Le 12 août prochain, les présidents des cinq Etats côtiers se rencontreront à Aktau, au Kazakhstan, pour discuter et préciser le statut de la mer Caspienne, sujet de discorde depuis la chute de l’URSS. Le sommet revêt une importance économique et géopolitique de premier ordre pour le commerce entre le Moyen-Orient, le Caucase, la Russie et l’Asie centrale.
Le plus grand port de la mer Caspienne accueillera ce dimanche un sommet décisif pour le statut de ces eaux maritimes très riches en ressources énergétiques. Il regroupera des délégations d’Azerbaïdjan, d’Iran, du Kazakhstan, de Russie et du Turkménistan. Après deux décennies de négociations difficiles, les cinq présidents devront s’entendre sur la délimitation de leurs emprises maritimes respectives, l’exploitation des ressources et la sécurité internationale sur ces eaux.
Si la Russie s’est annoncée très confiante envers ce sommet par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, les délégués azéris et iraniens se sont montré bien plus réservés. Le ministre des Affaires étrangères azéri, Elmar Mammadyarov, a indiqué que de nombreux sujets étaient encore en cours de discussion. Du côté iranien, le diplomate Ebrahim Rahimpour a précisé que l’Iran n’avait accepté aucune répartition des eaux de la Caspienne pour le moment et que le suggérer serait « un commentaire faux et infondé, trompant l’opinion publique ».
Le statut juridique de la Caspienne
L’une des principales questions que le sommet devra résoudre est celle de savoir si la Caspienne est à définir juridiquement comme une mer ou comme un lac. Son étendue de près de 387 000 km2 en fait le plus grand plan d’eau du monde. Ne possédant pas d’accès direct à l’océan, la Caspienne n’est pas une mer, mais ne peut être non plus définie comme un lac du fait de sa taille.
Ce choix juridique est de première importance en ce qu’il déterminera la répartition des eaux de la Caspienne entre les cinq Etats. S’il est décidé de définir la Caspienne comme un lac, les Etats côtiers disposeront de 20% de ses eaux, et ce peu importe la taille de leur littoral. L’exploitation des ressources et les profits en résultant seraient répartis de manière égalitaire entre les cinq Etats. De plus, chaque gouvernement pourrait mettre son veto aux projets de son voisins lorsqu’il les désapprouve.
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Au contraire, si la Caspienne était définie comme une mer, alors ses eaux seraient réparties entre les Etats côtiers en fonction de la taille de leur littoral. La convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) pourrait s’appliquer et les zones économiques exclusives (ZEE) seraient calculées proportionnellement aux côtes nationales. On note qu'aucun des cinq Etats côtiers n’a ratifié cette convention à ce jour.
Il n’est pas surprenant que l’Iran, possédant une partie restreinte du littoral, milite pour la première option, tandis que l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan défendent la seconde. Le Kazakhstan serait le grand gagnant de la classification de la Caspienne comme « mer ».
La position russe est plus ambiguë. Il est possible que les délégués russes plaident pour la qualification de lac, ce qui permettrait à la Russie d’obtenir une mainmise sur la Caspienne plus importante que ce que ses côtes lui permettent, tout en gardant son mot à dire sur les projets de ses voisins, notamment les projets de pipelines. L’option la plus probable est que la délégation russe propose un statut spécial pour la mer Caspienne. « La mer Caspienne devrait obtenir un statut juridique spécial du fait de ses caractéristiques géographiques, hydrologiques et plus encore. (...) Il s’agit d’un plan d’eau continental qui n’est pas directement relié aux océans, donc elle ne peut être considérée comme une mer », a déclaré Grigory Karasin, le vice-ministre russe aux Affaires étrangères.
Des ressources énergétiques conséquentes
Le sommet sera décisif également en ce que ses conclusions auront des répercussions sur le marché économique de toute la région. L’exploitation des ressources énergétiques a attiré de nombreux grands groupes et investisseurs internationaux dans la zone, ce qui complique encore la définition du statut. Chacun des Etats côtiers cherchera à conserver ou accroître son emprise sur les eaux riches en gaz et en pétrole, dont toutes les réserves n’ont pas encore été découvertes.
Les projets d’exploitation de gaz et de pétrole, telle que la Trans-Caspian Pipeline (TCP), le Trans-Anatolian (TANAP), ou encore la Trans-Adriatic Pipeline (TAP), seront affectés par les décisions du sommet, selon la redistribution des zones disputées : les projets de pipelines seront autorisés à aboutir si la Caspienne est classée comme une mer. Restera la question de leur tracé et de leurs répercussions économiques, notamment pour la Russie, dont les intérêts ne seront pas servis par ces nouveaux pipelines.
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La résolution des discordes quant à la délimitation des emprises nationales sur la Caspienne permettra également de relancer des projets qui avaient été abandonnés. Cela permettrait notamment d’éliminer les obstacles restants à l’exploration et au développement des combustibles fossiles : cela représente près de 20% des projets de forage dans la mer Caspienne.
Une position géostratégique majeure
La mer Caspienne revêt une importance géopolitique vitale pour l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan, trois pays enfermés dans les terres et qui ne disposent pas d’autre accès maritime que la mer Caspienne. En ce qui concerne la Russie et l’Iran, s’ouvrant sur d’autres eaux, la Caspienne conserve son importance de par ses immenses ressources énergétiques et son intérêt géopolitique.
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La Caspienne est également une zone militaire stratégique. La Russie, plus grande puissance militaire de la région, possède notamment une base navale importante à Astrakhan, tandis que les Etats-Unis forment et arment la marine azérie pour maintenir leur influence sur la Caspienne, et que l’Iran vise à renforcer son emprise militaire sur ses côtes.
Les enjeux économiques, géopolitiques et stratégiques de la Caspienne font du sommet de ce dimanche un événement décisif pour la région entendue au sens large. Les investisseurs internationaux, les gouvernements des Etats côtiers comme leurs partenaires économiques suivront de près les conclusions du sommet. La classification juridique des eaux de la Caspienne, en tant que mer ou que lac, déterminera la répartition des ZEE et donc des ressources énergétiques et de la circulation des navires commerciaux et militaires.
A ce jour, 90% des travaux préparatoires du sommet ont été approuvés par les cinq Etats. Un accord entre les cinq Etats serait une première après plus de vingt ans de différends et de négociations, dix rencontres interministérielles et quatre sommets entre les présidents des Etats côtiers. Toutefois, si de nombreux signes diplomatiques sont encourageants, des différends persistent entre les cinq Etats et il faudra attendre les conclusions du sommet pour connaître le statut juridique définitif de la Caspienne.
Tiphaine Gaudin