L’ancien comptable de la Banque centrale du Turkménistan, Mourad Garabaïev, a été accusé de détournement de fonds à grande échelle. Il témoigne de son histoire pour la première fois en mars dernier, en prenant part au podcast « Le Mot Juste » sur MBH-Media. Novastan reprend et traduit ici un article publié le 18 mars 2021 par le média Turkmen News. Mourad Garabaïev, ancien comptable, a été accusé dans l’affaire du « détournement des millions de Turkmenbachy », nom attribué au scandale par les médias en 2002. Les autorités turkmènes ont découvert qu’un total de 41 millions de dollars manquaient sur les comptes de la Banque centrale turkmène (CBT) et de la Deustche Bank. Les coupables ont utilisé des stratagèmes complexes se traduisant par divers transferts de fonds qui semblaient légaux. D’après les informations relatées par les médias Gazeta.ru et Eurasianet, les transferts ont été effectués via le système de paiement Swift. Ils provenaient d’un compte dans une banque allemande appartenant à la Banque centrale du Turkménistan, et ils ont été envoyés vers un compte ouvert par un citoyen vietnamien dans une banque de Moscou.
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Le détournement de fonds a été attribué principalement à Arslan Kakaïev, un ancien employé du département des systèmes de paiements bancaires internationaux de la CBT, et à Mourad Garabaïev. Outre les deux hommes, le nombre d’accusés comprend plusieurs représentants du secteur bancaire russe : Aïsoltan Niyazov, Saïely Bourchtein, Dmitri Leous et Yevgeny Objirov.
La mise en accusation
Dans le podcast, Mourad Garabaïev explique qu’au début du mois de septembre 2002, il a reçu des appels téléphoniques de ses proches au Turkménistan, se plaignant qu’ils étaient convoqués pour un interrogatoire. Il leur a demandé de transmettre aux responsables de la sécurité qu’il était prêt à les rencontrer à Moscou pour répondre à leurs questions. Il est alors rapidement convoqué pour une conversation avec les autorités russes. Un représentant des structures de pouvoir turkmènes était présent lors de cette entrevue. Ce dernier a demandé à Mourad Garabaïev s’il avait communiqué avec Arslan Kakaïev. Mourad Garabaïev a répondu qu’il le connaissait, mais qu’il n’était au courant d’aucun crime. Environ une semaine plus tard, il a de nouveau été convoqué pour un interrogatoire. Dès qu’il a quitté son appartement, il a été placé en détention et informé le 24 octobre 2002 que la décision concernant son extradition avait été prise. Il a été extradé le même jour. Lire aussi sur Novastan : L’affaire Goulnara Karimova portée devant les Nations unies Selon Mourad Garabaïev, dans la prison où il a été amené au Turkménistan, les autorités lui ont présenté l’affaire de détournement de fonds. Néanmoins, en raison de sa mauvaise connaissance de la langue turkmène, il ne pouvait pas comprendre les documents qui lui avaient été transmis. De plus, les autorités ont refusé de lui fournir un interprète, sous prétexte qu’il était turkmène ethnique. Mourad Garabaïev s’attendait à être condamné dans un futur proche.
La défense
Mourad Garabaïev a ensuite été défendu par l’avocate Anna Stavitskaïa, qui a également témoigné dans le podcast « Le Mot Juste ». Maître Stavitskaïa a déclaré qu’au départ, elle avait convaincu Mourad Garabaïev que son extradition était impossible car il avait la nationalité russe depuis 2000. Le fait que son client ait été emmené au Turkménistan a été une surprise totale pour l’avocate. Maître Stavitskaïa a déclaré qu’elle avait alors tenté de faire revenir son client en Russie mais que le tribunal municipal de Moscou avait refusé d’examiner l’appel de l’extradition, sous prétexte que Mourad Garabaïev avait déjà été emmené au Turkménistan et ne pouvait pas être présent au tribunal. A posteriori, la raison de son extradition a pourtant été découverte : des documents relatifs à son divorce avaient été falsifiés. Selon ceux-ci, l’ancien comptable aurait obtenu la nationalité russe sur la base de ce mariage et donc, à cause du divorce, l’aurait ensuite perdue. En réalité, au moment de l’arrestation, le couple était toujours marié, et Anna Stavitskaïa a été engagée par l’épouse de Mourad Garabaïev. L’avocate a déposé une plainte auprès de la Cour suprême de la Fédération de Russie et de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Elle a demandé à cette dernière d’appliquer l’article 3 de la Convention, selon laquelle des mesures provisoires sont appliquées lorsqu’il existe un danger pour la vie humaine. La CEDH a exigé que les autorités renvoient Mourad Garabaïev en Russie. Lire aussi sur Novastan : La condamnation du journaliste tadjik Khaïroullo Mirsaïdov fait réagir à l’international La demande d’extradition a été immédiatement accordée par le tribunal de la ville de Moscou. Rapidement, Mourad Garabaïev a été renvoyé dans la capitale russe. C’est le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Vladimir Rouchaïlo, qui est personnellement venu le chercher. Alors qu’ils s’envolaient pour la Russie, le secrétaire a effrayé Mourad Garabaïev en prétendant qu’il était accusé de terrorisme.
Le dénouement
Finalement, aucune des accusations proférées par Vladimir Rouchaïlo n’a été retenue, et l’affaire de détournement de fonds s’est soldée par un acquittement lors de son procès à Moscou en 2004. La CDEH lui a même accordé une indemnisation de 20 000 euros. Mourad Garabaïev vit toujours à Moscou. Dmitri Leous, l’ancien président du Conseil d’administration de la Banque de dépôt russe, a également été jugé à Moscou en 2004. Lui, au contraire de Mourad Garabaïev, a été condamné à quatre ans de prison. Pendant plusieurs années, il est resté la seule personne condamnée pour cette affaire. Néanmoins, le vol a provoqué la colère du président turkmène Saparmourat Niyazov. Le directeur de la Banque centrale, Imamdourdy Kandymov, a été démis de ses fonctions et placé en détention. La télévision turkmène l’a montré en pleurs devant le président du pays. Dès la première phase de l’enquête, Yevgeny Objirov a activement coopéré avec les enquêteurs et est passé du statut d’accusé à celui de témoin. En 2009, il a été déclaré qu’il n’avait aucune connaissance du crime et qu’il était utilisé par ses complices comme « couverture ». Les poursuites pénales à son encontre ont été abandonnées.
Les rebondissements
En 2007, les autres accusés ont à nouveau été mis en cause dans le cadre du meurtre du vice-président de la Banque Centrale de Russie, Andreï Kozlov. Les enquêteurs ont mené une investigation sur les banques auxquelles Andreï Kozlov avait retiré leur licence et ils ont trouvé des traces de retrait d’argent de la Banque centrale du Turkménistan. Au départ, il a même été supposé que le « gang turkmène » était impliqué dans le meurtre d’Andreï Kozlov, mais cette théorie a été abandonnée et l’organisation n’a été accusée que de fraude en 2002. Lire aussi sur Novastan : L’opposant kazakh Moukhtar Abliazov obtient l’asile politique en France Les poursuites pénales à l’encontre d’Arslan Kakaïev ont été abandonnées en raison de sa mort : il a été assassiné à Saint-Pétersbourg en 2003. Son meurtre reste impuni.
Les familles des accusés persécutées
En 2008, il a été annoncé que le père d’Arslan Kakaïev, Dourdymourat Kakaïev, avait été condamné à une longue peine de prison au Turkménistan. Les forces de l’ordre ont ensuite fait irruption dans la cour de la mère d’Arslan Kakaïev et l’un des officiers a été mordu par un chien. En conséquence, Akjagoul Kakaïev a été condamnée à huit ans de prison « pour avoir fait usage de la violence à l’encontre des forces de l’ordre ». Tous les biens ont été retirés de la maison. Des voisins ont tenté d’apporter un colis à Dourdymourat Kakaïev, mais les surveillants pénitentiaires leur ont dit : « Aucun colis n’est accepté pour les ennemis du peuple. » De nombreux membres de la famille ont été licenciés. En 2010, un tribunal de Moscou a condamné l’homme d’affaires Savely Bourchtein, extradé de la République tchèque, à six ans de prison pour détournement de fonds de la Banque centrale du Turkménistan. L’agence RAPSI rapporte que le bureau du procureur général de Russie souhaitait également poursuivre Aïsoltan Niyazov, l’ancienne présidente du conseil d’administration de l’Index Bank en Ukraine. Les charges retenues contre elle sont l’administration d’une organisation criminelle, le blanchiment d’argent et la coordination du détournement de fonds de la Banque centrale du Turkménistan. En cavale depuis avril 2003, elle a été arrêtée en Suisse par Interpol et extradée vers la Russie en janvier 2011. En 2013, elle est condamnée à la même peine que Savely Bourchtein par le tribunal du district de Zamoskvoretsky à Moscou.
Une affaire en suspens ?
Les forces de l’ordre n’ont pas été en mesure de retrouver la trace de l’argent volé et de le restituer à la Banque Centrale du Turkménistan : les procureurs pensent que la majorité de l’argent détourné a été blanchi dans l’hôtellerie en République tchèque.
Anna Stavitskaïa, qui a également défendu Savely Bourshtein au tribunal en 2010, a souligné que la partie turkmène n’avait jamais produit de preuves du détournement en lui-même. « Il s’avère que pendant les six semaines pendant lesquelles tout cet argent a été retiré de la Banque centrale du Turkménistan, les dirigeants de cet établissement financier étaient dans le coma. Mais je pense que le plus probable, c’est que le transfert a été entièrement autorisé par la direction de la banque », raconte-t-elle au média russe Kommersant. Global Witness, une organisation non gouvernementale anti-corruption, a également publié un rapport qui demande à la Deutsche Bank d’enquêter sur les sommes importantes qui auraient été transférées en Allemagne à partir de comptes publics par le président Niyazov. Le podcast (en russe) est à écouter ici.
La rédaction de Turkmen.news
Traduit du russe par Salomé De Baets
Édité par Aude Pradal
Relu par Anne Marvau
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Lionel, 2022-01-24
Comment se fait-il que toutes les personnes jugées l’ont été en Russie alors qu’il s’agit de détournement de fonds de la Banque centrale du Turkménistan ?
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