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Les élections dans l’histoire kazakhe : pourquoi la « démocratie des steppes » est un mythe

Indépendant depuis 1991 de l'URSS, le Kazakhstan n'a pour l'heure pas connu d'élection libre. Alors que certains pointent la nouveauté que sont les élections dans l'histoire du pays, d'autres mentionnent une "démocratie des steppes", héritée de Gengis Khan et qui expliquerait la tournure non-démocratique des élections actuelles. Plongée dans l'histoire du pays le plus vaste d'Asie centrale.

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Gengis Khan est le premier exemple connu d'élection au Kazakhstan actuel.

Indépendant depuis 1991 de l’URSS, le Kazakhstan n’a pour l’heure pas connu d’élection libre. Alors que certains pointent la nouveauté que sont les élections dans l’histoire du pays, d’autres mentionnent une « démocratie des steppes », héritée de Gengis Khan et qui expliquerait la tournure non-démocratique des élections actuelles. Plongée dans l’histoire du pays le plus vaste d’Asie centrale.

Novastan reprend et traduit ici un article initialement publié le 10 mai 2019 par le média kazakh informburo.kz.

Note à nos lecteurs : Alors que l’élection présidentielle du 9 juin 2019 approchait, le média kazakh informburo.kz s’interroge sur les aspirations démocratiques des Kazakhs. L’élection sera remportée par Kassym-Jomart-Tokaïev, dauphin désigné du premier président kazakh Noursoultan Nazarbaïev. Cet article reste intéressant pour son angle historique qui permet de mieux comprendre d’où vient le Kazakhstan. Bonne lecture !

Dans les mois avant l’élection, il n’est pas rare de croiser des critiques envers le système électoral kazakh. Effectivement, des accusations comme « élections sans véritable choix », « sans alternatives », « bourrages d’urnes », « trucage des votes » reviennent assez fréquemment.

Si l’on demande pourquoi il n’est pas aussi simple d’organiser au Kazakhstan des élections telles qu’elles sont attendues par la population, on vous répondra sans doute « Qu’est-ce que vous voulez ? Les Européens ont développé un système démocratique au bout de centaines d’années, nous, on le construit depuis seulement 30 ans. »

Cependant, les partisans de l’idée de la décolonisation ont adopté un autre point de vue. Selon eux, le peuple kazakh est l’héritier de l’ancienne tradition de la « démocratie des steppes ». La base de ce type de démocratie ne repose pas seulement sur l’élection de khans, les chefs de jadis, mais aussi sur l’élection des biys, qui avaient une grande importance dans les décisions de la justice. Il existait aussi des akyns, de talentueux chanteurs qui n’avaient pas peur de critiquer ouvertement le pouvoir et d’orienter le débat vers les problèmes urgents que l’on peut associer dans le monde contemporain à une sorte de « quatrième pouvoir ».

D’après les adeptes de l’idée de la décolonisation, cette tradition a été la victime de la domination de l’Empire russe puis du pouvoir soviétique. Les institutions politiques actuelles ne recherchent pas à refléter les anciennes traditions des steppes mais juste à copier le modèle européen. Comment démêler le vrai du mythe ? Retour sur l’histoire politique du Kazakhstan depuis le XIIIème siècle.

L’idéal politique de Gengis Khan

Il est admis que Gengis Khan (1162-1227) a refondé les structures administratives et politiques des terres qu’il a conquises, dont le Kazakhstan actuel, fournissant ainsi une base de société propice au développement pour plusieurs siècles.

Dans le célèbre livre Envolés sur le tapis blanc paru en 2001, Toursoun Soultanov avance que l’approche de la succession est contradictoire. D’un côté, « l’idéal politique » que Gengis Khan lègue à son peuple veut que ce soit le membre issu du « rang doré » le mieux capable et le plus raisonnable qui prenne le pouvoir. Les autres princes le reconnaissent alors comme une bénédiction. D’un autre côté, il a désigné Ögedeï comme seul successeur, ce qui ressemble peu à une « élection en ordre ».

De plus, l’empereur lui-même n’a pas été élu. Il a été désigné khan lors du khuriltai, une assemblée politique et militaire de notables, de 1206, sans qu’il y ait eu aucune élection. Le concept même des élections était étranger à l’Empire. Erengen Khara-Davan écrit dans L’Empereur Gengis Khan et son héritage (1929) qu’il n’y avait aucune fonction soumise à une élection dans son gouvernement. En principe, cela ne peut pas être autrement dans un État où le pouvoir est concentré en une seule personne.

Toursoun Soultanov poursuit en avançant que malgré la consigne de Gengis Khan, l’élection du prince le plus apte à prendre le pouvoir ne s’est finalement pas imposée comme « le seul commandement, même le principal commandement sur les terres des gengiskhanides ». L’ordre de naissance, la succession directe et l’usurpation se sont révélées être à chaque fois les règles dominantes, s’adaptant au concours de circonstances.

La seule condition immuable est que le prétendant à la succession soit un gengiskhanide. Même quand Tamerlan (1370-1405) prit le pouvoir, il se faisait désigner comme représentant du titulaire du trône. Si l’élection du khan avait lieu, le prétendant était choisi parmi les gengiskhanides par des gengiskhanides. Il est peu probable qu’un habitant du Kazakhstan moderne soit d’accord avec le rétablissement d’un tel système politique. Cependant, et même de manière extrapolée, on ne peut pas parler de démocratie car le terme « demos » ne désigne pas une centaine de descendants d’une même lignée mais un cercle beaucoup plus large de participants.

Le Khanat du Kazakhstan et les biys comme institution

Le Khanat du Kazakhstan (1456-1847) hérite des mêmes problèmes de succession que la Horde d’Or (1243-1502), le système clanique établi par les Mongols. Néanmoins, cette succession n’avait plus autant d’importance qu’auparavant car à partir de 1359, le système autour du khan, le chef commençait à perdre du pouvoir. Le dernier khan avec une véritable influence a été Berdibeg (1310-1359). Après sa mort suit une période de 20 ans sur laquelle se succèdent 20 khans. L’historien Jaksylyk Sabitov écrit dans ses articles « La démocratie des steppes » et « Élections dans la Grande steppe » sur le média kazakh Vlast.kz que dans le Khanat kazakh, le souverain siégeait et régnait généralement dans une ville, où son autorité était formellement reconnue par beaucoup. Mais en réalité, en dehors de la ville et dans les tribus alliées proches, les souhaits et les ordres du khan n’étaient pas toujours respectés.

Cette vision de l’organisation du pouvoir du khanat est confirmée par Nurbulat Masanov (1954-2006) dans « La civilisation nomade des khans » où il indique que la fonction principale du khan était de donner le signal du début de la migration, sans toutefois pouvoir réguler le système. Au-dessus du pouvoir du khan se trouve la nature et le « despotisme de l’espace » auquel le rythme de vie des nomades était totalement subordonné.

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Les byis avaient un statut social élevé au Kazakhstan ancien.

Il est possible que ceux qui disposaient de la plus grande influence n’étaient pas les khans mais les biys, régissant la loi dans la steppe. Il ne serait d’ailleurs pas correct d’utiliser le terme d’ « élections » pour parler de leur cas car les biys ne se faisaient pas élire mais se désignaient eux-mêmes comme tels. N’importe quel membre libre de la communauté pouvait s’ériger en biy et être sollicité pour résoudre des conflits. Il devait alors démontrer ses qualités d’orateur et ses connaissances en droit coutumier.

Démocratie à la tsariste

On peut commencer à parler d’habitus électoral dans les steppes kazakhes quand elles passent sous contrôle russe au tournant du XIXème siècle. On sait que peu après le rattachement de la région à l’Empire, le pouvoir tsariste commence à mener des réformes administratives sur ses nouvelles terres. Ainsi, la Charte de 1822 a confisqué le pouvoir du Khan dans la Juz moyenne et, deux ans plus tard, dans la petite Juz. Le territoire est divisé en districts qui sont calqués sur les anciens sultanats. Le siège du haut sultan est soumis à l’élection par les autres sultans. Cette mesure montre bien le prolongement du vote censitaire des gengiskhanides.

Lire aussi sur Novastan : Une pensée enchaînée : pourquoi l’Asie centrale touche les limites du progrès démocratique

Cependant, cette loi ne dure que peu de temps. Déjà, dans les années 1820, des représentants de « l’Os noir » ayant le grade d’officier apparaissent parmi les sultans de volost (l’équivalent russe du canton). En 1855, le Comité sibérien s’est prononcé en faveur, en termes modernes, de la démocratisation des élections pour nommer les hauts sultans de la steppe kazakhe. Il est décidé que peut être élu, non seulement un gengiskhanide, mais aussi toute personne ayant reçu le grade d’officier. De plus, le champ des électeurs est étendu. Désormais, le droit de vote appartenait non seulement aux gengiskhanides mais aussi aux personnes ayant « un grade, des médailles, un caftan honoraire, aux contremaîtres des aouls (villages), aux biys honoraires, et enfin aux cinq personnes les plus riches dans chaque aoul. »

Autrement dit, ceux qui pouvaient voter étaient les « Aksejek », soit les hommes issus de l’aristocratie des steppes, les officiers kazakhs loyaux à l’Empire, les plus riches ainsi que la classe bureaucratique. Il s’agit donc d’une démocratie censitaire.

Les conséquences des réformes

En 1868, le Règlement provisoire sur l’administration dans les steppes est appliqué. Il prévoit que les fonctions de chefs de volost et de contremaîtres des villages soient soumises au vote. Les premiers sont alors élus par des groupes d’électeurs représentant chacun 50 tentes (les sources utilisent le terme de yourte, ou « kiiz ouïi »). Puis les seconds sont élus par des groupes de dix tentes. De plus, la réforme touche aussi le système juridique. Si auparavant le statut de biy relevait plus d’une reconnaissance, la réforme tsariste en fait aussi une fonction soumise à l’élection par 50 électeurs. Il semble que ces changements à grande échelle font suite à ceux ayant d’abord été accomplis dans les métropoles. Ils découlent de la politique de libéralisation du pays menée par Alexandre II (1818-1881) dont les principales réformes sont l’abolition de l’esclavage et la refonte du système judiciaire.

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Le tsar Alexandre II a réformé en profondeur le Kazakhstan.

La plus grande erreur du pouvoir colonisateur est d’avoir appliqué son propre système sans avoir pris en compte les spécificités de la région. L’exemple marquant est celui du nouveau rôle des biys défini dans le Règlement provisoire. Effectivement, il reprend les compétences des juges de volosts, alors élus parmi les serfs récemment réformés. Désormais, ils doivent régler les litiges locaux entre les villageois alors que traditionnellement, les biys occupaient une fonction plus élevée dans la hiérarchie de la société kazakhe. La seconde problématique est que les steppes kazakhes n’ont jamais connu d’élections. Cette situation ne pouvait qu’entraîner des complications.

Dix ans après les débuts de la réforme, l’éducateur kazakh Ybyraï Altynssarine écrit que les Kirghiz (et les Kazakhs) se plaignaient beaucoup du système électoral qui introduisait dans la société une corruption aux yeux de toute la population. Non rémunérés pour leur fonction, les élus tentent de reconstituer leur manque à gagner en acceptant les pots-de-vin de la population. L’autre conséquence est qu’à chaque nouvelle élection s’organise une véritable joute entre les différents candidats, et leurs militants se tirent les cheveux pour quelques voix.

« Ils placent leurs intérêts personnels avant les intérêts nationaux »

Entre 1899 et 1900, le juriste Raïmjan Marssekov publie un article intitulé « Saïlaou et ses conséquences néfastes », dans lequel il avance que rien n’a apporté autant de torts, de ressentiment et de violence au peuple kazakh que le saïlaou (les élections).

« À première vue, cela semble étrange. Cela semble invraisemblable que la gouvernance autonome, qui était censée être un moyen de gouverner efficacement, se soit retournée contre son peuple. Mais ce paradoxe sera mené à disparaître si l’attention est portée sur la méthode que les Kirghiz utilisent pour choisir leurs dirigeants. Malheureusement, ils placent leurs intérêts personnels avant les intérêts nationaux », écrit Raïman Marssekov. Les Kirghiz et les Kazakhs sont alors mis dans le même sac.

Il souligne qu’entre deux candidats, sera élu celui qui est le plus riche, qui pourra alors plaire d’avantage aux électeurs, et non celui qui est le plus juste, qui apportera le plus de bien à ses électeurs.

« Il est possible de séduire les électeurs avec de l’argent, en prêtant des chevaux, en promettant d’en désigner certains aux postes de sergent ou de biy. En voyant les avantages pouvant en être tirés, les Kirghiz vont s’efforcer à accentuer les rivalités entre candidats », ajoute-t-il.

« Pour les Kazakhs, les élections ressemblent au jeu de l’os de bélier »

Un peu plus tard, c’est Akhmet Baïtourssinov qui se met à son tour à disserter sur les problèmes de la gouvernance autonome. Selon ses observations, pour les Kazakhs, tous les problèmes liés aux élections ne sont pas dus à l’important pouvoir accordé aux tribunaux populaires, mais au fait que la population ne comprenait pas encore le sens même des élections. Il continue en écrivant que les Kazakhs perçoivent les élections comme une dispute, une bataille, oubliant que leurs conséquences peuvent être bénéfiques ou délétères.

« Par conséquent, il ne faut pas percevoir les élections comme un simple duel, il faut en approfondir le sens. Alors, il y aura moins de litiges et les Kazakhs en seraient moins déroutés. Alors que ça fait quarante ans que les élections de juges, volosts, et gouverneurs d’aouls ont été instaurées, elles ont pour les Kazakhs la même signification que le jeu de l’os de bélier. Tout est bon pour faire gagner son camp, quitte à être malhonnête. Mais peut-on comparer le bien commun avec un jeu ? », écrit-il dans le journal Aïkap en 1911.

Cependant, il est certain que, malgré tous les problèmes liés aux élections, l’intelligentsia kazakhe n’a pas contesté leur importance pour le développement de la société. Dans l’article cité ci-dessus, Akhmet Baïtourssinov se demande : « Si les élections sont vraiment perverses, alors pourquoi les peuples plus éduqués les introduisent-t-ils ailleurs ? »

La tentative d’Alach

Le dernier test électoral pour les nomades kazakhs a eu lieu en 1917. Fin décembre, dans le Kraï des steppes, des élections sont tenues afin d’élire l’Assemblée constituante. Leurs résultats figurent dans l’étude de Dina Amanjolova « Alach : le sens historique du choix démocratique ». Parmi les partis représentés, on trouve le parti Alach, aussi appelé Alach-Orda, un parti démocratique et indépendantiste.

Dans la région (oblast) de Semipalatinsk (aujourd’hui Semeï), Alach recueille le plus grand nombre de voix, soit 85,6 % des suffrages (58 331 votes), mais ne collecte que 33 % des voix dans la ville même de Semipalatinsk. À Omsk, alors situé au Kazakhstan mais aujourd’hui en Russie, où vivaient de nombreux ouvriers, ce sont les Bolcheviks qui sortent vainqueurs (27,5 %), tandis qu’Alach n’obtient que 80 voix (0,4 %). Dans l’oblast de Tourgaï, Alach récolte 75 % également des suffrages (211 274 votes). Avec ces résultats en demi-teinte, qui se retrouvent dans d’autres régions, Alach réussi à réunir 43 députés à l’Assemblée constituante.

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Les chefs du parti politique Alach, de gauche à droite : Akhmet Baïtourssynov, Alikhan Boukeïkhanov, Myrjakyp Doulatov.

Ces chiffres mettent en lumière le principal problème des élections d’hier. Personne ne vote pour le parti, tous votent exclusivement pour les représentants de leur milieu social. Les Kazakhs votent pour les Kazakhs, les Cosaques pour les Cosaques, les ouvriers pour les ouvriers et ainsi de suite.

Il est ainsi possible de voir comment a voté la population urbaine et rurale, comme celle surreprésentée par les Cosaques, par les travailleurs, etc. Une fois encore, il convient de répéter que, pour de telles conditions historiques, les résultats étaient pleinement prévisibles. Dina Amanjolova reprend l’idée de S.Midline selon laquelle le succès d’Alach était assuré par une aisance financière, un soutien de la presse ainsi que par contrôle de l’ordre dans les steppes. En outre, Dina Amanjolova écrit que la prédominance d’Alach est accentuée par le charisme des chefs du parti ainsi que par l’indifférence générale du peuple vis-à-vis de la politique.

Voter comme le décide le chef de clan

Sans minimiser le rôle des dirigeants d’Alach, il faut néanmoins admettre que les résultats de ces élections de l’Assemblée constituante résultent de l’inconscient des Kazakhs, qui ont comparé les divers programmes des candidats et ont voté pour celui qui pour eux est le plus avantageux. Lorsque que le sujet n’est pas une personne, un individu, mais une tribu ou un clan, la décision pour l’ensemble du groupe est probablement prise par les personnes les plus influentes.

Vraisemblablement, les membres ordinaires de la communauté votaient ce que décidait le chef du clan. Avec l’organisation économique et sociale de la société kazakhe de l’époque, il est difficile de s’imaginer que ces mécanismes électoraux se soient déroulés autrement.

Les élections de l’Assemblée constituante ont eu lieu à la fin de décembre 1917. Mais quelques mois auparavant se tenait un autre évènement d’envergure, le Congrès pankirghiz à Orenburg, durant lequel a été proclamée l’autonomie d’Alach. Au même moment se déroulaient les élections du président du Conseil national, auquel étaient attachées deux tendances.

Premièrement, l’élection du chef d’État n’a pas vraiment proposé de choix parmi les candidats. Mambet Koïgueld et Soultankhan Akkoula, des observateurs de « Alach », affirment que personne ne peut contester l’autorité d’Alikhan Boukeïkhanov, chef du parti. Cependant, ce dernier lui-même souhaiterait que le dirigeant du parti soit élu conformément à la procédure démocratique. Il a donc invité Changuereï Bukeïev, célèbre poète de la Horde de Bukeïev, à se présenter contre lui. Toutefois, l’invitation n’atteindra jamais sa destination. Alors, Alikhan Bukeïkhanov invite Bakhtiguireï Kulmanov de la Horde de Bukeïev aux élections. Au total, trois candidats se présentent, le dernier étant Aïdarkhan Turlybaïev, de l’oblast d’Aqmola (autour de l’actuelle Nur-Sultan). Mais selon Soultankhan Akkoula, d’une manière ou d’une autre, le leader du parti était assuré d’être élu.

Deuxièmement, il existe une idée selon laquelle même des élections d’une si haute importance ne peuvent se passer d’un fonctionnement tribal.

« Parmi l’intelligentsia kazakh, il n’y a pas de discrimination basée sur la naissance ou sur le jüz d’origine (divisions territoriales traditionnelles). Pourtant, de tels comportements ont été observés lors des élections. Il semblerait que les délégués de l’oblast d’Aqmola aient voté pour Aïdarkhan Turlybaev (20 votes) et les délégués de la partie occidentale du pays ont soutenu Bakhtiguireï Kulmanov (19 votes). Malgré tout, c’est Alikhan Bukeïkhanov qui est élu président (40 votes). », a révélé Sultankhan Akkula. À l’opposé, Mambet Koïgueld estime que les délégués du Congrès ne se sont pas abaissés à de tels agissements.

En quête de continuité

La « démocratie des steppes » existe-t-elle vraiment ? La réponse dépend en grande partie de la manière dont sont interprétés les termes d’ « élections », de « démocratie », de « liberté » et autres. Sur la base de la conception contemporaine des élections, l’ethnographe Seïtkasym Aouelbekov désigne la « démocratie de steppe » comme un mythe créé par les idéologues du Kazakhstan indépendant.

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Le fait est que, si l’on convient que les élections modernes prennent leurs racines dans la Horde d’Or, puis dans le Khanat kazakh indépendant puis colonisé, et continue pendant la période de la guerre civile et l’émergence de l’autonomie d’Alach, sur quoi se basent ces élections ? Sur la pratique d’élections fermées internes aux gengiskhanides ? Ou peut-être faut-il se baser sur les « saïlaou », qui sont accompagnées de luttes interrégionales, de corruption et de violences ? Peut-être, à titre d’exemple, peuvent être citées les masses populaires indifférentes à la politique, qui vont voter comme décide le chef du clan. Ou alors peut-on être satisfait d’élections sans réelle alternative face à un leader charismatique et reconnu de tous ? Si tel est le cas, alors effectivement les élections kazakhes contemporaines portent le sceau de la continuité des temps pré-révolutionnaires.

D’un autre côté, tous les problèmes énumérés ne sont liés qu’au fait que la société kazakhe ne disposait pas des fondements nécessaires pour le bon déroulement d’élections comme une éducation, une culture politique, une liberté d’expression et d’autres institutions démocratiques. Il y a eu quelques moments d’illumination, rapidement révolus. Ainsi, les réformes tsaristes ayant démocratisé l’accès au pouvoir ont perverti l’institution des biys.

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Ensuite, la révolution bourgeoise a interrompu le développement de l’autonomie locale que promulguait le pouvoir tsariste. Après l’expérience démocratique d’Alach, tous les partisans du parti sont éliminés par les Bolcheviks avant qu’ils ne puissent se développer. Puis viennent les 70 années de pouvoir soviétique qui adopte rapidement la pratique des élections sans réel choix. Et voilà qu’aujourd’hui les institutions démocratiques se développent depuis le début. Les États européens ont commencé l’essor de leurs institutions démocratiques depuis déjà quelques siècles. Toutefois, le Kazakhstan a un avantage sur eux. Cet avantage tient dans le fait qu’il peut éviter leurs erreurs, et surtout ses erreurs passées.

Comme l’écrivait Akhmet Baïtoursinoff, avant de déclarer que les élections sont un mal, il faut définir ce que sont des élections. Le regain d’intérêt politique qui a eu lieu autour de l’élection présidentielle montre que les Kazakhs commencent à atteindre les idées de penseurs du XXème siècle. Suivre les conseils d’Akhmet Baïtoursinoff et comprendre pourquoi les élections sont une nécessité serait une excellente continuité.

Daniyar Sabitov
Journaliste pour Informburo.kz

Traduit du russe par Daniel Le Botlan

Edité par Etienne Combier

Corrigé par Aline Simonneau

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