Lors d’une rencontre entre les autorités locales de Tachkent, la notion de démocratie a été débattue. L’occasion pour le média Hook Report, alors même que 2021 est une année électorale pour l’Ouzbékistan, de s’interroger sur le concept de démocratie et sur son application dans les pays d’Asie centrale.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 19 mars 2021 par le média ouzbek Hook Report.
Le 13 février 2021, lors d’une réunion entre le hokim (gouverneur) de Tachkent et ses habitants, le président de la mahalla locale a donné une définition intéressante de la démocratie : selon lui, il s’agit du règne de la minorité sur la majorité. La démocratie est un des termes politiques les plus populaires au monde. Mais les sociétés l’interprètent-elles correctement ? La démocratie est-elle ce qu’il y a de mieux pour la majorité, ou le président de la mahalla a-t-il raison sur certains points ?
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La fin du XXème siècle a connu une hausse considérable du nombre de réformes démocratiques. Il s’agissait alors de faire face à certains problèmes comme le manque de liberté d’expression ou la répartition inégale du pouvoir. Pourtant, il convient de noter que la démocratie seule n’est pas suffisante pour fournir un niveau de vie décent ou pour venir à bout des difficultés socio-économiques d’une société. Ainsi, la démocratie ne fait que créer les institutions politiques nécessaires pour tenter de résoudre les problèmes le mieux possible.
La démocratie des années 1990
Après l’effondrement de l’URSS, une démocratisation conditionnelle s’est répandue dans l’espace post-soviétique. Chaque pays a alors développé un modèle particulier de démocratie, mais la plupart d’entre eux ont opté pour le système de démocratie représentative, c’est-à-dire lorsque le peuple est représenté par des groupes d’individus agissant en leur nom.
Cette forme s’oppose pourtant déjà aux attentes des gens et de leurs idées. L’élection d’individus au pouvoir est nécessaire, autrement le peuple ne pourrait pas participer de manière organisée à la gouvernance du pays. Mais la question du contrôle de ceux que cette société a élus comme représentants se pose alors : ce que font les députés n’est pas toujours clair, et certaines de leurs propositions peuvent directement contredire l’opinion de la majorité des électeurs.
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L’expérience de la démocratisation des pays post-soviétiques montre que l’élite politique n’est pas moins capable de se reconstituer que dans les pays monarchiques ou les États totalitaires. Et cela se produit même lorsqu’un pays dispose de tous les mécanismes nécessaires à la démocratie : une société civile développée, un pouvoir politique stable, l’existence et le bon fonctionnement des partis et mouvements politiques, le pluralisme politique.
Dans le meilleur des cas, les électeurs observent simplement comment le parti au pouvoir se recompose à travers le « jeu de la démocratie », par exemple par la création et le contrôle complet d’une opposition fictive, ou par le changement formel d’une idéologie visant l’électeur sans que cela ne change véritablement le cours politique.
L’idéal chéri de la démocratie
Alors, qu’attendons-nous de la démocratie ? La répartition égale des droits, des opportunités et des privilèges est idéale pour le développement de l’État, mais est-ce vraiment ce dont les peuples ont besoin ?
Le thème de l’égalité et de l’équité est plus que jamais d’actualité, surtout dans le contexte de tous ces mouvements survenus à l’étranger dont de faibles reflets peuvent être observés en Ouzbékistan. Cependant, si cette vision peut fonctionner dans les pays occidentaux modernes et les petits États où la vie est calme et mesurée, pour la plupart des pays de l’espace post-soviétique, qui sont caractérisés par des crises économiques, militaires ou politiques qui nécessitent une réponse immédiate, la démocratie reste une forme trop lente de gouvernement.
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La Suisse, par exemple, est un pays où toutes les possibilités offertes par la démocratie sont utilisées. Il s’agit en effet d’un État à la forme de démocratie idéale, et dans ce pays, le système politique est très différent du régime auquel les Ouzbeks sont habitués. À titre d’illustration, ce sont les citoyens qui décident d’adopter telle ou telle loi, et la fonction de chef de l’État est exercée à tour de rôle par les membres du Conseil fédéral, composé de sept personnes au pouvoir égal. En Suisse, le président a un rôle symbolique. Il s’agit d’une démocratie directe (la Suisse est en fait une démocratie semi-directe, alliant démocratie directe et représentative, ndlr), ce qui signifie que les citoyens ont le droit de vote pour répondre à une large variété de questions, et peuvent bloquer toute décision du gouvernement et du parlement.
Ils peuvent exprimer leur satisfaction ou leur insatisfaction concernant la manière dont une loi est formulée, organiser un référendum, et décider à la majorité si une loi doit être conservée ou non. Ainsi, ce pays et sa structure politique constituent une société presque parfaite qui incarne l’égalité et l’équité. Est-il cependant possible d’affirmer que ce modèle fonctionnerait dans d’autres pays ?
Pourquoi la démocratie échoue-t-elle parfois ?
Malgré des aspirations communes à tous les peuples, il n’est pas possible de reproduire la société suisse partout. En effet, de nombreux facteurs, tant économiques et sociaux que politiques ou idéologiques, en font un objectif impossible à atteindre.
Par ailleurs, il arrive parfois que des pays utilisent la démocratie pour légitimer un régime non démocratique. Il s’agit alors pour les dirigeants d’une manière de s’enrichir illégalement grâce aux mensonges. En outre, les intérêts de la minorité ne sont souvent pas représentés en démocratie, ce qui entraîne un mécontentement du peuple contre le gouvernement en place.
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Il arrive aussi que des pays ne respectent pas les normes de la démocratie alors même que l’écrasante majorité de leurs habitants en reconnaît l’importance. Par exemple, dans des États dotés d’une monarchie théocratique, comme le Vatican, l’Arabie saoudite ou le Sultanat de Brunei, la démocratie est pratiquement impossible. L’État y est en effet régi par des normes religieuses, et le monarque est le président de l’organisation religieuse au pouvoir, avec un pouvoir étatique illimité.
La démocratie est-elle un régime d’avenir ?
La critique selon laquelle la démocratie ne serait plus aussi pertinente vient aussi du fait que l’égalité des voix sous-entend que tous les participants au vote sont de compétence égale pour répondre à la question soumise à l’analyse. Or ce postulat initial est faux, car les votants ne peuvent pas être compétents dans tous les domaines. De plus, l’opinion de la majorité n’est pas en mesure de soutenir des solutions originales : la majeure partie de la population choisira toujours quelque chose de banal et d’instinctif, tandis que les pensées et idées brillantes seront ensevelies sous une masse de préjugés et de principes bien établis.
Qu’est donc la démocratie en tant que système politique ? Cela vaut-il vraiment la peine de s’accrocher désespérément à cette image souvent embellie d’un régime idéal qui ne répond pourtant pas toujours aux attentes de son peuple ? Il n’y a malheureusement pas de réponse définitive, mais il faut peut-être garder à l’esprit que si la démocratie était autrefois une solution universelle, la société change, les fondements et les principes des États changent, et que ce régime politique ne peut pas être qualifié de flexible.
Zarina Khamraïeva pour Hook Report
Traduit du russe par Amir Ayat
Édité par Laure de Polignac
Relu par Anne Marvau
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