L’Agence pour l’emploi à l’étranger de Bichkek n’est pas encore ouverte, mais les jeunes hommes sont déjà nombreux à attendre l’ouverture des portes. Bakyt, 25 ans, marié, avec deux enfants, est l’un d’entre eux. Déterminé, il veut trouver du travail à l’étranger : « J’ai honte de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ma famille ». Il veut partir pour ses enfants, et « envoyer suffisamment d’argent pour les entretenir, les habiller et les éduquer ».
Un autre jeune homme, Mirlan, est déjà venu à l’agence plusieurs fois. Indécis, il ne sait pas quoi faire de son avenir : « J’ai 22 ans et je viens de terminer mes études en architecture. Devenir architecte était un rêve d’enfant : « J’imaginais comment notre ville pouvait devenir belle ». Aujourd’hui, il remarque juste que Bichkek « s’agrandit de manière si chaotique ». Vendeur sur les marchés, il se désole de sa vie au Kirghizstan. Bientôt, il espère avoir l’opportunité de partir en Turquie.
Une migration économique
La chute de l’Union soviétique a entraîné une hausse du chômage et de la pauvreté au Kirghizstan, ex-république soviétique. La mauvaise situation économique a provoqué à la fois une migration intérieure – des villages aux villes – et extérieure, vers les pays en meilleure santé économique.
Ces dix dernières années, les causes et la nature de cette migration ont changé. Dans les années 1990, ce sont les russes, les ukrainiens et les allemands qui quittaient le Kirghizstan pour leurs patries historiques, à la recherche d’une vie meilleure. Aujourd’hui, ce sont majoritairement des kirghizes. Ils partent pour des raisons économiques, pour garantir une vie descente à leurs familles restées au pays.
Les statistiques officielles manquent sur le nombre de kirghizes partis à l’étranger. Evgeny Vinokurov, directeur du Centre d’études sur l’intégration à la Banque eurasienne de développement, estime à un million le nombre de nationaux résidents à l’étranger. Un chiffre qui représente environ 20% de la population totale. Les données de la Banque mondiale confirment que les fonds envoyés par les migrants kirgizes sont loin d’être négligeables pour l’économie du pays. Ils représentent près d’un tiers du PIB national. Le taux le plus élevé après le Tadjikistan et le Libéria.
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Selon le ministère kirghize du travail, de la migration et de la jeunesse, les deux destinations principales des migrants sont la Russie et le Kazakhstan. La demande est grande dans ces pays du fait des changements démographiques et d’un taux de croissance économique élevé. D’autres pays, comme la Corée, la Turquie, les Emirats Arabes Unis, accueillent également de nombreux travailleurs kirghizes. D’après les sources ministérielles, même si certains migrants trouvent du travail dans le cadre de la coopération officielle, dans la plupart des cas, les migrants préfèrent partir et travailler de manière informelle. Sans papier, cette main d’oeuvre est la plus vulnérable et la plus précaire.
Un retour au pays incertain
Ces cinq dernières années, Cholpon, 58 ans, a travaillé comme vendeuse dans l’un des grands supermarchés de Moscou. Elle pensait rentrer après un an de travail. Récemment, elle a décidé de prendre la nationalité russe. « Je ne voulais pas quitter mon pays » explique-t-elle, « mais mon salaire était trop bas pour vivre et prendre soin de ma famille ». En émigrant en Russie, elle a pu payer les études de ses enfants. « Je continue de leur envoyer de l’argent, même s’ils ont maintenant leur propre famille », précise-t-elle.
D’autres kirghizes quittent le pays dans l’espoir d’accéder à une meilleure éducation. Après un cursus de trois ans à l’université des sciences humaines de Bichkek, Aïdjamal est partie étudier aux États-Unis. « J’ai compris qu’il n’y avait pas de perspectives pour moi ici », dit-elle, désillusionnée, « mon pays ne pouvait pas répondre à mes attentes ». Elle trouve qu’il est devenu difficile d’avoir une bonne éducation au Kirghizstan. Aïdjamal espère réussir aux États-Unis, et revenir un jour « à (s)a patrie ».
Malgré les problèmes économiques et sociaux présents au Kirghizstan, la plupart des migrants expriment l’envie de retourner au pays, pour de bon. Le temps déterminera si ce pays est capable de leur offrir une chance de réaliser leurs souhaits.
Julia Lavrenko
Rédactrice pour Francekoul.com
(Formation ESJ “Le reportage de A à Z”)
Traduit par Jaynagul Dolotbekova
Relu par Isabelle Klopstein