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Le soft power du Kirghizstan, histoire de réussites individuelles

En termes de politique étrangère, le soft power offre des perspectives intéressantes au Kirghizstan. C'est un moyen peu coûteux pour projeter cet Etat hors de son environnement régional de manière à renforcer sa marge de manoeuvre au sein de la communauté internationale.

Rédigé par :

lmorvan 

Traduit par : Naïs Chaudagne

Cabar Asia

Les championnes olympiques
Les championnes olympiques Aisoulouu Tynybekova, Aïperi Medet kyzy et Meerim Joumanazarova. Photo : Tatyana Zelenskaya / Cabar.

En termes de politique étrangère, le soft power offre des perspectives intéressantes au Kirghizstan. C’est un moyen peu coûteux pour projeter cet Etat hors de son environnement régional de manière à renforcer sa marge de manoeuvre au sein de la communauté internationale.

Le soft power est un terme des plus vagues, très utilisé et souvent mal compris. En sciences sociales, le soft power est un terme pluridisciplinaire, regroupant la science politique, la psychologie, la politique étrangère et les relations internationales.

D’un point de vue pratique, le terme peut aussi être lié aux principes clés du marketing, puisque « vendre » un pays au monde est très semblable à la vente d’un produit ou d’une marque sur un marché.

« Le gouvernement kirghiz trouve qu’il est nécessaire de structurer son approche du soft power comme instrument de sa politique étrangère, d’analyser l’actuel potentiel du soft power et de repérer les possibilités de promouvoir le Kirghizstan et ses intérêts nationaux à l’étranger », estime la politologue Aïchane Charchenova.

Qu’est-ce que le soft power ?

Le soft power a existé sous différentes formes depuis l’époque où les rois et les peuples essayaient de faire impression et de mener des négociations avec leurs voisins. Cependant, la définition académique et politique actuelle du soft power remonte aux États-Unis du XXème siècle. Selon Joseph Nye, « le soft power se base sur les capacités de façonner les préférences des autres (…), d’obliger les autres à avoir les résultats que l’on souhaite, sans les contraindre mais en les attirant ». En d’autres termes, le soft power vise à changer le comportement et la perception des autres acteurs par des moyens non-violents, c’est-à-dire par la culture, les valeurs et la politique étrangère.

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Il est important de distinguer propagande et soft power. La propagande est dirigée vers la manipulation de l’opinion publique, alors que le soft power vise à persuader. La propagande opère dans une combinaison de faits, de mensonges et de semi-vérités, alors que le soft power utilise des faits, des récits et des histoires. L’utilisation de mensonges porte préjudice au soft power.

La caractéristique importante du soft power réside dans l’acceptation volontaire et consciente de ses produits par les destinataires. En d’autres termes, la propagande peut être assez évidente et agressive alors que le soft power est plus subtil et plus doux.

Comment l’Asie centrale conçoit-elle son soft power ?

Le Kazakhstan voisin, probablement, surpasse de peu les autres pays de la région dans ses efforts sur l’inclusion d’éléments de soft power dans ses relations internationales. Astana a investi des ressources assez considérables dans la production de récits mondiaux sur le pays. Celui-ci essaye même de profiter de la période de popularité de Borat, en utilisant une phrase clef du film dans le cadre d’une campagne pour la promotion du tourisme.

Les efforts du Kazakhstan ont dépassé le cadre du tourisme, puisque le pays a embauché l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair et sa société de relations publiques pour la gestion de la réputation du Kazakhstan après le massacre de Janaozen en 2011. Le Kazakhstan construit son travail avec l’image d’une marque nationale, probablement mieux que dans n’importe quel autre pays d’Asie centrale. En dehors de la politique gouvernementale, le Kazakhstan est aussi devenu le centre de la pop-culture de la région, avec la sphère de la Q-pop.

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L’Ouzbékistan est le pays d’Asie centrale le plus peuplé, et est aussi un bon exemple d’utilisation active par le gouvernement du soft power. Néanmoins, à la différence du Kazakhstan, la stratégie de communication avec la publicité en Ouzbékistan est plus lisse et fluide. Dans une large mesure, le soft power ouzbek est avant tout axé sur la culture et la population. Le Tadjikistan aussi suit cet exemple, soulignant les réalisations de son passé à travers des musées et des récits pour promouvoir son image nationale.

Le Turkménistan constitue une exception inhabituelle à cet égard. D’un côté, il y a un manque évident d’informations fiables gouvernementales ou indépendantes sur la vie dans le pays. Et d’un autre côté, le Turkménistan continue d’apparaitre dans les actualités mondiales pour les sujets les plus divers, comme l’interdiction des salons de beautés ou la publication d’une photo de la femme de l’ex-président.

Le soft power du Kirghizstan : récits et projets

Selon les indices de soft power existants, le Kirghizstan ne s’en sort pas très bien. Les indices Anholt-Ipsos NBI, IfG/Monocle et Portland’s top 30 mesurent des indicateurs liés : business et innovations, exportations et investissements, gouvernance et diplomatie, culture et éducation, bien-être humain, tourisme et immigration. Alors que le Kirghizstan réalise de belles performances pour la culture et le tourisme, les autres sphères laissent à désirer.

Par exemple, les indicateurs économiques sont, pour le moins, insatisfaisants. Les indicateurs de la gouvernance ne sont pas très hauts non plus : le Kirghizstan occupe la 118ème place sur l’indice de développement humain et est un pays non libre selon la notation de Freedom House. Il s’agit seulement d’une partie des divers moyens pour mesurer le succès d’un pays, mais le Kirghizstan est en retard sur de nombreux indicateurs et ne donne pas l’impression d’être un acteur qui exploite son soft power.

Néanmoins, il ne serait pas juste de dire que le Kirghizstan ne possède pas ou n’utilise pas du tout son potentiel dans ce domaine. Il est possible de souligner trois principales tendances actuelles. Premièrement, une grande part du potentiel du soft power kirghiz, dans le passé et dans le présent, découle de succès individuels. Deuxièmement, la plupart des allusions au pays sont liées soit à des récits créés de l’extérieur et contrôlés, soit à des mentions accidentelles. En d’autres termes, le Kirghizstan manque de gestion de son image projetée à l’extérieur. Troisièmement, il existe plusieurs projets nationaux réussis et prometteurs qui méritent d’être mentionnés à ce sujet.

Un soft power basé sur des personnalités

Étant une petite nation comptant seulement sept millions de personnes, la société kirghize est très fière quand un de ses citoyens créé quelque chose de significatif dans le monde. Grâce à ces histoires individuelles de succès d’athlètes, de peintres, de scientifiques et de bien d’autres, de plus en plus de personnes en dehors du pays apprennent l’existence du Kirghizstan.

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Par exemple, en 2011, le danseur Ataï Omourzakov fait sensation dans l’émission tchèque Česko Slovensko má talent. La vidéo du spectacle devient virale. Le Kirghizstan est également connu grâce à ses athlètes, surtout féminines. Les championnes olympiques et lutteuses Aïsoulouu Tynybekova, Aïperi Medet kyzy et Meerim Joumanazarova, et aussi les combattantes d’arts martiaux mixtes (MMA) comme Valentina Chevtchenko ont à elles seules fait du Kirghizstan une nation sportive digne et ont contribué à populariser le sport et l’élargissement des possibilités pour les filles dans leur pays d’origine.

Dans le secteur des sciences et des technologies, la docteure Asel Sartbaïeva et l’ancien employé de Google Tilek Mamoutov, ainsi que de nombreux autres spécialistes, ont contribué à la création d’une image positive du Kirghizstan. Certains disent que le pays perd ses cerveaux, qui partent dans d’autres pays, mais ces personnalités remarquables contribuent toujours au développement du pays, en formant leurs compatriotes, en attirant des investissements et par de nombreuses autres façons.

Un manque de contrôle sur les perceptions

La deuxième tendance du soft power du Kirghizstan réside dans le fait qu’il est souvent contrôlé de l’extérieur. Le moteur de recherche Google donne des sources extérieures au pays à la recherche « Kirghizstan » en anglais : Wikipédia, Encyclopedia Britannica, le profil du pays par la BBC, la feuille du pays par le département d’Etat des États-Unis et bien d’autres. Cela est dû sans aucun doute à l’optimisation des moteurs de recherche, mais il est évident que du côté kirghiz, il n’y a aucun effort de fait pour influencer les résultats. Cependant, le troisième résultat de la recherche est un lien vers Découvrez le Kirghizstan, un projet d’informations touristiques financé par l’agence turque de coopération et de coordination (TIKA).

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Sur YouTube, la recherche pour le pays donne des résultats intéressants. Le premier résultat est une vidéo d’une avalanche dans les montagnes du Kirghizstan en 2022, publiée par la plateforme vidéo populaire ViralHog. En février 2023, cette vidéo compte 37 millions de vues. La deuxième vidéo la plus populaire sur YouTube est celle d’un blogueur australien qui fait une coupe de cheveux bon marché au Kirghizstan (27 millions de vues). La troisième vidéo la plus populaire, avec 22 millions de vues, est le spectacle d’Ozoda Noursaïdova, une chanteuse ouzbèke, pour les Jeux mondiaux nomades de 2018 au Kirghizstan, publiée par la chanteuse elle-même. Cependant, le quatrième résultat est un documentaire sur les enlèvements de mariées, filmé par Vice, qui tue toute perception positive possible du Kirghizstan pour un spectateur étranger.

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C’est important parce que les récits créés et contrôlés de l’extérieur réduisent à néant tous les efforts nationaux existants pour utiliser le soft power à leur avantage. Il ne faut pas supprimer ou limiter les références à un pays créées à l’extérieur, mais il convient de faire plus d’efforts et de comprendre comment tirer parti de ces possibilités pour le bien du pays. Faute de quoi, le Kirghizstan restera l’objet du soft power et non pas son sujet.

Des initiatives isolées intéressantes

Cependant, il y a des exemples réussis d’utilisation efficace de contenu étranger. Par exemple, en 2007, une société suédoise avait mené une enquête sur l’endroit où devait vivre le père Noël pour avoir la possibilité de rendre visite à tous les enfants du monde. Grâce à cette enquête, le Kirghizstan est devenu connu comme le quartier général du père Noël, et le pays s’est fait connaître dans les nouvelles mondiales d’un côté positif.

Il ne serait pas juste de ne pas mentionner certains projets nationaux réussis, qui ont contribué à contrôler le potentiel du soft power du Kirghizstan et l’utilisation de celui-ci pour l’amélioration de l’image nationale. L’un des projets les plus connus et les plus ambitieux est celui des Jeux mondiaux nomades. Fondés en 2014, les Jeux mondiaux nomades sont passés d’une initiative nationale qui vise à promouvoir les différents sports ethniques à un spectacle mondial qui migre d’un pays hôte à un autre.

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Une autre initiative nationale qui pourrait avoir un grand potentiel a été 2022, décrétée année internationale du développement durable des régions montagneuses. Cependant, pour que cette initiative internationale réussisse, le Kirghizstan doit donner l’exemple et promouvoir l’idée proposée. Une autre fenêtre d’opportunités pour la promotion du branding national a été le pavillon du Kirghizstan à l’exposition universelle de 2020 à Dubaï.

Qu’est-ce qui attend le Kirghizstan ensuite ?

Le soft power est une conception politiquement complexe qui peut être interprétée de différentes manières. Les instruments de soft power ouvrent un large spectre de possibilités dans le monde de l’information et de la numérisation. En tant qu’instrument de politique étrangère, il n’est plus le privilège des pays riches avec des ambitions mondiales. De nos jours, n’importe quelle nation et même n’importe quelle personne est capable de créer et de développer son potentiel de soft power. Les instruments du soft power ont souvent aussi des mécanismes économiques rentables car ils n’exigent pas nécessairement d’investissements importants.

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À l’heure actuelle, le soft power du Kirghizstan dans le monde est le mérite de personnalités originaires du pays et d’occasions heureuses, comme l’enquête suédoise sur le quartier général du père Noël. Pour utiliser un maximum ces possibilités, le gouvernement kirghiz doit nécessairement structurer sa conception du soft power comme un instrument de politique étrangère, analyser le potentiel existant et repérer les possibilités de promotion du Kirghizstan en tant que marque nationale.

L’État kirghiz ne semble pas encore avoir une stratégie unique de soft power. Le concept n’est pas enseigné à l’Académie diplomatique du ministère des Affaires étrangères. Ce faisant, il est important que l’État et le gouvernement comprennent comment utiliser les instruments de diplomatie publique pour la promotion des intérêts nationaux du Kirghizstan à l’étranger et être en mesure de maximiser l’utilisation du potentiel du soft power.

Les projets nationaux, étatiques et sociétaux de soft power sont extrêmement importants car ils sont capables de créer des récits et des histoires qui encouragent les intérêts du pays. Ils ne doivent pas obligatoirement raconter de belles histoires de réussite. Il est par exemple nécessaire de discuter des phénomènes négatifs comme le kidnapping des mariées. Aucun pays n’est idéal, chaque société a des aspects positifs et négatifs. Ce qui fait la réussite d’une société est sa capacité à prendre en charge son image et son futur et de contrôler son histoire.

Aïchane Charchenova
Journaliste pour Cabar

Traduit du russe par Naïs Chaudagne

Édité par Lucas Morvan

Relu par Mathilde Garnier

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