Le 14 décembre marquait les 25 ans de la proclamation de la souveraineté étatique du Karakalpakistan, au nord-ouest de l’Ouzbékistan. Une région majoritairement désertique qui revendique aujourd’hui son indépendance totale.
Bichkek, 14 décembre. Dans un camp de réfugiés en bordure de la capitale kirghize, un petit groupe de personnes célèbre solennellement une date quasiment ignorée de tous. Il y a 25 ans, le 14 décembre 1990, le Parlement karakalpak votait la déclaration de souveraineté étatique du Karakalpakistan. Un quart de siècle plus tard, cette déclaration reste un voeu pieux : le Karakalpakistan demeure une région autonome dans la partie ouest de l’Ouzbékistan. Malgré la volonté de quelques représentants de l’ethnie karakalpake, tels que Aman Sagidoullaev, un indépendantiste interviewé par RFE-RL, rien ne montre que la situation pourrait changer dans les temps futurs.
Aman Sagidoullaev vit dans le camp de réfugiés de Bichkek. Son rêve d’un Karakalpakistan indépendant l’a conduit à quitter son pays natal. Aujourd’hui, il vit dans la peur permanente d’être déporté ou enlevé par des agents du Service National de Sécurité ouzbèke (SNB).
Une zone riche en pétrole … et sinistrée
Le Karakalpakistan occupe plus d’un tiers du territoire total de l’Ouzbékistan. Néanmoins, la majorité de cette région est désertique. Quelques endroits au nord-ouest sont en situation de désastre écologique du fait de la salinisation provoquée par l’assèchement de la mer d’Aral. La région compte près de 1,7 million d’habitants. Parmi eux, seulement un demi-million sont des Karakalpaks, un peuple possédant plus de liens avec les Kazakhs qu’avec les Ouzbeks.
Ce territoire possède de grandes ressources de pétrole et de gaz. Tandis que cela représente une aubaine pour la population locale dans certains pays, celle du Karakalpakistan, au contraire, profite très peu de ces richesses. Les réserves en hydrocarbures expliquent le rattachement du Karakalpakistan à l’Ouzbékistan.
Les autorités d’Ouzbékistan ont officiellement inclus le Karakalpakistan à l’intérieur de l’Ouzbékistan en 1993, lui accordant le statut de république autonome et le droit d’organiser un référendum sur l’indépendance au bout de 20 ans. Cependant, il semble que cette promesse ait été oubliée en 2013.
L’appel sur les réseaux sociaux
Aman Sagigoullaev a pris depuis 2008 la tête du mouvement « Alga, Karakalpakistan ». Au début, les autorités ouzbèkes n’ont pas porté une grande attention au mouvement. Mais en 2011, elles s’en sont prises à son leader, l’accusant du vol d’une somme de près d’un million de dollars quand il était à la tête d’une compagnie de production d’outillages agricoles dans le Karakalpakistan. La même année, Aman Sagidoullaev et sa famille ont quitté l’Ouzbékistan et se sont installés dans un camp de réfugiés à Bichkek.
En 2014, « Alga, Karakalpakistan » a commencé à utiliser les réseaux sociaux pour tenter de convaincre la Banque mondiale de ne pas proposer un crédit de 411 millions de dollars à l’Ouzbékistan pour le développement de projets dans le Karakalpakistan. Dans ces messages s’exprimaient les préoccupations vis-à-vis des problèmes essentiels des Karakalpaks : les maladies liées à la salinisation, les fermetures d’industries dans la région, l’impossibilité de promouvoir le développement des culture et langue karakalpakes, ainsi que des affirmations troublantes, selon lesquelles des femmes karakalpakes seraient stérilisées dans le cadre d’une campagne visant à réduire le nombre de Karakalpaks.
De l’espoir du statut de réfugié
Peu après la publication du message d’ « Alga, Karakalpakistan » sur les réseaux sociaux, les autorités ouzbèkes ont commencé à décrire Aman Sagidoullaev comme un séparatiste et ont délivré un mandat pour son arrestation et son extradition. Actuellement, l’homme bénéficie d’une certaine protection pendant que la direction du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés examine son cas. Il a peur qu’on ne lui donne pas le statut de réfugié, et qu’il se retrouve alors à la rue à Bichkek.
Il y a un peu plus d’un an, Aman Sagidoullaev soupçonnait que les agents du SNB surveillaient son camp de réfugiés, posaient des questions sur sa famille et lui. Voisin de l’Ouzbékistan, le Kirghizistan est un endroit dangereux pour les personnes que les autorités ouzbèkes veulent « ramener » de l’autre côté ; elles peuvent les arrêter dans la rue et traverser la frontière pour présenter l’acte d’accusation en Ouzbékistan.
Aman Sagidoullaev dit qu’il veut recevoir le statut de réfugié pour s’éloigner davantage de l’Ouzbékistan, peut-être en Europe. Il semble être contraint d’accepter que dans un futur proche, son rêve d’un Karakalpakistan indépendant restera un rêve. Son futur en Ouzbékistan, c’est une cellule de prison, et il semble que le Karakalpakistan restera encore longtemps une partie délaissée de l’Ouzbékistan.
Article original écrit par Bruce Pannieret et Anna Klevtsova, journalistes pour RFE-RL
Traduit du russe par Léa André