Un morceau du Kremlin, le Palais de la République reconstruit et la succursale McDonald’s à la place d’un cinéma d’époque… Le site d’informations kazakh The Village est allé à la rencontre d’architectes et des résident’habitants en vue de recueillir leur avis sur les bâtiments les plus impopulaires d’Almaty, la capitale économique du Kazakhstan.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 19 juin 2019 par le média kazakh The Village.
Le début du développement architectural d’Almaty est communément associé à l’année 1927. C’est à ce moment-là qu’a eu lieu le transfert de la capitale de la République soviétique socialiste kazakhe de la ville de Kyzylorda à Alma-Ata, ancien nom de l’actuelle Almaty.
Depuis, la capitale du sud a subi de nombreux changements et est passée d’une forteresse militaire à une métropole majeure, un centre financier, économique et culturel du pays. Aujourd’hui, l’image de la ville combine les centres économiques modernes et la postmodernité soviétique. Cependant, ce projet architectural est considéré comme infructueux par certains architectes et résidents de la ville.
L’architecture de la ville est très variée, bien qu’elle ait été créée en un temps relativement court. Les bâtiments qui ont plus de cent ans ne sont pas si nombreux. Ils ont été affectés par les catastrophes mondiales du début du siècle et le développement soviétique. La plupart des bâtiments d’Almaty ont été construits lorsque la ville était la plus importante de la République. Ainsi, ils sont façonnés par la fin de la période soviétique, une tradition architecturale qui s’est perdue lors de la période de transition.
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« Un architecte ne peut pas simplement exprimer une opinion sur un bâtiment selon les catégories J’aime / Je n’aime pas. Un architecte se préoccupe davantage de savoir si le bâtiment est pertinent ou non. Reflète-t-il, par exemple, l’histoire, le contexte politique et urbain ou est-il le résultat de décisions architecturales particulières ? Ceci est crucial pour les architectes », décrit l’architecte kazakh Adil Ajiev.
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« L’architecture des vingt dernières années n’est pas très différente de l’architecture mondiale. Elle est tout à fait utilitaire si l’on s’en tient à Almaty. Il n’y a pas eu de mégaprojets qui ont contribué à la préservation du centre historique de la ville », estime Adil Ajiev, qui décrit les bâtiments « problématiques » à ses yeux.
Le centre d’affaires Nurly Tau
« Dans sa conception, Nurly Tau (visible ci-dessus, comme image de Une, ndlr) permet une concentration importante de bureaux et de business ainsi qu’un bon emplacement central, mais la zone piétonne laisse à désirer. Toute la zone est remplie de voitures qui seraient mieux loties sous terre. L’image architecturale, conçue comme un sommet de montagne, est difficile à reconnaître en raison de la mauvaise qualité du concept architectural et des matériaux », décrit Adil Ajiev.
Les nouveaux complexes résidentiels
« Le marché détermine les conditions de conception de ces nouveaux ensembles avec des coûts minimaux et des avantages maximaux. En conséquence, les bâtiments des nouveaux complexes résidentiels occupent toute la propriété, la cour reste nue car les arbres ne peuvent pas pousser au-dessus du parking souterrain et les sentiers piétonniers sont étroits et peu adaptés », déplore Adil Ajiev.
Les centres commerciaux démesurés
« Les grands centres commerciaux se multiplient dans les rues de la ville, rues qui se limitent de plus en plus à une fonction de zone de transit. Les centres commerciaux offrent à la fois des activités commerciales, ainsi qu’un large éventail de divertissements », explique Adil Ajiev.
Un McDonald’s a remplacé le cinéma Alatau
Les critiques sont partagées par Aïdyn Akbaï, également architecte kazakh. « À mon avis, non seulement certains bâtiments devraient être démolis, mais aussi certaines parties de la ville dont le potentiel pourrait être mieux utilisé », décrit-il.
Parmi eux, le McDonald’s de la ville. « Ce bâtiment ne convient tout simplement pas à la vieille ville. Peut-être que je ne m’y habituerai jamais car je suis né à Almaty. L’endroit lui-même est unique à bien des égards : le bâtiment se trouve à l’intersection de plusieurs rues importantes et est situé entre deux grands parcs. Il y a également une zone piétonne le long de la propriété », explique Aïdyn Akbaï.
« J’étais en faveur de la préservation du bâtiment d’origine, qui hébergeait le cinéma Alatau. Mais, même en admettant qu’un tel choix n’ait pas été suivi, nous pourrions créer au moins un objet avec un concept architectural unique, car le lieu lui-même y oblige. Il existe encore des exemples de bâtiments McDonald’s inhabituels un peu partout dans le monde. En revanche, c’est un bâtiment sans âme qui a été installé à Almaty », déplore Aïdyn Akbaï.
Les bâtiments résidentiels construits dans le cadre de programmes gouvernementaux
« Ces maisons sont construites selon des conceptions standardisées post-soviétiques modernes, mais elles sont encore pires que les maisons à façades soviétiques. Comme ces bâtiments sont liés au développement de masse de la ville, ils influencent fortement l’image de cette dernière. Ce sont des façades avec du plâtre mural de courte durée, des matériaux bon marché pour les clôtures de balcon, les fenêtres, les portes, etc. Si les architectes de l’époque soviétique essayaient d’orner leurs constructions d’éléments originaux, les tentatives de rendre l’architecture belle ont été ici abandonnées », explique Aïdyn Akbaï.
« Les habitants de ces nouveaux bâtiments résidentiels ne se rendent pas compte que ces économies douteuses sur pratiquement tout entraînent en fait des coûts d’exploitation beaucoup plus élevés. Il est impossible de démolir ces lotissements, mais tôt ou tard chaque résident devra dépenser de l’argent pour leur modernisation et leur maintien », se lamente Aïdyn Akbaï.
Le Palais de la République
« Le Palais de la République est un des plus grands gâchis architecturaux de la ville. Peut-être que tous les habitants d’Almaty sont d’accord sur ce point. Le bâtiment a été inclus dans la liste des monuments de la République, mais a été reconstruit de façon « barbare ». Je pense qu’il est nécessaire de démolir la nouvelle façade et l’intérieur et de redonner au bâtiment son aspect historique. Que cela soit une leçon pour nous tous », affirme Aïdyn Akbaï.
L’ensemble architectural du nouvel aéroport d’Almaty
« L’aéroport d’Almaty est l’un des points d’entrée de la plus grande ville du Kazakhstan et le terminal est la première chose que les visiteurs voient en arrivant. Le premier terminal pour passagers a été construit en 1947 et il est toujours en bon état. Le deuxième bâtiment a été construit en 1973, mais il a brûlé en 1999. Un nouveau terminal a été construit sur le site du terminal incendié. C’est le bâtiment que nous voyons aujourd’hui », décrit Aïdyn Akbaï.
« Tout d’abord, je voudrais signaler le bâtiment incompréhensible à plusieurs étages qui se trouve à gauche de l’entrée du parvis. Il n’est pas clair s’il sera mis en service ou non, mais il est évident qu’il n’est absolument pas nécessaire dans ce complexe », explique Aïdyn Akbaï.
« Au fil du temps, il est devenu évident que le bâtiment construit en 1999 n’était pas en mesure de faire face au volume de passagers et la question de l’expansion a été soulevée à maintes reprises. Des tentatives ont été proposées au détriment d’un monument architectural à proximité. Je pense que c’est fondamentalement une mauvaise idée. Il est soit nécessaire de déplacer l’ensemble de l’aéroport, soit de l’agrandir en utilisant d’autres zones adjacentes. Par exemple, il y a un atelier de réparation d’hélicoptères dans le nord du terminal qui n’est pas entièrement utilisé, et certains de ses ateliers n’ont même pas été achevés », critique Aïdyn Akbaï.
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« Je pense que le complexe aéroportuaire peut être déplacé à un autre endroit dans des conditions favorables, et des espaces temporaires pour les passagers peuvent facilement être construits dans ses locaux lors de la rénovation du terminal existant. Il en résulterait un ensemble sur trois blocs. Au milieu se trouverait le premier terminal, qui est un monument architectural, et deux nouveaux terminaux, qui seraient placés à droite et à gauche de celui-ci. Je proposerais également d’organiser un concours d’architecture pour cette rénovation afin que les meilleures propositions d’aménagement puissent rivaliser », estime Aïdyn Akbaï.
Le « bazar vert »
« Là aussi, il s’agit de restaurer l’aspect historique d’origine du bâtiment principal et de la zone de vente de produits ménagers. Les bâtiments sans visage et les galeries marchandes autour du bâtiment principal doivent être démolis », insiste Aïdyn Akbaï. « À leur place, il faut insuffler une nouvelle vie à ce complexe grâce à une architecture de haute qualité, car ce lieu a un potentiel touristique, social et économique très élevé. Ce serait fantastique de pouvoir faire revivre l’atmosphère d’un bazar oriental du temps de Route de la Soie. De plus, l’une des rues adjacentes est la rue Jibek Joly (« Route de la Soie » en kazakh, ndlr). Il est nécessaire de mettre en avant les particularités de ce lieu et d’ajouter des éléments d’histoire afin de créer un scénario fascinant pour les touristes et les citoyens », propose Aïdyn Akbaï.
La construction anarchique de maisons individuelles
« En dehors de la petite proportion de belles maisons privées, la ville fait face à une anarchie absolue. La plupart des maisons individuelles sont des bâtiments sombres et délabrés sans aucun signe d’architecture. Il existe également des clôtures de différentes couleurs, hauteurs et matériaux autour des bâtiments. Pour défendre les résidents de ces habitations, il faut dire qu’une grande partie du problème vient de l’état de notre économie. Les gens n’ont tout simplement pas les moyens d’entretenir et de construire de belles maisons. Il est très difficile de trouver une issue à cette situation. Le plan directeur de la ville prévoit une démolition presque complète des maisons individuelles. Mais quand cela arrivera-t-il ? Cela prendra peut-être plusieurs décennies », décrit Aïdyn Akbaï.
« Il est évident que ces quartiers déforment énormément l’image de la ville. Une sorte de style architectural plus uniformisé devrait être développé pour ces parties de la ville et les clôtures faisant face aux routes devraient être supprimées. Nous devrions peut-être créer des incitatifs fiscaux pour encourager les gens à changer. Ils doivent comprendre que notre ville, quand elle est belle, a un effet bénéfique sur tous les aspects de la vie, dont le plus important est la santé du citoyen », conclut Aïdyn Akbaï.
Erkejan, habitante d’Almaty
Ces avis de professionnels sont confirmés par certains habitants de la ville, consultés par The Village. « Pour un œil inexpérimenté, tout va bien à Almaty. Mais, en regardant d’un peu plus près, vous pouvez toujours trouver des anomalies. Par exemple, je n’aime pas le bâtiment du théâtre de marionnettes. Le bâtiment doté d’une histoire riche souffre de son apparence, de sa couleur orange terne et de son aspect poussiéreux », explique Erkejan.
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« La salle de concert Kazakhkontsert est, en revanche, un bâtiment d’une beauté immaculée, construit entièrement en granit rouge. Mais un tel morceau de Kremlin à Almaty peut prêter à confusion », nuance l’habitante.
« L’architecture de la ville est unique », estime de son côté Amir, un autre habitant. « À mon avis, la vieille ville se mélange harmonieusement avec les bâtiments modernes, mais il y a aussi des inconvénients. Je n’aime pas la zone autour du lac Saïran car la région n’est ni particulièrement confortable, ni charmante. Les lotissements comme Kausar ou Altyn Boulak 2 sont froids et plutôt laids. Je peux également nommer des centres commerciaux et de divertissement comme Passaj. Et, bien sûr, je trouve que le Palais de la République reconstruit est très laid. Les matériaux bon marché utilisés pour le revêtement des façades contribuent à la simplicité excessive de ces bâtiments en général », conclut-il.
Gaukhar Zylpikhar
Journaliste pour The Village
Traduit du russe par Jérémy Lonjon
Edité par Etienne Combier
Corrigé par Aline Simonneau
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