraient jouer aussi bien que moi. Des mères me demandent de bien vouloir faire attention aux talents de comédienne de leurs filles et me demandent de les prendre dans l’équipe. Bien sûr, tout cela ne peut que me rendre heureuse. C’est bien d’être populaire, mais je ne prends pas la grosse tête », rigole Diya.
En ce moment, les producteurs du Tajik Show travaillent sur le script de la deuxième partie de Kelinposho, mais ne veulent pas encore révéler plus de détails.
« Il faut que ça soit une surprise pour le public », disent-ils. « Disons simplement qu’il s’agira d’une bonne expérience et d’un nouveau défi pour nous tous. Nous ferons en sorte que le travail des acteurs soit rémunéré. Après avoir écrit le scénario, nous chercherons des sponsors », affirment les producteurs.
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L’équipe prévoit de mettre en lumière d’autres problèmes familiaux. Cependant, étant donné que leur propre expérience familiale ne suffit pas à révéler l’essence de sujets aussi délicats, ils coopèrent étroitement avec les agences et institutions concernées, et communiquent également avec des experts et des spécialistes.
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« L’essentiel est de ne pas se précipiter. Nous sommes conscients de nos responsabilités. Les adultes ne sont pas notre seul public, des enfants nous regardent aussi, c’est pourquoi nous faisons très attention aux sujets de nos futurs projets », expliquent les comédiens.
« En outre, nous voulons briser les idées préconçues sur le choix de devenir actrice pour une fille. En réalité, tout dépend de la personne. L’essentiel c’est le talent, l’envie de se développer, de travailler dur et de poursuivre ses rêves », déclarent-ils.
Par Aliya Khamidullina pour Asia Plus
Traduit du russe par Salomé De Baets
Édité par Léonard Dillies
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