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Un psychiatre au Tadjikistan : « Nous créons nous-mêmes nos malades mentaux »

Le 10 octobre dernier, à l'occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, le psychiatre  tadjik Khrouched Koungouratov a décrit quels profils psychologiques existent et comment  les malades mentaux sont soignés au Tadjikistan.

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Le psychiatre Khourched Koungouratov est très renommé au Tadjikistan.

Le 10 octobre dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, le psychiatre  tadjik Khrouched Koungouratov a décrit quels profils psychologiques existent et comment  les malades mentaux sont soignés au Tadjikistan.

Novastan reprend et traduit un article initialement publié le 10 octobre 2019 par le média tadjik Asia-Plus.

Quels sont les différents profils psychologiques, peut-on les détecter dès la petite enfance ? Le caractère sanguin et impulsif propre aux Tadjiks se retrouve-t-il dans les gènes ? Comment les maladies mentales sont-elles soignées au Tadjikistan ?

Khrouched Koungouratov, meilleur psychiatre du Tadjikistan, a répondu aux questions d’Asia-Plus.

Asia-Plus : Combien de profils psychologiques distingue-t-on ?

Khrouched Koungouratov : Il y a quatre profils principaux : l’asthénique (personne facilement irritable, même pour des broutilles, très méfiante et capricieuse) ; le schizoïde (personne très renfermée, vivant dans son monde ; elle préfère la solitude à la compagnie des autres ; sa façon de raisonner n’est pas standard) ; le psychasthénique (il est méfiant ; il se fait du souci sans raison véritable ; il a tendance à s’auto-analyser) ; le normasthénique (généralement cette personne réagit de façon adéquate à toute situation stressante ; elle est stable émotionnellement, calme dans sa façon de s’exprimer et imperturbable).

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Le profil psychologique est le regroupement de certains traits de caractère qui dessinent un profil connu du point de vue des psychologues. Le profil psychologique aide à prévoir la réaction de la personne face à telle ou telle situation.

Qu’est-ce qui détermine le profil psychologique ? Dépend-il des gènes ou est-il plutôt le résultat d’influences extérieures ?

Les deux. La société, la famille, l’entourage, l’éducation et même la religion. Le profil psychologique d’une personne évolue pendant sa vie. L’éducation des parents joue un rôle central. Par exemple, pour l’enfant unique, s’il reçoit de ses parents tout ce qu’il veut et que personne ne lui refuse rien, alors peut commencer un processus de dégradation psychologique, une asthénisation du système nerveux.

Il n’y a qu’un pas de là au sadisme : il sera capable de lever la main sur sa mère ou sur son père et à l’avenir, il pourra se montrer violent avec sa femme ou ses enfants. Une telle personne ne naît pas comme ça : tout dépend de l’éducation qu’elle a reçue.

Quels profils psychologiques sont les plus exposés à des troubles psychologiques ?

La santé psychologique est une notion relative. Il ne se peut pas qu’un type psychologique soit exposé à des troubles alors que les autres pas du tout. Tout le monde est exposé. C’est surtout la situation de stress qui importe et qui va jouer le rôle de déclencheur.

Par exemple, si l’on annonce la mort d’un proche à quelqu’un et que celui-ci devient hystérique, cela ne signifie pas qu’il soit malade. Une telle réaction face à la mort d’un proche est normale.

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Illustration des profils psychologiques.

Nous sommes tous malades dans une certaine mesure, certains d’entre nous sont dans une phase de compensation (relâchement, rémission), d’autres dans une phase de décompensation (aggravation). Outre la situation stressante en elle-même, un rôle important revient à la solidité du système nerveux, à l’état d’esprit et aux circonstances.

Peut-on identifier le profil psychologique de la personne dès l’enfance ? Comment y arriver ?

C’est ce que fait le psychologue grâce à un test. Je ne m’occupe pas des enfants, les psychologues sont plus compétents dans ce domaine. Comme je l‘ai déjà dit, le profil psychologique évolue au cours de la vie et ce que l’on aura pu constater chez l’enfant connaîtra des changements à l’âge adulte.

Comment se soignent les Tadjiks en général ?

Avant d’amener le malade chez un psychiatre, ses proches s’adressent d’abord à un mollah. Ils considèrent que le comportement inadéquat de leur proche est dû à un « démon » qui se serait emparé de lui. D’abord on lit une prière au-dessus du malade. Évidemment, cela n’aide pas, alors les gens ont recours à des mesures plus drastiques : ils donnent des coups de fouet, font des saignées et imposent de jeûner, nous raconte le docteur.

Les proches sont persuadés que lorsque la personne crie de douleur, le démon sort par sa bouche. Ils ne lui donnent presque rien à manger, l’affament réellement et seulement après, ils l’amènent à l’hôpital. Et en plus les gens paient le mollah 500 somoni pour un tel « traitement ». Plus tard, quand le malade tombe entre de bonnes mains, il faut d’abord le soigner de son affamement. Cela arrive surtout à Garm, Khatlon, Faizobod, Kourgan-Tioube, Piandj, Chaartouz. Après les années 1990, des cas sont apparus à Douchanbé également. C’est dans la région du Soughd que c’est le moins fréquent.

Les jurons, les hurlements ponctuels (provoqués ou non), les enfants frappés par leur mère (souvent sans raison), le harcèlement dans la rue… sont-ils des situations familières ? S’agit-il de notre façon d’être à nous, Tadjiks, ou est-ce une pathologie médicale ?

En ce qui concerne les pulsions sexuelles de nos garçons, je l’ai déjà dit : c’est de la psychopathie mosaïque. Ce sont des jeunes gens tout à fait normaux et qui savent ce qu’ils font. Ils peuvent se contrôler, mais ne le veulent pas. Cela porte un nom : c’est du hooliganisme.

L’habitude chez les enfants de crier, chez les mamans de lever la main sur leur progéniture, les conversations violentes, ce n’est simplement qu’une question d’habitude.

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L’insolence, la grossièreté et la violence, tout ça vient du nid familial. Ceux qui battent leurs enfants aujourd’hui ont été des enfants battus par leurs parents.

C’est pourquoi ils pensent que l’éducation par les coups et les cris est une chose normale. Ils n’ont simplement rien connu d’autre. Et c’est intolérable !

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Si un enfant n’obéit pas, fait un caprice ou qu’il a mal agi, il faut lui expliquer calmement comment se conduire. Les coups et les remontrances sur un ton agressif ne feront qu’augmenter la violence en germe chez les enfants et mèneront à des troubles psychologiques. Il résulte que nous élevons nous-mêmes des personnes malades.

Les gros mots, c’est un comportement tout à fait inacceptable ! Et pour tout le monde : hommes, femmes et enfants. C’est tout simplement un manque de culture de la conversation chez notre peuple. On ne nous apprend pas à la maison comment communiquer et se conduire en société, et voilà le résultat.

Chirine Rakhmanova
Journaliste pour Asia-Plus

Traduit du russe par Maximilien Loeb

Édité par Anne Marvau

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