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Au Tadjikistan, le Haut-Badakhchan toujours privé d’Internet

Au Tadjikistan, les habitants du Haut-Badakhchan sont confrontés à des difficultés de connexion à Internet depuis plusieurs mois. Les chefs de districts locaux et les opérateurs expliquent à qui veut l’entendre que la qualité du réseau ne dépend pas d’eux.

Route Douchanbé Connexion Internet
Il faut faire 600 kilomètres de route depuis le Haut-Badakhchan pour trouver une connexion Internet utilisable (illustration).

Au Tadjikistan, les habitants du Haut-Badakhchan sont confrontés à des difficultés de connexion à Internet depuis plusieurs mois. Les chefs de districts locaux et les opérateurs expliquent à qui veut l’entendre que la qualité du réseau ne dépend pas d’eux.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 7 décembre 2021 par le média tadjik Asia-Plus.

Depuis les événements de Khorog des 25 et 26 novembre 2021, les habitants du Haut-Badakhchan sont privés de réseau Internet. Fin novembre, manifestants et autorités avaient conclu un accord permettant de rétablir le service. Pourtant, le 1er décembre, la connexion n’était que partiellement rétablie, le réseau Internet n’étant disponible que dans les banques et certaines agences gouvernementales. Les journalistes d’Asia-Plus ont tenté de découvrir pourquoi, par qui et comment le réseau est bloqué dans le Haut-Badakhchan.

Pour être connecté, il faut aller à Douchanbé

La population locale et des personnes originaires de la région, maintenant installées dans le monde entier, ont fait appel à l’Union des consommateurs du Tadjikistan pour adresser une demande au ministère des Affaires étrangères et du ministère des Sciences et de l’Éducation de Russie. Ils souhaitent contacter les organisations internationales pour protéger leurs droits et rétablir l’accès à Internet dans la région. Face à cette connexion limitée, les candidats qui souhaitent poursuivre leurs études en Russie doivent parcourir 600 kilomètres jusqu’à Douchanbé, la capitale, pour soumettre leur candidature.

« Les jeunes qui souhaitent postuler dans les universités russes via Rossotroudnichestvo (Agence fédérale de coopération internationale culturelle pour la Communauté des Etats indépendants, ndlr) sont otages de la situation et n’ont pu postuler à distance. De nombreux parents ne sont pas en mesure de parcourir les 1 200 kilomètres aller-retour qui séparent Khorog, le centre administratif du Haut-Badakhchan, de Douchanbé, la capitale, avec leurs enfants, notamment pour des raisons financières », explique la pétition écrite par la population locale.

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Le document souligne également que l’absence d’accès à Internet a paralysé non seulement l’enseignement à distance, mais aussi les structures étatiques, commerciales et internationales de la région. En outre, des dizaines de milliers de parents de résidents locaux, vivant à l’étranger, sont restés sans nouvelles de leurs proches et s’inquiètent de leur état.

Des opérateurs silencieux

Les autorités tadjikes se sont au début gardées d’expliquer la cause de l’absence de réseau Internet dans la région ou de donner une date de rétablissement. Fin novembre, les journalistes d’Asia-Plus ont essayé de recueillir les explications des organes officiels responsables, sans succès : le chef adjoint du département a promis une réponse, mais a ensuite disparu. Le chef du département, Beg Sabour, a même été surpris en train de vendre des appartements dans son bureau officiel, comme une vidéo le prouve. A cause des nombreux acheteurs potentiels, les journalistes n’ont pas pu l’atteindre pour lui demander des explications.

Connexion internet Tadjikistan
Dans le Haut-Badakhchan, se connecter à Internet n’était parfois possible qu’en montant dans un arbre.

Le responsable de district n’a pas davantage répondu aux demandes d’Asia-Plus concernant la situation dans la région.

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Les opérateurs mobiles, quant à eux, s’abstiennent de tout commentaire et se contentent de déclarations laconiques : « Ce n’est pas de notre ressort », « Nous ne faisons pas de commentaires sur cette situation. Veuillez contacter les autorités compétentes », « La résolution de cette situation n’est pas de notre compétence. »

Les autorités mises en cause

Une source interne a expliqué que les autorités elles-mêmes peuvent couper le réseau Internet dans n’importe quelle région sans l’aide des opérateurs mobiles. « Pourquoi avons-nous mis en place un centre unique de gestion ? L’ensemble du réseau Internet du Tadjikistan est géré par ce centre et les autorités peuvent en ordonner la coupure dans n’importe quelle région du pays sans passer par les opérateurs. Ils en avaient fait auparavant la demande aux opérateurs », explique cette source.

Un expert anonyme connaissant bien le centre et le système de communication du Tadjikistan affirme que seules les forces de sécurité ont le pouvoir de restreindre les communications et l’accès à Internet.

Des actions légales ?

Selon les modifications apportées en 2015 à la loi tadjike relative au régime juridique de l’urgence, les autorités compétentes peuvent désactiver ou exiger des entreprises de téléphonie mobile qu’elles désactivent l’ensemble des communications téléphoniques. En cas d’urgence, « afin d’assurer la sécurité, y compris la sécurité de l’information », le gouvernement peut ordonner que l’accès à Internet soit restreint ou que certains sites web soient bloqués. En outre, lors d’opérations spéciales, les communications peuvent être coupées non seulement dans les zones de guerre, mais aussi dans tout le pays.

Cependant, dans le cas présent, il n’y a pas d’état d’urgence. Ces actions sont donc illégales. Pour l’analyste politique tadjik Parviz Moullodjanov, la logique derrière cette fermeture est difficile à comprendre. « À mon avis, le gouvernement n’a pas encore établi une position unifiée sur la façon de résoudre la crise. Il y a peut-être plusieurs groupes qui font pression pour des approches différentes », a-t-il déclaré.

Vers une stabilisation de la crise à Khorog ?

« Si les autorités veulent stabiliser la situation au plus vite et rassurer les gens, la première chose à faire est de ramener les principaux attributs de la stabilité : une bonne communication, le départ de l’armée hors des rues, des marchés, des magasins et des restaurants ouverts. Cela ne signifie pas un contrôle moindre de la situation, car il reste toujours les forces de l’ordre. » Parviz Moullodjanov va à contresens des prévisions de certains experts selon lesquelles les autorités ont peur que l’énorme quantité de vidéos et de photos prises pendant les événements soit publiée.

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« Ces mêmes disques et vidéos peuvent être transmis par d’autres moyens sans aucun problème, de main en main, par exemple. Les frontières de la région ne sont pas fermées. Qu’est-ce qui empêche les gens de transmettre tous ces documents et photos ? », s’interroge-t-il. Entre temps, les autorités tadjikes ont annoncé que cette coupure servait à empêcher la diffusion de fausses informations et d’appels à la violence. Quatre mois après les événements, le 21 mars dernier, la région a théoriquement été reconnectée. Cependant, les habitants décrivent une connexion si faible qu’elle est pratiquement inutilisable.

Bakhmaner Nadirov
Journaliste pour Asia-Plus

Traduit du russe par Pierre-François Hubert

Edité par Carole Pontais

Relu par Emma Jerome

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