Pendant des décennies, l’islam a été soumis à un contrôle strict dans le pays le plus peuplé d’Asie centrale. Le président Chavkat Mirzioïev tente depuis 2016 de trouver l’équilibre entre liberté de religion et contrôle des extrémismes.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 5 février 2021 par le média ouzbek Kun.uz.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Chavkat Mirzioïev, en décembre 2016, plusieurs mesures ont été prises pour garantir la liberté de religion en Ouzbékistan. Des mosquées qui avaient été fermées sont peu à peu rouvertes et l’appel à la prière, l’adhan, qui avait été interdit, est à nouveau diffusé par haut-parleurs.
Un moushaf, un recueil de textes religieux en arabe, a été publié pour la première fois dans le pays. Des concours de récitation du Coran ont été organisés.
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La prison de Jaslyk, dans le nord-ouest du pays, dont la réputation était de ne pas relâcher ses prisonniers vivants, a été fermée. Des milliers de personnes qui avaient été arrêtées en raison de leurs convictions religieuses ont été graciées, et les listes noires de citoyens religieux ont été supprimées.
Un relâchement des répressions
Bien sûr, ces changements ne pouvaient pas être sans influence sur l’image du pays à l’international. En 2018, les États-Unis ont retiré l’Ouzbékistan de leur liste noire sur la liberté religieuse, et en décembre 2020 de la liste des États sous surveillance en matière de liberté religieuse.
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La prison de Jaslyk, dans la République du Karakalpakistan intégrée à l’Ouzbékistan, qui symbolisait dans l’opinion publique les exactions et la torture, a été fermée le 2 août 2019 par décision du président. Ses prisonniers ont été transférés dans d’autres prisons en fonction de leur peine.
Les représentants de la direction générale de l’exécution des peines ont par ailleurs déclaré en 2016 que les prisonniers en Ouzbékistan étaient autorisés à prier quotidiennement et à respecter le jeûne.
En Ouzbékistan, la pratique de l’inscription sur liste noire des personnes impliquées dans des groupes extrémistes illégaux, ou ayant manifesté une tendance extrémiste, a également pris fin. Par ailleurs, des personnes y étaient parfois inscrites par erreur.
Les pèlerinages et aumônes religieux de nouveau autorisés
Le nombre de personnes ayant entrepris le pèlerinage de la oumra est passé de 6 000 à 10 000 en 2018 en Ouzbékistan. En 2019, les restrictions sur le nombre de personnes autorisées à effectuer le pèlerinage ont été levées.
Le nombre de personnes ayant entrepris le pèlerinage du hajj à La Mecque est passé de 5 200 à 7 200 en 2017. En février 2020, une liaison aérienne de Tachkent, la capitale, vers la ville sainte de Médine en Arabie Saoudite a été ouverte.
En revanche, les agences de voyages n’ont pas été autorisées à organiser les pèlerinages de la oumra et du hajj, ce qui a provoqué le mécontentement de nombreux entrepreneurs et organisations internationales de défense des droits de l’Homme, et a donné lieu à un monopole des compagnies locales sur ce nouveau marché.
L’autorisation d’une Fondation caritative religieuse
En 2018 a été créée la Fondation Vaqf par décret présidentiel. L’association caritative religieuse a reçu l’autorisation de gérer des fonds provenant de trois formes de donations : les dons caritatifs, ceux liés au waqf, et l’aumône du zakât.
Malgré les rumeurs qui mettaient en doute les activités de la Fondation au départ, elle a pu venir en aide à des milliers de malades, des familles en difficulté ou encore des étudiants. Son nouveau directeur, Abdourakhmanov Yakhio Oubaïdoullaïevitch, a récemment présenté de nouveaux objectifs pour l’organisation et s’efforce d’aller de l’avant.
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L’autorisation de diffuser sur haut-parleurs l’appel à la prière, autre symbole de l’Islam, a littéralement ému des millions de personnes. La population attendait depuis longtemps de pouvoir l’entendre. Les croyants n’osaient même pas l’enregistrer sur leur téléphone. Désormais, il retentit depuis de grands minarets.
Réouvertures des mosquées
Progressivement, des mosquées qui avaient été fermées rouvrent ou se reconstruisent dans le pays. Selon les services des Musulmans d’Ouzbékistan, 40 nouvelles mosquées ont été ouvertes ces dernières années, et plus de 500 ont été rénovées. Au 26 janvier 2021, 2081 mosquées étaient ouvertes en Ouzbékistan.
Les chiffres montrent toutefois que les pays voisins, qui ont moins d’habitants, ont un nombre plus important de mosquées. L’administration reçoit des centaines de demandes de citoyens, documents à l’appui, pour rouvrir des mosquées, sans succès.
En 2020, le ministère de l’Intérieur a déclaré officiellement que les enfants mineurs accompagnés d’un proche pouvaient entrer librement dans les mosquées, ce qui a été très apprécié par l’opinion publique.
L’Opération Mehr
Dans le cadre de l’opération Mehr, qui s’est déroulée à l’initiative et sous le contrôle de Chavkat Mirzioïev entre 2019 et 2020, plus de 300 citoyens ouzbeks ont été évacués des territoires d’opérations militaires dans le Proche Orient.
Ils ont été hébergés dans des sanatorium, pourvus en nourriture et en habits, encadrés par des médecins, des psychologues et des enseignants, et leurs documents d’identité leur ont été rendus. Le représentant de la commission des affaires religieuses, Mouzaffar Kamilov, a affirmé qu’à terme, tous les Ouzbeks seront évacués dans le cadre de l’opération Mehr, pourvu « qu’ils n’aient pas de sang sur les mains ».
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Le président ouzbek a également initié la construction d’un centre de la civilisation islamique dans la ville de Tachkent, destiné au développement de la recherche islamique et à l’étude du riche patrimoine historique de l’Ouzbékistan. Il s’y est rendu plusieurs fois en personne constater l’avancement des travaux.
Réhabilitation du cheikh Mouhammad
En 2018, le président a fait organiser des concours de récitation du Coran à l’échelle locale et nationale, auxquels ont pris part des milliers de participants, qui l’ont appris par cœur. Le gagnant du concours, Youldachbek Kori Nouridinov, a reçu en prix une voiture Gentra.
Depuis 2018 néanmoins, ces concours de récitation du Coran et des hadiths n’ont plus eu lieu à l’échelle nationale.
Le président a également reconnu le travail du cheikh Mouhammad Sadyk Mouhammad Yousouf, une personnalité religieuse importante jusqu’à sa mort en 2015, et qui n’était jusqu’à présent pas mentionné dans les cercles officiels. Le président a rencontré ses fils, a donné son nom à une grande mosquée de Tachkent et a déclaré nécessaire d’étudier sa riche contribution.
De plus, dans la maison d’édition Hilol Nashr qu’il a fondée, Mouhammad Sadyk Mouhammad Yousouf avait pu, pour la première fois dans l’histoire de l’Ouzbékistan, publier des moushafs.
Des problèmes subsistent
En même temps, l’activisme communautaire a donné lieu à des difficultés qui persistent depuis plusieurs années. En 2018, des centaines de jeunes hommes du marché Malika ont été forcés à se raser la barbe, suscitant les critiques d’organisations des droits de l’Homme, de publications internationales et d’une large partie de la population, ce qui a gravement nuit à l’image du gouvernement.
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Choukhrat Ganiev, hokim (gouverneur, ndlr) dans la province de Ferghana, a également été très critiqué pour ses propos virulents sur les femmes portant le voile.
Ce jour là, quand les paroles de Choukhrat Ganiev se sont répandues sur Internet, le président ouzbek Chavkat Mirzioïev, lors d’une cérémonie au Palais présidentiel de Kouksaroï, a affirmé qu’en Ouzbékistan personne n’avait jamais interdit de porter le voile. Il a assuré que ce ne devait pas être un sujet d’inquiétude.
Une avancée pour les libertés religieuses
« Beaucoup de questions circulent sur les réseaux sociaux concernant le voile ouzbek et les habits ouzbeks. Ils représentent des symboles sacrés de la mère ouzbèke. En Ouzbékistan, personne ne s’opposera à ce que nos chères mères et sœurs portent de tels habits », a déclaré le président.
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Depuis son arrivée au pouvoir, Chavkat Mirzioïev a beaucoup fait pour garantir la liberté religieuse, mettant fin à de nombreuses interdictions abusives. La population a pu ressentir cette liberté lors d’événements et dans les lieux publics, s’autorisant à citer le Coran et les hadiths, à parler librement de leurs croyances.
En fait, ces pratiques ordinaires dans un État démocratique ont été un important facteur révélateur du vent de liberté qui souffle depuis 2016. Il faut désormais sauvegarder cette liberté et l’adapter progressivement aux principes démocratiques internationaux.
Farroukh Absattarov
Journaliste pour Kun.uz
Traduit de l’ouzbek par Vadim Soultanov et Anastassia Tkatchiova
Traduit du russe par Juliette Amiranoff
Édité par Frédérique Faucher
Relu par Izold Guégan
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