The Village Kazakhstan a rencontré des anciens détenus pour recueillir leur témoignage sur le retour à la vie active. La réinsertion des prisonniers s’avère verrouillée, dans un pays où le débat public est marqué par des questionnements autour des droits de l’Homme.
Chaque année, environ 10 000 personnes sortent de prison au Kazakhstan. Cependant, beaucoup d’entre elles y retournent peu de temps après. Pour elles, la liberté n’est pas un nouveau départ, mais une nouvelle épreuve, que peu parviennent à surmonter.
The Village Kazakhstan est parti à la rencontre de personnes récemment libérées de prison : elles ont décrit leur désorientation à l’extérieur, ainsi que l’absence d’emploi et de tout soutien. Le militant des droits de l’homme Evgueni Jovtis explique également pourquoi le système de réinsertion du Kazakhstan ne fonctionne pas.
Que signifie la resocialisation ?
La réhabilitation, appelée aussi resocialisation, est un processus indispensable pour permettre aux prisonniers de s’adapter de nouveau au monde extérieur. Il mêle travail avec des psychologues, soutien judiciaire et une aide afin de trouver un travail et un logement. Un système bien efficace et bien structuré est essentiel pour tout le monde : comme le souligne le défenseur des droits humains Evgueni Jovtis, « les détenus ne sortent pas de prison pour aller sur Mars, mais pour se rétablir dans la société. »
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A quel point la prison change les gens ?
Selon l’expert, de nombreux changements ont eu lieu ces dernières années au Kazakhstan et les conditions de détention se sont nettement améliorées. Toutefois, le problème de la réhabilitation et de la réinsertion sociale demeure entier. Les personnes qui sortent de prison, notamment après de longues peines, restent brisées, désorientées et mal préparées à la vie hors les murs.
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« Le premier problème est lié principalement au système pénitentiaire qui fait partie de l’appareil répressif du ministère de l’Intérieur. Dans tous les pays développés, cette structure est civile, car sa mission principale n’est pas de maintenir un régime ou un ordre militaire, mais de réhabiliter les condamnés et les aider à revenir à une vie normale. C’est pourquoi il est crucial de trouver des psychologues, des sociologues, des travailleurs sociaux. L’armée n’est nécessaire que pour la surveillance et le maintien de l’ordre », explique Evgueni Jovtis.
Un système obsolète
Lorsque le système pénitentiaire reste placé sous la tutelle des forces de sécurité, la réinsertion sociale des anciens détenus devient quasi impossible. La culture institutionnelle de ces services, davantage tournée vers le contrôle que vers l’accompagnement, entre en contradiction avec les objectifs de réhabilitation.
Ce système de réinsertion défaillant, hérité de l’Union soviétique, utilisait les établissements pénitentiaires comme plateformes de recrutement des détenus en guise de main-d’œuvre gratuite. Ils étaient envoyés pour construire des routes, abattre des arbres, extraire des minéraux, et logeaient dans des baraquements sommaires, faisant office de cellules.
« En réalité le système était sous contrôle du Commissariat du peuple aux affaires intérieures (NKVD), du Comité pour la Sécurité de l’Etat (KGB) et d’autres organismes de sécurité. Lorsque les prisons dépendent des structures de force, il est tout simplement impossible d’attendre une véritable réhabilitation », souligne le défenseur des droits de l’Homme.
Une vie après la liberté ?
Stanislav a retrouvé la liberté le 17 février dernier. Avant cela, il avait passé huit ans en prison. À 21 ans, il avait été condamné à 11 ans de détention, « pour un délit lié à la drogue » selon ses propres mots. Il avait ensuite été libéré sur parole.
L’homme confie qu’il a repensé sa vie et n’a aucune intention de retourner dans le système pénitentiaire. Selon lui, il n’y a pas de réinsertion sociale au Kazakhstan : il ne voyait un psychologue qu’une fois par an, et encore, c’était purement formel. Il a dû se réadapter rapidement et seul à la vie en liberté.
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« Dans les cinq premiers jours suivant la libération, nous devions nous enregistrer à l’adresse de notre résidence. L’enregistrement est une formalité nécessaire pour obtenir la libération conditionnelle. Il me fallait un certificat attestant que des personnes étaient prêtes à m’accueillir, que j’allais vivre et être enregistré chez elles. Mais quand je suis sorti et que je suis allé à l’adresse, j’ai découvert que la personne censée m’accueillir avait quitté le pays. Je ne l’ai appris qu’après ma sortie », raconte Stanislav.
La recherche du logement : une question épineuse
« J’ai alors été confronté à un problème : je devais trouver un logement, m’y faire enregistrer, et que le propriétaire accepte, car des contrôles peuvent avoir lieu même en pleine nuit. Sur les 20 adresses que j’ai appelées, personne n’a accepté. Je les comprends : il y a des stéréotypes sur les anciens détenus. On dit qu’ils sont dangereux, qu’ils ne sont pas comme les autres. Ce ne sont que des stéréotypes, mais ils sont très ancrés », poursuit-il. Finalement, Stanislav a trouvé de l’aide auprès du fonds associatif Revansh.
« Aujourd’hui, tout est en règle pour moi sur le plan légal, mais sans enregistrement, c’est une infraction. Si vous vous présentez au bureau d’enregistrement sans certificat, vous êtes redirigé vers un centre de réinsertion d’État. J’y suis allé, j’ai tout vu de mes propres yeux. Je vous épargne les détails, mais pour quelqu’un qui vient de sortir de prison et qui tente de se réinsérer, c’est un endroit totalement inadapté. Après, il voudra retourner aussitôt dans un endroit plus sûr : la prison », estime-t-il.
Kristina, ancienne détenue libérée après 14 ans passés dans un établissement pénitentiaire, aide désormais elle-même d’anciens détenus. Elle partage également cet avis négatif sur ces fameux centres de réinsertion.
« Il existe des centres d’accueil publics, mais personne de sensé n’y mettrait les pieds. Je préfère encore vivre dans la rue que d’aller dans ces endroits où vivent des sans-abris. Je comprends que chacun a son histoire. Mais nous travaillons, nous payons des impôts, nous apportons quelque chose à l’État, et certains d’entre nous commencent même à faire du travail social. Ce qu’il nous faut, c’est un vrai soutien », affirme-t-elle.
La récidive, presque inévitable face aux obstacles administratifs
Selon Kristina, les anciens détenus sont terrifiés par la bureaucratie et les formalités administratives nécessaires pour obtenir l’aide sociale promise par l’État. Le certificat est le seul passe-droit pour être en capacité de recevoir les aides. Cela prend du temps. Il faut aussi s’enregistrer à une adresse, ce qui implique de trouver un logement dont le propriétaire accepte les visites des forces de l’ordre.
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« Même avec un logement et un permis de séjour, la réinsertion reste semée d’embûches », explique-t-elle. « Il suffit que le policier du quartier prévienne les voisins : “Savez-vous qui vous avez enregistré ? Il a été condamné pour meurtre, trafic de drogue ou recel.” Alors, forcément, les propriétaires se rétractent. »
En plus de l’enregistrement, il est indispensable de s’inscrire en tant que demandeur d’emploi. Si l’ancien détenu a initié une demande de prêt, cela complique tout. Par exemple, pour les travailleurs individuels, l’entreprise n’était évidemment plus en activité, mais elle était toujours enregistrée au nom de l’ancien détenu ; cela signifie qu’il ne recevra pas d’aide sociale. Les kandas (rapatriés kazakh de l’étranger) n’y ont pas droit non plus. Il y a beaucoup de « mais ».
« C’est pourquoi très peu d’anciens détenus accèdent véritablement à l’aide de l’État. Ces montagnes russes émotionnelles accentuent cette détresse psychologique. À leur sortie de prison, beaucoup se heurtent aux difficultés d’enregistrement et de recherche de logement. Désemparées, certaines finissent par replonger dans la drogue. Si une personne n’a pas de relations, d’amis, de famille ou l’argent pour louer un appartement, elle se tourne vers le vol », poursuit Kristina.
Pourquoi est-il si difficile pour les anciens détenus de trouver un travail ?
« La stigmatisation persiste même au-delà des murs : les criminels restent des criminels. C’est d’autant plus vrai pour ceux qui ont purgé de longues peines. Les anciens détenus connaissent des difficultés quand il s’agit de se réintégrer dans la vie, car la société subit une évolution très rapide. S’ils possédaient des qualifications, ils les perdent, et les emplois en prison sont peu qualifiés », explique Evgueni Jovtis.
La plupart du temps, les anciens détenus travaillent là où il n’y a aucune vérification des antécédents et où ils peuvent travailler sans contrat, et c’est souvent le cas des chantiers. En réalité, très peu d’employeurs acceptent d’embaucher une personne ayant fait de la prison, même si elle mène une vie honnête depuis de nombreuses années.
« Une autre problématique réside dans le système de la condamnation pénale, qui a subsisté après l’époque soviétique. En Occident, s’il existe aussi un casier judiciaire, l’accès aux informations sur votre passé reste limité, tandis qu’au Kazakhstan, le passé délictuel ou criminel reste public. Même après avoir purgé ta peine, la condamnation continue de te poursuivre. Un tel fonctionnement peut exister, mais il devrait être confidentiel et ne compliquer la vie que dans les cas de récidive », estime le défenseur des droits humains.
Les outils pour éviter la récidive
Stanislav a été largement aidé par le fonds d’assistance sociale Revansh, basé à Almaty. Bien que ce centre soit principalement spécialisé dans le soutien aux femmes, il a décidé d’aider cet homme en lui donnant une adresse d’enregistrement temporaire et un logement.
« Actuellement, nous poursuivons la mise en œuvre du projet Jana-Omir, qui vise à fournir un ensemble de services aux femmes sorties de prison et vivant avec le VIH. Le projet contribue à leur réinsertion réussie dans la société, explique la directrice du fonds », Elena Bilokon.
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La responsable du centre reconnaît que des hommes leur demandent souvent de l’aide, mais qu’il n’y a nulle part où les rediriger. À part le centre d’adaptation sociale, surnommé par la population « le foyer des sans-abris », il n’existe rien. Elle précise que personne ne veut y aller, et ceux qui s’y retrouvent finissent souvent par s’enfuir au bout de deux ou trois jours.
En fin de compte, de nombreux hommes sortant de prison sont livrés à eux-mêmes. Stanislav explique que dans les établissements pénitentiaires, des recommandations générales et des conseils simplistes ont été fournis, mais en réalité ils n’aident pas vraiment dans la pratique.
Quelles perspectives d’améliorations dans le système pénitentiaire ?
« À mon avis, il faut un centre spécialisé, comme le fonds Revansh, mais destiné à la réinsertion des hommes. Ayant traversé cette expérience, j’ai compris qu’il nous faut un lieu comme celui-là, ne serait-ce que pour 20 personnes. Ce serait une énorme contribution pour la société. Car dans un tel centre, les gens ne retourneront pas en prison », estime-t-il.
Le Kazakhstan a besoin de centres comme Revansh, tant pour les hommes que pour les femmes. D’ailleurs, selon Evgueni Jovtis, le système pénitentiaire présente encore de nombreuses lacunes. Outre la domination des forces de l’ordre, peu concernées par la réinsertion, il y a une pénurie de travailleurs sociaux, psychologues et autres spécialistes, en raison des salaires très bas dans ce secteur.
« Qui vont-ils réinsérer, s’ils peinent eux-mêmes à survivre ? » souligne l’expert.
Evgueni Jovtis insiste également sur l’importance des règles Nelson Mandela, suivies par de nombreux pays européens. Ces règles insistent sur le fait que la réinsertion des détenus n’est réussie que s’ils sont réintégrés à la société en tant que citoyens à part entière. Un détenu doit sortir de prison avec des connaissances, des compétences et la capacité à résoudre des problèmes de la vie quotidienne.
Des exemples à l’étranger
Par exemple, en Norvège, où le taux de récidive est extrêmement bas, la réinsertion sociale est au cœur de tout le système pénitentiaire. Les détenus y apprennent même à acquérir des compétences commerciales afin de pouvoir gagner honnêtement leur vie et se réinsérer dans la société après leur libération.
Les pays où les détenus conservent des liens sociaux pendant leur incarcération affichent des tendances positives en matière de réduction de la récidive. Evgueni Jovtis cite l’exemple des Pays-Bas, où les détenus qui respectent la loi pendant une certaine période sont autorisés à passer deux jours chez eux.
Une clé : la réinsertion
Le soutien de l’État joue un rôle clé dans ce processus. La coopération entre les centres sociaux et l’État israélien en est un brillant exemple. Dans ce pays, l’administration pénitentiaire accorde une grande importance à la réinsertion sociale des détenus et au soutien de leurs familles, tant pendant leur incarcération qu’après leur libération.
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Le centre de réadaptation pour enfants d’Ale-Neguev constitue un exemple intéressant. Comme l’a rapporté la journaliste Olga Allenova dans le journal Kommersant, ce centre attire des bénévoles, parmi lesquels des étudiants, des écoliers, des militaires et des prisonniers. Ils participent à des évènements culturels, à des promenades et aident les personnes en situation de handicap à s’intégrer dans la société.
Une approche similaire pourrait être employée au Kazakhstan, car de nombreux anciens détenus trouvent des carrières épanouissantes dans le domaine social.
Ksenia Saïfoulina
Journaliste pour The Village Kazakhstan
Traduit du russe par Lisa D’Addazio
Édité par Emma Fages
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Kazakhstan : la vie après la prison