Un an après la tragédie du barrage de Sardoba en Ouzbékistan, le journaliste Ilyas Safarov est parti à la rencontre des victimes. La catastrophe, qui avait détruit de nombreuses infrastructures et tué six personnes, est encore présente à l’esprit des habitants.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 2 mai 2021 par le média ouzbek Kun.uz. Le 1er mai 2020, le barrage de Sardoba, dans l’est de l’Ouzbékistan, cédait sous le poids des eaux après de violents orages, trois ans seulement après sa mise en service. Le journaliste de Kun.uz s’est rendu dans le district de Sardoba, pour se rendre compte de l’avancée des travaux de rénovation du barrage. Il a également visité les villages et les écoles des environs, discuté avec les habitants des souvenirs qu’ils gardent de cette journée et des conséquences de l’inondation.
Se souvenir de ce jour
Une année s’est écoulée depuis la « rupture du siècle » au barrage de Sardoba, sur le fleuve Syr-Daria. Alors que les travaux se poursuivent pour reconstruire la partie endommagée de la digue, les habitants de Sardoba se remémorent cette matinée funeste. « Nous nous levons tous les jours à cinq heures. Le jour de l’inondation, je me suis également levé tôt pour marcher dans la cour. Soudain, on a frappé très fort à la porte. Si fort que j’ai voulu attraper le responsable, alors je suis allé ouvrir. Un garçon du voisinage se tenait là. Il m’a dit : “Grand-père, l’eau arrive, le barrage déborde”.
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Le garçon était au bord des larmes, il lui était difficile de parler. À ce moment-là, les enfants dormaient à la maison. Je les ai rapidement réveillés. Ils ont attrapé ce qu’ils pouvaient et ont couru dans la rue. Ma femme et moi avons même réussi à prendre nos passeports. Nous sommes sortis ; tous ceux qui avaient entendu parler de l’inondation étaient là. Certains montaient en voiture, d’autres marchaient. Quelqu’un était sur une charrette tirée par un âne. Nous avons fait 12-13 kilomètres, et sommes arrivés au sovkhoze n° 7. De nombreuses personnes s’y étaient rassemblées. De là, elles se dispersèrent ensuite dans différentes directions. Nous sommes allés chez nos fils qui vivent dans le district de Pakhtakor, dans la province de Djizak», se souvient Bakhtior Narimonov, un habitant des environs. L’homme n’aime pas se souvenir de ce jour. Lorsque ses enfants et petits-enfants lui montrent des vidéos des inondations, il ne veut même pas les regarder. « C’était un coup dur pour nous », ajoute-t-il.
Des conséquences dramatiques
Le barrage, construit de 2010 à 2017, s’est effondré seulement trois ans après sa mise en fonction, touchant gravement trois districts de la région. Les bâtiments, les routes, les moyens de communication ont été détruits. Plus de 60 000 habitants de 22 villages ont été évacués, plus de 6 000 animaux domestiques sont morts. La catastrophe a tué deux femmes et quatre hommes. Une personne a également été portée disparue. Parmi les personnes décédées se trouvait le sergent Housniddine Souïarov, troisième grade de la Garde nationale. Il a été emporté par la crue des eaux lors de l’évacuation de la population. Zokir Souïarov, le père de Housniddine, se souvient des derniers moments en compagnie de son fils : « L’année dernière à la même époque, le coronavirus s’est propagé et une quarantaine a été annoncée.Tout le monde était à la maison. Mon fils est rentré en taxi une semaine avant ces évènements. C’était le mois du Ramadan, nous sommes allés au marché ensemble. Nous avons discuté à la maison pendant une heure environ. Puis il m’a dit au revoir, et il est parti. C’est la dernière fois que je l’ai vu ». Housniddine Souïarov était un homme ouvert et joyeux, qui n’aimait pas décevoir les gens, précise-t-il.
Reconstruction et réparation
Cette catastrophe liée à des erreurs humaines a ébranlé la paix et la tranquillité non seulement en Ouzbékistan, mais aussi dans le Kazakhstan voisin. Plus de 31 000 Kazakhs ont en effet été contraints d’abandonner leur maison. Au cours de l’année écoulée, l’aspect des villages inondés a beaucoup évolué. Les habitants ont emménagé dans de nouveaux logements, construits en guise de compensation. « Nous sommes déjà habitués aux nouvelles habitations », rapporte un homme nommé Anvar. Il tient également à exprimer sa gratitude envers tous les Ouzbeks et les résidents des pays étrangers, qui, après la catastrophe, ont envoyé de la nourriture et des vêtements. Lire aussi sur Novastan : Les victimes des inondations du barrage de Sardoba recevront de nouveaux logements Avant les inondations, les habitants de cette région souffraient de coupures d’électricité régulières et d’une pénurie de gaz naturel. Aujourd’hui, la région dispose de bonnes infrastructures. « Nous sommes satisfaits des conditions de vie.Merci au président et au gouvernement. En plus des logements, nous avons reçu 40 millions de soums chacun (3 270 €)», déclare un homme nommé Alikouzi. Dans la région, des écoles ont également été reconstruites afin que les enfants puissent reprendre les cours. « Après l’inondation, notre école a été bien réparée. Il y fait chaud en hiver et frais en période de chaleur. L’eau et le gaz ont été installés, alors qu’il n’y en avait pas dans l’ancienne », rapporte Gafour Abdourakhimov, directeur de l’école n° 20. Lire aussi sur Novastan : Ouzbékistan : l’effondrement du barrage de Sardoba, entre catastrophe climatique et scandale de népotisme
Problèmes et conséquences
Il existe cependant un problème auquel sont confrontées les victimes : le chômage. « S’il y avait des entreprises industrielles à proximité, tout le monde travaillerait », explique un habitant de l’un des immeubles. Les habitants souffrent également de la salinisation du sol, qui empêche les cultures de germer. Selon eux, il s’agit d’une conséquence des inondations. « Dans d’autres villages, l’herbe est déjà apparue, mais dans le nôtre, qui a été inondé, rien ne pousse.Je pense que l’eau a aussi emporté la couche fertile de la terre. Nous avions des arbres fruitiers dans notre cour, des abricots et des pêches ; maintenant tout est sec », se lamente un représentant de la population locale du nom de Koural.
Qui est responsable ?
Dans le pays, mais aussi à l’étranger, les opinions divergent quant à l’enquête menée sur les évènements de Sardoba et le traitement réservé aux vrais coupables.
Le président Chavkat Mirzioïev a affirmé que tout devait être fait pour contenter la population. « Je vous assure que tous les auteurs, quels qu’ils soient et quelle que soit la position qu’ils occupent, devront répondre de leurs actes devant la loi à la fin de l’enquête » a-t-il déclaré. Une enquête judiciaire est en cours et 17 personnes sont en procès au tribunal de la Cour suprême chargée des affaires pénales. L’affaire est entendue à huis clos car elle est « directement liée à des secrets d’État ». Quoi qu’il en soit, pour de nombreuses personnes, la catastrophe de Sardoba est un évènement qu’ils ne pourront effacer de leur mémoire, et les blessures causées par cette inondation ne se refermeront pas de sitôt. Les photos de ce reportage sont disponibles dans l’article d’origine.
Ilyas Safarov pour Kun.uz
Traduit du russe par Salomé De Baets
Édité par Laure de Polignac
Relu par Anne Marvau
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