Un verre de vodka locale, quelques fruits secs et de bons fruits frais : voilà comment l’on accueille traditionnellement les amis étrangers au Tadjikistan. La vodka tadjike est réputée pour sa qualité, due à la pureté de l'eau. On s’étonne toutefois de constater que ce produit n’est pas destiné à l’exportation, alors qu’à une époque les ventes à l’étranger de vin et de vodka aient rapporté des revenus considérables.
Novastan reprend et traduit un article initialement publié par le média tadjik en ligne, Asia-Plus.
La production de vodka au Tadjikistan date pratiquement du début de l’Union soviétique dans les années 1920. Deux grandes distilleries avaient été construites, à Douchanbé et à Léninabad (actuellement Khodjent). Si elles s’employaient essentiellement à la production de vin, certains ateliers de production de vodka existaient également. Ces deux distilleries assuraient toute la consommation nationale et une partie de la production était acheminée vers les républiques voisines.
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« Entre les années 1960 et la fin des années 1980, un million de décalitres de vodka était produit chaque année au Tadjikistan », explique Ikrom Kourbanov, ancien ministre de l'Industrie alimentaire du pays. « Les marques de vodka populaires en Union soviétique, telles que Stolitchnaïa et Moskovskaïa, étaient distillées en priorité. La qualité de la vodka était soumise à un contrôle tout particulier. Les autorités de la République en faisaient un point d’honneur, car les revenus de cette production, combinée à ceux des usines de tabac et des brasseries, représentaient près de 30% du budget du Tadjikistan. »
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Ikrom Kourbanov indique notamment que la vodka au Tadjikistan était alors principalement distillée à partir de céréales ou de pommes de terre : « Le grain était plus abordable. Nous utilisions du froment, à partir duquel nous obtenions un alcool de très bonne facture. La seule distillerie pour cela était située à Isfara. En 1959, après avoir été diplômé de l'Institut technologique d'Industrie alimentaire de Léningrad (actuellement Saint-Pétersbourg), j'ai débuté ma carrière comme chef de poste dans cette usine. Notre production était reconnue et appréciée lors d'expositions internationales », explique-t-il.
L'eau, principal secret de qualité
Pour Ikrom Kourbanov, l'un des éléments essentiels du succès à l’époque de l'industrie de la vodka était l'attention accordée au recrutement du personnel. Il estime que certains producteurs actuels n'ont aucune expérience dans ce domaine, car ils n'ont jamais participé, à quelques échelons que ce soit, à la production.
« Aujourd’hui, on met la priorité sur l’esthétique des bouteilles et des étiquettes au détriment de la qualité du produit. Certains fabricants de vodka utilisent du maïs dans leur production. Certes, le maïs produit 10 à 15 % d’alcool de plus que le blé, mais la qualité en pâtit », explique l’ancien expert.
Malgré les problèmes de cette industrie, certains produits se distinguent par leur qualité sur le marché, jusqu’à faire concurrence aux grandes marques russes.
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Selon Ikrom Kourbanov, conformément aux normes, la dureté de l'eau utilisée dans la production de vodka ne doit pas dépasser 3,5 milliéquivalents par litre.
« Lorsque l'eau qu’ils emploient ne respecte pas ces exigences, de nombreux producteurs de vodka obtiennent ce résultat de manière artificielle, c'est-à-dire en utilisant un adoucisseur. Cette technique abîme fortement la molécule d'eau, ce qui ne peut qu'affecter la qualité du produit », explique-t-il.
Pour Ikrom Kourbanov, le secret de l’excellence de la vodka tadjike traditionnelle est donc simple : la qualité de l’eau.
« Le Tadjikistan est un pays montagneux, riche en eau de glaciers », explique-t-il. « L’eau de fonte et l'alcool à 96,2°, très pur, sont les principaux composants de la vodka tadjike. Il faut se lever tôt pour trouver de l'eau aussi pure qu’ici. Outre l'eau de fonte, nos producteurs utilisent de l'eau de source provenant de régions montagneuses, très proche de l'eau de fonte, pour développer leur savoir-faire. »
Comment exporter cette production ?
Depuis les années 1990, la baisse de la demande, due à la montée de la religion dans la société et à différents problèmes économiques, a considérablement réduit la production des distilleries. Ainsi, en 2018, 513 490 litres de vodka et autres liqueurs seulement, ont été produits, ce qui est loin de suffire pour le marché intérieur.
« Aujourd’hui, à cause de cette situation, les magasins sont presque uniquement remplis de vodka importée, alors que la capacité de production du pays permettrait d’alimenter non seulement le marché intérieur, mais d'en exporter en plus une partie », souligne Ikrom Kourbanov.
D’après lui, le manque de prêts à des taux attractifs constitue l'un des obstacles majeurs au développement de cette industrie. Il faudrait allouer des taux préférentiels de 2 à 6 % pour construire de nouvelles infrastructures et moderniser les installations existantes.
Ainsi, en Ouzbékistan, la production de vin et de liqueurs a augmenté en peu de temps grâce à l'octroi de prêts préférentiels à 6 %. Les producteurs ont ainsi pu se regrouper au sein d’une société de participation agro-industrielle puissante, qui comprend distilleries, ateliers de production de vin et de vodka, entreprises de bouteilles en verre et autres.
« Les prêts proposés par les banques tadjikes varient entre 28% et 35% par an, ce qui ne permet aucun développement. Il est toutefois clair qu’à l’heure actuelle, les banques n'ont pas les ressources nécessaires pour proposer des crédits intéressants et à long terme », précise Ikrom Kourbanov. « Elles doivent établir de nouvelles méthodes de gestion des risques et des politiques de crédit pour soutenir le secteur et en tirer profit. Soutenez les producteurs, procurez-leur des prêts attractifs saisonniers et des prêts de crédit-bail pour moderniser leur production et ils se chargeront du reste : établir des réseaux, trouver des acquéreurs à l’étranger. Pour survivre, cessons les importations, respectons la balance commerciale et augmentons les exportations. Cet objectif est réalisable vu le potentiel de notre pays, les conditions climatiques extraordinaires et la volonté de notre population. »
Traduit du russe par Pierre-François Hubert
Edité par la rédaction