Comme l’a annoncé le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du développement (MCED) à la fin du mois d’avril, le nombre de pays bénéficiaires de l’aide au développement allemande sera réduit d’un tiers. En Asie centrale, seul l’Ouzbékistan restera un partenaire de l’Allemagne. Dans la région, cette évolution ne suscite toutefois des discussions qu’au Kirghizstan.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 20 mai 2020 par notre version allemande.
« Berlin arrête ses programmes au Kirghizstan », annoncent ces derniers temps certains titres de la presse kirghize. En cause, la réforme officiellement annoncée de la politique de développement allemande « MCED-2030 ». D’après le ministère de la Coopération économique et du développement (MCED, ou Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung en allemand), l’Allemagne stoppe son aide bilatérale au développement dans un tiers des 85 pays jusqu’alors partenaires, parmi lesquels quatre des cinq républiques centrasiatiques. Seul l’Ouzbékistan reste sur la liste.
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En Asie centrale, l’information n’a jusqu’ici suscité de discussions publiques qu’au Kirghizstan. Le 6 mai, l’ambassade allemande à Bichkek a été la seule de la région à publier un communiqué de presse sur cette réforme, tout en se voulant positive. « La décision de retrait se base sur l’évaluation selon laquelle la République kirghize ne fait plus partie des pays les plus nécessiteux de la planète », selon les termes de l’ambassade, qui rappelle l’aide au développement menée depuis 1993 et « les progrès notables réalisés par la République kirghize depuis cette époque .»
40 millions d’euros d’aide par an
Ce retrait ne signifierait pas non plus la fin des projets allemands au Kirghizstan. « Les programmes de nombreux autres ministères dans la coopération avec le Kirghizstan ne sont pas concernés par la réforme MCED », affirme le communiqué. Le ministère précise également que « dans les pays qui ne bénéficieront plus de l’aide directe de l’État suite à la réforme, nous renforçons l’action de l’Union européenne et des institutions multilatérales, ainsi que des Églises et de la société civile, et nous contribuons à des investissements dans le secteur privé ».
Interrogé par Novastan, le service de presse de l’ambassade allemande a précisé que les crédits budgétaires pour les années 2017/18 et 2018/19 représentaient un peu plus de 40 millions d’euros annuels, prioritairement orientés vers la santé et le développement durable. « Il sera possible de terminer avec succès nombre de ces activités, c’est-à-dire de les ancrer durablement dans les structures partenaires. Dans certains cas, des éléments et composantes seront possiblement repris par d’autres acteurs du développement », indique l’ambassade.
Aucun agenda précis n’a encore été élaboré pour ce retrait, d’autant que des moyens supplémentaires pourraient être débloqués dans le cadre de la crise du Covid-19. À la fin du mois de mars, le programme du MCED pour le Kirghizstan a vu une augmentation de « 500 000 euros de crédits exceptionnels pour des mesures de protection contre le coronavirus », rapporte l’ambassade allemande.
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Dans la capitale Bichkek, le bureau de la Société allemande pour la coopération internationale (SACI, ou Gesellschaft für internationale Zusammenarbeit en allemand), sera le premier touché. Il emploie environ 200 personnes et fait donc partie des acteurs les plus importants de l’aide au développement dans le pays. La grande majorité de la douzaine de projets bilatéraux et régionaux de la SACI au Kirghizstan est financée par le MCED, ce qui augure une réduction substantielle de cette entité dans les années à venir.
Le MCED, un acteur du développement parmi tant d’autres
Le retrait du MCED ne signifie aucunement la fin de l’aide internationale au développement au Kirghizstan. Le conseil de coordination des agences de développement au Kirghizstan compte actuellement 24 organisations : à côté de la SACI et de la Banque pour le crédit à la reconstruction (BCR, ou Kreditbank für Wiederaufbau en allemand), touchés par la réforme du MCED, siègent aussi, par exemple, l’ambassade de Suisse et la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD). Des représentants des donateurs se rencontrent chaque mois lors de réunions de coordination ainsi que dans 14 commissions thématiques.
Il est également possible qu’à l’avenir, une partie des moyens déployés jusqu’alors soit uniquement allouée par des acteurs multilatéraux, notamment l’Union européenne (UE). Le programme-cadre pluriannuel de l’UE, couvrant la période 2014-2020, prévoit un budget de 174 millions d’euros, ainsi que 90 millions d’euros de crédits en soutien à l’investissement. Le programme pour les années suivantes est encore en cours d’élaboration.
En outre, d’autres ministères allemands restent actifs au Kirghizstan et en Asie centrale. Ainsi demeure par exemple l’initiative environnementale « Green Central Asia » portée par le ministère des Affaires étrangères, ainsi que le programme de formation managériale du ministère de l’économie. Le ministère de l’Environnement allemand est également présent en Asie centrale depuis plusieurs années et met en place des initiatives pour la protection du climat.
Depuis les années 1990, quand le Kirghizstan était décrit comme un îlot de démocratie en Asie centrale, l’aide au développement y a pris une importance considérable. La forte activité des acteurs internationaux a conduit certains commentateurs à désigner le pays comme un « protectorat mondial ». D’après la Banque mondiale, l’aide officielle au développement y a représenté plus de 5 % du Produit intérieur brut (PIB) en 2018, soit le plus haut niveau en Asie centrale.
Le gouvernement critiqué
D’un autre côté, une aide au développement trop significative peut également mener à des comportements de dépendance. « Quand, dans de nombreux domaines, le gouvernement n’a ni vision ni idée, nous acceptons des prêts et des subventions d’organisations donatrices qui déroulent leurs programmes », commente la députée d’opposition Natalia Nikitenko dans un article du média kirghiz Tazabek. « Souvent, les donateurs se font concurrence et plusieurs projets sont destinés au même secteur. Tout est fait en double, le suivi est très difficile, les choses s’accumulent et finalement, ça n’a aucun effet et c’est la déception », ajoute-t-elle, expliquant la fin de l’aide bilatérale allemande par un manque de confiance.
Ce faisant, cette réforme du MCED attise au Kirghizstan les critiques contre le gouvernement, dans un contexte déjà marqué par la crise du coronavirus et de récents scandales de corruption. La grande majorité des commentaires sous les articles relatifs à la fin de l’aide allemande au développement pointent la responsabilité du gouvernement. « Personne ne voudrait travailler avec cette bande de mafieux et de contrebandiers », commente par exemple un lecteur sous l’article consacré au sujet du média kirghiz Kaktus.
« On ne peut rien accorder à un pays corrompu, où l’argent n’enrichit qu’une strate, elle-même corrompue, de la société, et n’est d’aucune aide pour la population », estime de son côté le politologue Toktogoul Kaktchekeyev dans un article du média kirghiz Vesti.kg. D’autres experts interrogés expliquent cette décision par des motifs politiques, notamment la récente confirmation de la condamnation à perpétuité du journaliste activiste des droits de l’Homme, Azimjan Askarov.
Une voie vers davantage d’indépendance
La réforme du MCED se heurte également à des critiques en Allemagne. D’après le porte-parole délégué au développement du groupe des Verts au Bundestag, Uwe Kekeritz, « l’aide au développement (…) du ministre Müller est surtout conçue en fonctions d’intérêts géopolitiques. La nouvelle liste de pays montre clairement que la préoccupation principale du ministère de la Coopération économique et du développement réside dans le contrôle des migrations et la sécurisation des frontières en Afrique ». D’après la Banque mondiale, l’Allemagne est, certes, la source la plus importante, après la Russie, de fonds envoyés par des migrants vers le Kirghizstan, néanmoins le pays ne devrait représenter qu’un enjeu limité dans la politique migratoire allemande. Selon le projet du MCED, le manque d’enclin pour les réformes et l’insuffisance de résultats pourraient en constituer un facteur supplémentaire.
Cela s’appliquerait toutefois moins au cas du Kirghizstan : selon une source institutionnelle de l’aide allemande au développement au Kirghizstan, les évènements politiques récents n’ont vraisemblablement pas joué de rôle décisif dans le retrait du MCED. Malgré des problèmes évidents en matière d’aide au développement, la coopération avec les autorités kirghizes fait majoritairement l’objet d’appréciations positives. En outre, le processus de réforme et de retrait de programmes bilatéraux du MCED est en cours depuis plus d’un an à Berlin.
« L’objectif de l’aide au développement est de se rendre superflu », ajoute-t-il. En ce sens, la réforme du MCED pour le Kirghizstan constitue également un pas vers plus d’autonomie. Certains commentateurs kirghiz sont également de cet avis, à l’instar de l’expert politique Émile Djoroyev. « Le Kirghizstan appartient déjà depuis plusieurs années aux pays à revenu intermédiaire (le Kirghizstan appartient depuis 2014 aux pays à revenu intermédiaire inférieur, ndlr). D’autres pays donateurs peuvent imiter l’Allemagne. Pour nous, cela devrait être un signal d’alerte. Nous devons nous assumer nous-mêmes en tant qu’État », a-t-il affirmé à Radio Azattyk, la branche kirghize du média américain Radio Free Europe.
Florian Coppenrath
Auteur pour Novastan
Traduit de l’allemand par J.G.
Edité par Anne Pouzargues
Edit: Une première version de cet article évoquait que l’allemagne était la deuxième source « d’expulsions de migrants » vers le Kirghizstan. Il s’agit en réalité d’envois de fonds.
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