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Au Festival de Vesoul, des regards divergents sur l’arrivée du communisme en Asie centrale

A l’occasion de l’édition 2022 du Festival international des cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul, plusieurs documentaires et films de fiction sur l’Asie centrale ont été projetés. Les équipes de Novastan ont pu assister à plusieurs projections d’œuvres plutôt confidentielles et interviewer le réalisateur ouzbek Yolkin Touïchiev, primé plusieurs fois au festival.

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Avec 2000 songs of Farida (capture d'écran du haut), Yolkin Touïchiev tente de montrer une image plus nuancée de l'arrivée de l'URSS en Asie centrale.

A l’occasion de l’édition 2022 du Festival international des cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul, plusieurs documentaires et films de fiction sur l’Asie centrale ont été projetés. Les équipes de Novastan ont pu assister à plusieurs projections d’œuvres plutôt confidentielles et interviewer le réalisateur ouzbek Yolkin Touïchiev, primé plusieurs fois au festival.

Le réalisateur ouzbek Yolkin Touïchiev présentait pour la troisième fois un film au Festival international des cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul, organisé du 1er au 8 mars dernier. 2000 songs of Farida, diffusé en 2020, a obtenu la mention spéciale du jury du FICA. Le film montre de manière intimiste la vie familiale d’un propriétaire terrien plutôt casanier dans une Asie centrale faisant encore partie de l’évanescent Empire russe (1721-1917). Polygame et faisant un déni sur son infertilité, il épouse une nouvelle femme qui va bouleverser l’équilibre du cocon familial.

Au-delà de cette histoire personnelle, le réalisateur montre surtout l’histoire de la transition entre le « féodalisme » d’un khanat et la « modernité » du régime soviétique. Pour Yolkin Touïchiev, interrogé par Novastan lors du FICA, il s’agit même d’un « point de non-retour » qu’il explore à travers un regard qui se veut résolument impartial, jusque dans le choix artistique d’une surexposition de l’image dans le film.

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A l’instar d’autres anciennes républiques soviétiques centrasiatiques, la mémoire autour de cette transition politique est controversée. Cette période a été marquée par la révolte des basmatchis  qui ont combattu pour l’indépendance des peuples turciques et un mode de vie traditionnel en affrontant l’Armée rouge entre 1916 et 1934.

Actuellement, leur perception est en train de changer dans un sens plus positif et certains chefs de file sont désormais qualifiés de « libérateurs » en Asie centrale du point de vue de Yolkin Touïchiev. Bien qu’il prévienne des risques d’une lecture binaire, il rappelle que la période soviétique a été marquée par une description très négative des basmatchis et plus largement des catégories sociales décrites comme contre-révolutionnaires, comme les koulaks par exemple, y compris au cinéma. L’édition 2022 du FICA en donne d’ailleurs quelques exemples.

Une réponse à un cinéma idéologiquement orienté

Ainsi, Incline-toi devant le feu (1972) du réalisateur kirghiz Tolomouch Okeïev et Tachkent, ville du pain (1968) de son homologue ouzbek Choukhrat Abbassov, diffusés lors du FICA 2022, montrent une tout autre image de cette période de transition. Le premier montre l’élection d’une femme à la tête d’un kolkhoze kirghiz, qui se retrouve à devoir se défendre contre les agissements de certains propriétaires terriens, considérés par le pouvoir soviétique comme des koulaks. Le second raconte l’histoire d’un enfant à l’époque des grandes famines qui ont frappé l’URSS, lui aussi en proie à un agriculteur malhonnête.

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Dans les deux films, si le ressort dramatique n’est pas le même, l’idéologie sous-jacente l’est. Il s’agit de dénoncer aux spectateurs des personnages contre-révolutionnaires, en valorisant l’innocence et l’honnêteté des protagonistes. Dans la même veine, mais plus contemporaine, la superproduction Mongol (2007) montre une histoire assez arrangée de Gengis Khan, pour valoriser sa personne et son parcours.

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Avec 2000 songs of Farida, Yolkin Touïchiev ne rentre donc pas dans ce type de récit, en tenant vers l’impartialité et la mise à distance. Le réalisateur assume de se concentrer sur les sentiments des personnes, même si ce sont ses propres questionnements qui constituent le point de départ.

Ce parti pris est visible dans le film à travers la mise à l’écran de l’amitié entre l’officier de l’armée impériale et le personnage principal du film, qui contraste avec une relation tendue entre ce dernier et son frère d’armes de l’armée basmatchi.

De la même manière, le dénouement du film montre une des femmes du propriétaire terrien passer du côté des communistes, dont l’arrivée résume à elle seule l’ambivalence du film dans sa description de cette période historique : amenant à la fois la modernité, tant industrielle que culturelle, puisqu’ils arrivent avec quelques véhicules motorisés et un gramophone, ils se montrent brutaux. En outre, les femmes sont « libérées » du cocon familial contraignant peu avant l’arrivée de l’Armée rouge mais certaines emportent quand même leurs paranjas, voiles traditionnels.

Un film plutôt perçu défavorablement en Ouzbékistan

Interrogé sur l’accueil du film, le réalisateur avoue ne pas trop s’intéresser à la perception, mais concède un accueil mitigé du long métrage dans son pays d’origine. Yolkin Touïchiev critique une approche parfois « consumériste » d’un public qui souhaiterait surtout « avoir de l’émotionnel et du sentimental », décrit-il auprès de Novastan. Dans son annonce des lauréats, la présidente du jury international de l’édition 2022 du FICA, Leïla Hatami, semble également quelque peu éclipser la dimension historique et géopolitique du film en l’évoquant au travers de la « nature humaine » et du « poids du patriarcat ».

C’est sans doute ignorer d’une certaine manière la dimension éminemment nationale de ce film. Yolkin Touïchiev, qui a réalisé une partie de ses études de cinéma à Moscou, assume cette influence de l’école soviético-russe de cinéma, résumée par cette maxime du réalisateur russe Sergueï Soloviov : « il n’y a pas de cinéma sans nationalité ».

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2000 songs of Farida est donc un film disposant de plusieurs niveaux de lecture, forme d’ode à la complexité de l’intrigue et des personnages, avec des questions qui restent évidemment en suspens. Au-delà du drame familial, il raconte surtout d’un point de vue individuel l’arrivée du pouvoir soviétique et de la modernité en Asie centrale.

Dimitri Rechov Président de Novastan France

Relu par Emma Jerome

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