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« Nous sommes plus Russes que Coréens » : biographie d’une Coréenne au Kazakhstan

La minorité coréenne du Kazakhstan s'est bien intégrée dans le pays. Si ces familles ont souvent connu la déportation et la discrimination, aujourd’hui les Coréens du Kazakhstan se sont installés et ont monté leur affaire. Leur faculté d'adaptation et leur ténacité suscitent l'envie.

Coreens au Kazakhstan
Culture coréenne au Kazakhstan (illustration).

La minorité coréenne du Kazakhstan s’est bien intégrée dans le pays. Si ces familles ont souvent connu la déportation et la discrimination, aujourd’hui les Coréens du Kazakhstan se sont installés et ont monté leur affaire. Leur faculté d’adaptation et leur ténacité suscitent l’envie.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 25 octobre 2003 par le média allemand Neues Deutschland.

En 1944, pour son premier anniversaire, Vera Kim (le nom a été modifié) a choisi le riz. Le premier anniversaire d’un enfant est l’occasion d’une grande fête chez les Coréens, toute la famille est invitée. Différents objets sont alors présentés à l’enfant : des grains de riz, des cristaux de sel, des crayons, des pièces de monnaie, une aiguille et du fil ou des bonbons. Si l’enfant saisit le morceau de charbon, cela signifie qu’il n’aura jamais froid. S’il prend la bobine de fil, il deviendra tailleur. Si l’enfant choisit les grains de riz, alors il mangera toujours à sa faim. « Peut-être ai-je effectivement moins souffert de la faim que d’autres », confirme Vera Kim.

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Vera Kim habite aujourd’hui avec son mari d’origine allemande dans la ville minière de Roudny, dans le nord du Kazakhstan. Ils aiment bien boire et manger et ont l’air satisfait de leurs conditions de vie ici, « même si, en Union soviétique, il était possible de voyager davantage », nuance Vera Kim.

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« Ici, viens ici ! », lance-t-elle régulièrement en français à sa petite-fille âgée de six ans. Professeure de français retraitée, elle voudrait faire de sa petite-fille une « cosmopolite », en l’absence de sa mère qui travaille. « Notre force, c’est de pouvoir nous adapter partout où nous vivons », décrit Vera Kim.

Une déportation de masse

Il y a 66 ans, en plein cœur de l’hiver, ses parents et quatre de ses huit frères et sœurs ont été déportés d’Extrême-Orient vers les steppes kazakhes en wagons à bestiaux. D’après les chiffres officiels soviétiques, 180 000 Coréens ont été « évacués » lors de ce transfert forcé des régions proches de la Chine et du Japon vers les républiques d’Asie centrale, à partir de septembre 1937. La raison officielle, encore répétée aujourd’hui : éviter que des espions japonais ne viennent se mêler à la population d’origine coréenne.

Le fait que le père de Vera Kim ait travaillé lui-même pour le Commissariat du peuple aux affaires intérieures, le NKVD, jusqu’à sa déportation souligne bien le caractère radical de cette mesure. « Au Kazakhstan, nous vivions dans des trous creusés à même le sol », raconte Vera Kim. « Nous garnissions de briques les parois de la fosse et nous posions un toit par-dessus, un lit de camp, un poêle : c’était tout ce que nous avions. Des milliers de gens n’ont pas survécu au transport et aux températures glaciales en hiver », décrit l’exilée.

Une intégration réussie

Les Coréens contrôlent depuis le tournant des années 2000 une grande partie du marché des denrées alimentaires au Kazakhstan. Leurs salades sont célèbres, pyramides de légumes marinés, de champignons, de viande et de poisson qu’ils vendent sur les marchés. Ils gèrent quantité de petits restaurants où la vodka coule à flot. Sur commande, il est possible de déguster chez ces restaurateurs coréens de la viande de chien, frite ou accommodée en soupe. « Il n’y a pas de pauvres chez les Coréens », disent les Kazakhs, souvent avec une pointe d’envie dans la voix. « Un Coréen qui se respecte n’a pas le droit de mendier. Ils arrivent à s’élever dans la société en vendant des herbes, du poisson et du riz », ajoute Vera Kim.

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Plus encore que les Allemands, les Coréens passent au Kazakhstan pour travailleurs et habiles en affaires. Depuis le début des années 1990, après la dissolution de l’URSS et l’établissement de relations diplomatiques entre la Corée du sud et les pays de la Communauté des États indépendants, les hommes d’affaire et les missionnaires de Corée du Sud entretiennent des contacts actifs avec le Kazakhstan.

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Vera Kim a épousé Jakob Eberhard dans les années 1960.  Les mariages mixtes sont plus courants chez les Coréens que chez les Russes par exemple, ou chez les Kazakhs, les Allemands et les Tchétchènes. Ceci tient en partie au fait qu’aucun territoire spécifique ne leur avait été attribué lors de leur transfert : ils avaient été répartis dans toute l’Asie centrale. Aucune susceptibilité nationaliste n’oppose Vera Kim et Jakob Eberhard.  Leur première fille est selon l’indication portée sur son passeport kazakh de nationalité allemande, la deuxième de nationalité coréenne. « La première est catholique, la seconde, bouddhiste », plaisante Jakob Eberhard.

Des discriminations sous l’URSS

Tout comme les Allemands de Russie, les Coréens ont été victimes de discriminations à l’époque stalinienne (1922-1953). Ils ont été incorporés dans l’Armée du travail (Трудовая армия) et toute carrière universitaire leur a longtemps été interdite. Ces restrictions s’assouplirent après la mort de Joseph Staline. En 1941 le père de Vera Kim a combattu au front contre la Wehrmacht, ce qui lui valut sans doute une autorisation, après la guerre, de suivre des études par correspondance à Tachkent, l’actuelle capitale ouzbèke.

En Extrême-Orient, les Coréens avaient encore leurs écoles, mais au Kazakhstan leur langue a été interdite. Vera Kim, comme 75 % de ses compatriotes, ne parle plus le coréen ; ses filles parlent le russe et le kazakh, qui s’impose de plus en plus comme la langue officielle. Ce n’est que depuis le début des années 1990 que la minorité coréenne s’organise en associations à but essentiellement folklorique.

La serre dans le jardin, marqueur des Coréens

Peu à peu la situation économique et professionnelle des Coréens s’est stabilisée, au cours des années 1960 et 1970. Ils ont été autorisés à revenir sur leur territoire d’origine, mais beaucoup sont restés là où ils étaient. Les déportés de deuxième génération s’étaient intégrés. Les plus doués pour les affaires profitaient de surcroît de l’économie souterraine soviétique. Ils pouvaient réaliser d’importants bénéfices de la vente de plats coréens (comme les kimchis), de légumes séchés, de sundaes (sortes de saucisse) ou de fleurs. Beaucoup de Coréens ont construit une petite serre dans leur jardin.

Contrairement aux Allemands de Russie, la minorité coréenne n’a pas la possibilité d’émigrer pour rejoindre « la mère patrie ». La Corée du Sud ne permet l’entrée sur son territoire qu’aux retraités, et les Coréens du Kazakhstan n’ont nulle envie d’aller en Corée du Nord. La situation économique là-bas n’est pas la seule chose qui les effraie. « Nous sommes  plus Russes que Coréens », explique Vera Kim. Et pourtant, son mari a fait une demande d’émigration pour la famille vers l’Allemagne. « Rien n’empêche d’essayer », dit-il en souriant, tandis que Vera Kim raconte combien elle avait trouvé intéressant de rencontrer à l’aéroport de Paris un Coréen émigré d’Extrême-Orient vers les États-Unis.  « Peu importe où, nous nous reconnaissons tout de suite », confie-t-elle.

Lennart Lehmann
Journaliste pour Neues Deutschland

Traduit de l’allemand par Bruno Cazauran

Édité par Carole Pontais

Relu par Anne Marvau

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