Au Kazakhstan, les minorités sexuelles vivent cachées et sont obligées de mener une double vie. Alors que le pays a légalisé en 1998 les relations entre personnes de même sexe, les discours de haines, les menaces, les gestes d’intimidation et les attaques envers les personnes homosexuelles sont courants. Par ailleurs en février 2015, le parlement kazakh avait passé une loi sur « la propagande homosexuelles chez les jeunes », calquée sur celle que la Russie a appliquée en 2013. Néanmoins elle a été révoquée par la Cour Constitutionnelle.
Il existe très peu de chiffres récentes quant à la situation de la communauté LGBT. La dernière étude menée à ce sujet a été publiée en 2009 par la Fondation Soros-Kazakhstan. Sur 1000 personnes homosexuelles interviewées, 81% considéraient que les gays et lesbiennes « devaient sans cesse affronter à la réprobation de la part de la population en général et n’étaient jamais respectés ». Dans le dernier rapport de Freedom House, le Kazakhstan obtient la note de 5/7 quand il s’agit des libertés civiles, 7 étant la pire note.
Novastan traduit, en trois parties, un reportage sur la jeunesse LGBT au Kazakhstan, publié par theopenasia.net.
Elle a accepté de nous voir, cette jeune et jolie jeune femme, de petite taille et élégante. Nous nous sommes rencontrés. Elle s’appelle Nastasia, elle a 18 ans et est étudiante à l’université afin de devenir enseignante. Elle est bisexuelle, enfin, plutôt « pansexuelle », puisqu’elle peut aimer autant les hommes que les femmes. Nastasia peut éprouver une attirance émotionnelle et sexuelle pour les hommes et pour les femmes, le genre de l’individu importe peu.
« J’étais toujours aimé aller aux toilettes avec des jeunes filles. Je sais que cela peut sembler idiot, confie Nastasia. Mais quand j’avais 14 ans, que l’amitié que j’avais construite avec un des filles était très forte. Je me demandais alors: « et si c’était plus que de l’amitié ? »
« Si je souhaiterais que mes enfants aient à l’école une telle enseignante ? Bien sûr, oui. Je ne serais pas contre que Nastasia soit l’une d’entre elles. Elle est cultivée, intelligente et sait même être ironique. C’est une femme moderne et qui a plein de tact. » [raconte une personne de l’entourage de Nastasia].
Cela fait presque une heure que Nastasia parle d’elle et de ce qui lui est déjà arrivé dans sa courte vie… Les jeunes LGBT existent au Kazakhstan. Ils marchent ensemble, dans les mêmes rues, s’assoient derrière le même pupitre et prennent le même autobus. Mais nous ne les remarquons pas. Ils sont obligés de mener une double-vie. Une première, publique et une deuxième, vie privée, où ils dévoilent leur réelle identité. Le journal web theopenasia.net a recueilli les histoires de certains de ces jeunes, a découvert leurs sujets de discussions et a rencontré des adolescents qui ont osé se dévoiler.
« Ignorante à l’époque, j’ai partagé mes peurs avec ma mère, mes angoisses de me sentir attirée par une jeune femme. Mais contrairement à ce que je m’attendais, la réaction de ma mère a été extrêmement dure et négative. Elle m’a interdit de me connecter sur Internet, de mentionner le prénom de cette jeune femme et a jeté toutes ses photos qui étaient dans ma chambre. En fait, elle a effacé tout ce qui pouvait me faire penser à celle que j’aimais. Elle me rappelait sans cesse : » ce n’est pas bien, Nastia. Mon Dieu, je veux avoir des petits-enfants ! ». Je suis en général quelqu’un d’extroverti, de très ouvert. J’ai donc naturellement parlé de cela à tous mes amis. Et comme cela peut arriver à l’école, tout le monde était au courant de ce que j’avais dit, de la 6ème à la terminale. »
Nastasia se rappelle que, suite à cela, sa vie s’est arrêtée.
« Les gens entretenaient une relation agressive-passive avec moi. A la cantine, un camarade de classe pouvait chuchoter derrière moi : « Les hommes c’est mieux, tu sais cela ?! » «
Nastia est une jeune femme meurtrie. Tout ce qu’elle a vécu l’a beaucoup affaiblie. Mais le pire c’était à la maison.
« Ensuite, c’est mon beau-père qui l’a appris. Il m’a interdit d’être à la maison. J’ai squatté ça et là, chez différents amis pendant 6 mois… « . Quand Nastasia raconte, on aimerait sans cesse lui redemander quel âge elle avait à ce moment-là. Elle avait 16 ans seulement. « Ma mère a eu très peur, mais elle ne savait pas comment faire. Vous pouvez vous imaginer, ce que cela signifie quand tu dois d’un seul coup partir et couper toute relation avec ta famille, une relation qui s’est construite pendant 10 – 15 ans ? Quand je vivais chez mes amis, ma mère a pris une décision. Elle a dû choisir entre ses deux filles. Et finalement, ma mère et moi avons dû nous séparer de mon beau-père et de mes sœurs. Comment ma mère a vécu cette séparation, je ne sais pas. Elle continue d’entretenir une relation avec ma sœur, elles se voient toujours. Mais en réalité, elle a dû faire un choix. Et je suis très fière, qu’elle ait choisi de vivre avec moi. Si elle était restée avec mon beau-père, cela aurait été vraiment dur pour moi. »
Aujourd’hui Nastasia étudie à l’université pour devenir enseignante. Mais on continue de se comporter de la même façon avec elle : on lui envoie des messages à double sens, on lui fait des blagues grivoises, insultantes et dénigrantes.
« Un enseignant a vu comment j’embrassais ma copine et d’une voix très sévère m’a dit : « Anastasia, vous êtes sûre que tout va bien chez vous? ». Il s’est ensuite moqué plusieurs fois, en faisant beaucoup de gestes : « Vous ne vous êtes pas trompée d’orientation, Anastasia ? ». Et Anastasia l’a regardé ne sachant pas comment réagir « c’est un adulte, il doit sûrement rigoler. Mais est-ce que c’est vraiment drôle ? » se disait-elle.
Elle travaille à côté de ses études, en tant que nounou dans une famille. Elle a eu de la chance de tomber sur des employeurs qui semblent être des gens corrects qui ne cherchent pas à fouiller dans la vie privée des autres. Mais en fait Nastasia ne veut pas vraiment devenir enseignante. En tout cas pas dans ce pays. Selon elle, dans le système éducatif et dans la société kazakh on ne considère pas l’être humain comme individu.
« Vous pouvez vous imaginer, vous, ce que c’est que de garder un secret tout le temps ? C’est très dur. Surtout quand cela concerne une part de ta vie. Dans notre société il est plus simple se cacher derrière une image hétérosexuelle. Mais est-ce que ça doit vraiment être comme ça ? Pourquoi les gens ne peuvent pas révéler leur identité ? Si j’arrive au travail et je dis : « Bonjour ! J’aime faire du modelage ! » On me dirait : « C’est super ! ». Mais si je dis : « Bonjour, je vois une jeune femme en ce moment… » Qu’est ce que j’entendrais ? Des paroles abominables ! Enfin c’est un trait particulier de ma personnalité et c’est ma façon d’envisager ma vie. Si on approfondit cela chez un neurologue, en approfondissant, un neurologue dirait que tout cela se construit dans la tête. Et cela n’est en rien anormal – c’est juste être une personne différente. »
Ensuite la jeune femme raconte qu’elle a arrêté de se fier aux simples théories et a compris comment s’était développée son orientation sexuelle, comment elle s’est construite. Elle s’est aperçue que les environnements sociaux influent sur les goûts et attirances envers hommes ou femmes. Maintenant elle est prête à vivre l’amour. En tout cas aujourd’hui. Mais un adulte, qui souffre de cette situation particulière « non traditionnelle », ne peut pas comprendre ce qui lui arrive et souvent il rejette le monde qui l’entoure. Nastia a même pensé à se suicider. Elle a changé d’avis : elle a compris, dit-elle, « qu’être gay ou lesbienne, c’est comme infliger des coups à son entourage ».
En Russie, l’homophobie est quelque chose d’extrêmement banal comme l’a rappelé Nastasia. Le film « Les enfants du 404 », tourné par des défenseurs LGBT, montre l’ampleur de ce fléau.
Mais au Kazakhstan, il est impossible de montrer un tel film. L’homophobie dans la république s’exprime autrement. Nastasia et les autres témoins du reportage de theopenasia.net ont expliqué les différentes facettes de l’homophobie au Kazakhstan. L’exposition « Être soi-même » dans la galerie Bunker était une manière de vouloir réconcilier la société kazakhe avec la jeunesse LGBT. Cette exposition a été financée par le fond Abbie Hoffman.
Arina Osinovskaya, une activiste qui travaille pour cette organisation, précise que le reportage photo a été réalisé par l’artiste moscovite Maria Gelman dont chaque portrait était rattachée à une histoire personnelle. « L’exposition s’est d ‘abord déroulée à Moscou mais elle a été sous le feu de vives critiques et victime de comportements homophobes. Nous avons décidé de continuer l’exposition à Almaty [au Kazakhstan]. Au début nous avons imprimé les photos, les biographies de chaque personnage que nous avons ensuite collées dans toute la ville. Puis, une semaine plus tard, nous avons recueilli les réactions des citadins. Il y aussi eu une vidéo qui filme le moment où l’on a essayé de nous attaquer et de prendre notre matériel. Nous avons présenté tout cela à l’exposition. »
L’exposition a été présentée le 17 mai 2015, le jour mondial contre l’homophobie puis le 11 octobre, lors de la journée internationale du « coming-out ». A en juger par les photos prises lors de l’exposition, la salle était loin d’être vide. Selon les organisateurs, à la suite de l’exposition, beaucoup de personnes sont venues nous voir pour nous remercier et nous féliciter de ce travail.
Les réactions homophobes des Kazakhs montrent parfaitement que la question de la sexualité homosexuelle pose encore un problème. « Le fait qu’on n’en parle pas ne présage rien de bon » explique Arina Osinovskaya. « Pourtant, au même moment, le grand nombre de visiteurs lors de l’exposition montre bien qu’il n’y a pas encore assez d’événements de ce type. Les visiteurs ne veulent ni regarder ni lire des histoires qui ont lieu à l’étranger mais veulent comprendre leur société, dont une partie se sait discriminée, vit dans la peur d’être attaquée et sait que sa vie est en danger. Il faut faire preuve d’enthousiasme en créant un espace ouvert à la discussion et où l’on n’a pas peur d’être soi-même. Les jeunes LGBT sont parmi les personnes les plus discriminées, vulnérables et invisibles dont les problèmes et l’existence sont encore reniés. Mais ils existent bien et ils agissent pour être entendus. Notre exposition est juste notre manière de montrer notre solidarité citoyenne avec eux. »
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Reportage de Marina Mikhtayeva
Traduit du russe par Pablo Garcia